Intervention du Silure à la conférence de presse de la campagne Apartheid Free Zones du 15 mars 2021

Intervention du Silure à la conférence de presse de la campagne Apartheid Free Zones du 15 mars 2021

Le Silure, en tant que collectif et espace de luttes autonomes, a décidé de rejoindre la campagne Zones Libres d’Apartheid israélien entre autres pour deux raisons.

1) Cette campagne est une occasion importante d’ancrer matériellement une solidarité internationale dans un territoire, en l’occurrence la région genevoise. Une lutte et des solidarités internationales qui se manifestent concrètement dans nos rues et nos espaces de vie ne se retrouvent dès lors plus cantonnées aux rubriques internationales des médias et redonnent ainsi une place à ces enjeux politiques essentiels dans nos vies quotidiennes.

2) Ensuite, parce que les luttes anti-racistes politiques qui nous animent et nous mobilisent en Suisse et en Europe, contre les violences systémiques qui s’abattent sur les personnes migrantes tentant de se réfugier dans l’Europe-forteresse, contre les violences policières qui mutilent et tuent en premier lieu les personnes racisées, contre l’islamophobie qui se manifestent quotidiennement, par exemple contre les femmes voilées, et contre bien d’autres manifestations du racisme systémique, ne peuvent que se renforcer en s’alliant aux luttes antiracistes et anti-coloniales des peuples des autres continents.

Pour le Silure, concrètement, l’adhésion à cette campagne nous permettra d’inviter les personnes qui font vivre notre lieu, entre autre à travers cantine et événements, à ne pas acheter des produits issus de l’apartheid israélien. Nous nous servirons également de notre lieu et de ses activités pour diffuser largement le matériel d’information produit par la campagne AFZ- Genève. Et nous nous réjouissons déjà de participer à faire vivre cette campagne, en lien avec les autres collectifs ou espaces adhérents, à travers l’organisation d’événements et de rencontres pour informer sur le régime d’apartheid israélien et renforcer la solidarité avec la lutte du peuple palestinien.

Incendie du foyer des Tattes – il y a six ans déjà…

Incendie du foyer des Tattes – il y a six ans déjà…

Il y a six ans déjà, dans la nuit du 16 au 17 novembre 2014, un incendie se déclarait au foyer des Tattes, le plus grand lieu d’hébergement pour requérant.e.s d’asile de Suisse. Dans cet incendie, Fikre Seghid, un Érythréen de 29 ans, trouvait la mort par intoxication et des dizaines d’habitant.e.s étaient gravement blessé.e.s.  

Lors de l’incendie, des personnes prises au piège ont été contraintes de sauter par les fenêtres des bâtiments. Lorsque ensuite ces personnes se sont retrouvées hospitalisées, ni l’Etat ni l’Hospice général ne se sont souciés d’elles. Certaines sont même sorties de l’hôpital sans chaussures… la totalité de leurs affaires ayant été perdues dans le bâtiment incendié. Dans les semaines qui ont suivi, la police genevoises s’est acharnée sur les victimes, en les incarcérant et en cherchant à les expulser. Nous joignons à ce texte une version imprimable d’une brochure de témoignages recueillis auprès des victimes de l’incendie que nous avions distribuée lors de la manifestation commémorant les 5 ans de ce tragique événement en 2019 et qui raconte ce qu’elles ont subi. Le livre, Les Tattes incendie et autres cauchemars, comprenant ces témoignages sera également bientôt disponible dans certaines bibliothèques municipales et petites librairies afin qu’ils soient diffusés plus largement à Genève.

La justice genevoise déclarait à l’hiver 2014 qu’une enquête était ouverte pour faire « toute la lumière » sur ce drame. L’année dernière, sous la pression de collectifs solidaires des victimes, le Ministère public affirmait que «  l’enquête [était] à bout touchant » et que « la procureure [rendrait] son avis de prochaine clôture de l’instruction avant la fin de l’année ». (Le Courrier, 14 novembre 2019). Où en est-on aujourd’hui ? Aux dernières nouvelles, on attend toujours… Et toujours pas la moindre reconnaissance ni indemnisation alors que la responsabilité de l’Hospice général et de l’Etat dans ce drame a été pourtant largement démontrée.

Après tant d’années d’injustice, il est permis de se demander ce qu’on peut encore attendre d’un système politique et judiciaire qui affiche un tel mépris pour les victimes. Nombre de ces dernières souffrent encore des séquelles de l’incendie. Certaines, écoeurées, ne veulent plus s’exprimer sur le sujet, estimant que tout a été dit. Lorsqu’il s’agit de la vie de jeunes personnes étrangères, l’appareil judiciaire semble adopter une lenteur cynique qui détonne avec l’empressement dont il fait preuve lorsqu’il s’agit de criminaliser, d’enfermer ou d’expulser des personnes dont le seul délit est d’avoir cherché refuge en Suisse.

Cet incendie et le traitement méprisant réservé à ses victimes par les autorités genevoises et leur institution de service social, l’Hospice général, sont un symbole tragique de la violence systémique qui s’abat sur les personnes à qui la Suisse refuse l’asile. A l’heure où le mouvement Black Lives Matter secoue les Etats-Unis et trouve un large écho en Europe, est-il nécessaire de rappeler que cette violence, qu’elle soit étatique ou sous-traitée à des entreprises de sécurité privées, s’abat systématiquement sur des personnes racisées ?

Ce type de drame mortel est le symptôme aigu d’une politique de rejet et d’exclusion. En 2010, six ans avant l’incendie, Joseph Ndukaku Chiakwa, un requérant d’asile nigérian, décédait ligoté sur le tarmac de l’aéroport de Kloten lors de son expulsion. En 2017 à Lausanne , trois ans après l’incendie, Lamine Fatty, un requérant d’asile Gambien, mourrait dans une cellule de la Blécherette sous les yeux de la police, après avoir été arrêté « par erreur ». En 2018, à Genève, Ali Reza, un requérant d’asile afghan de 18 ans, se donnait la mort dans le foyer de l’Étoile où il résidait, après avoir été tabassé par des agents de sécurité. En 2014, les personnes requérant.e.s d’asile étaient logées dans des foyers surpeuplés, insalubres et insécures. En 2020, elles sont soumises à des conditions de vie quasi carcérales à l’intérieur de centre fédéraux. Dans les deux cas, elles subissent la ségrégation sociale et spatiale et le harcèlement des polices, qu’elles soient publiques ou privées. Alors que la construction du centre fédéral de Gd-Saconnex démarre, les récits des violences vécues dans les centres fédéraux déjà existants en Suisse affluent. Ce bâtiment de haine ne doit pas voir le jour à Genève.

..,    Pour rendre politiquement justice aux victimes de l’incendie des Tattes ainsi qu’à toutes les victimes des violences racistes que charrie la politique migratoire suisse, la priorité est de transformer radicalement ce système d’ « asile » inhumain, pour reconnaître à chacun.e le droit de vivre où elle/il le veut, ou, de façon plus réaliste dans un monde encore soumis aux pillages et à la violence capitalistes, où elle/il le peut.
En attendant, nous continuons d’exiger que les autorités genevoises reconnaissent leur responsabilité dans ce drame et indemnisent les victimes.

Justice et dignité pour tou.te.s !
Ce système doit tomber, il a déjà fait trop de morts.

Le Silure, 16 novembre 2020

 

 

Retrouvez ci-dessous le recueil de témoignages de victimes de l’incendie des Tattes, Paroles en Exil, Incendie et autres cauchemars.

Le retour à la normale, le droit à la ville et ses contradictions: L’exemple de la Caserne des Vernets à Genève

Le retour à la normale, le droit à la ville et ses contradictions: L’exemple de la Caserne des Vernets à Genève

Retardé de quelques mois en raison de la crise du coronavirus, la presse nous apprend vendredi 12 juin 2020 que l’État a approuvé le méga-projet controversé d’urbanisation du site la caserne des Vernets (1), fer de lance de l’urbanisation de tout le quartier Praille-Accacias-Vernets (PAV) (2). Que nous apprend la continuité du développement urbanistique sur le régime politique dans lequel on vit? Et comment nous pourrions le changer?

 

«  Ce projet et les oppositions qu’il suscite font ressortir une des contradictions majeures que nous vivons à Genève qui existe entre les utopies de la Ville désirée et la réalité de celle qui est imposée. « 

Le projet d’urbanisation de la Caserne des Vernets est dénoncé comme étant une aberration de bétonnage et de sur-densification que nous paierons pendant des générations. De nombreuses voix, et parmi elles, celle du Collectif des associations d’habitant.e.s de quartier, ont démontré l’impact néfaste de ce projet par des arguments que l’on peut relire ici.

Ces arguments, que ce soit la perspective d’une tour massive de 86 m, la part basse de logement à loyer bon marché sur un terrain public ( – de 22 % de ces logements type « HBM »), la coupe de 108 arbres et de la perte de la possibilité d’un parc en pleine terre, aussi pertinents soient-ils, ne doivent pas occulter le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un débat d’options architecturales.

En extrapolant un peu, il est possible d’en tirer une analyse générale de notre contexte politique et esquisser des réflexions propres à nourrir notre pratique militante.

Ce projet et les oppositions qu’il suscite font ressortir une des contradictions majeures que nous vivons à Genève qui existe entre les utopies de la Ville désirée et la réalité de celle qui est imposée.

Qu’est-ce que la Ville et qui nous la confisque ?

 

La Ville est une utopie démocratique qui est condamnée à décevoir en raison du fait qu’elle est confisquée par une autorité technocratique déconnectée du commun, de la majorité des gens.

On pourrait désigner cette autorité comme un « complexe de gouvernance urbaine ». Ce dernier est d’abord un binôme composé de l’État et des promoteurs immobiliers (cette espèce particulière de capitalistes du béton – le géant français Bouygues pilote la construction des Vernets). Mais ce binôme est aidé par des acteurs qui rendent acceptable le projet en le maquillant d’un verni d’activités socialement utiles. Ces dernières masquent des choix politiques catégoriques fondés sur le culte du profit privé. On connaissait les caisses de pensions et les fondations publiques, mais il faut également citer les désormais inévitables Coopératives (Cigüe – logement étudiant et Codah) (3) ou les acteurs culturels (ARVe ou Ressources Urbaines, pour l’occupation transitoire du chantier).

De tout le dispositif, l’argument de la création de logements est le plus massif. On peut démonter le mensonge de cet argument dans chaque cas, mais il faut bien reconnaître qu’il est très efficace de l’invoquer pour disqualifier toute opposition au développement urbain imposé actuellement. On se contentera de relever, pour l’heure, que ce mode de gouvernement par la « crise » – ou la pénurie organisée de logements – avance masqué, empêche le débat et qu’il est de ce fait antidémocratique.

Le croissance urbaine capitaliste et les résistances qu’elle produit

Si la plus grande part de notre existence est régie par cette gouvernance de soft-dictature, elle s’impose avec fracas dans le cas de l’aménagement de parcelles publiques. C’est proprement fracassant de voir notre environnement transformé par les grues, le béton et les embouteillages, sans que les chiffres de milliers de demandeurs.euse.x.s de logements sociaux ne baissent significativement depuis dix ans.

Derrière l’urbanisation de la caserne, il y a un projet de croissance de la ville par l’extension des activités tertiaires, soit l’économie des services. Cette croissance suit une tendance mondiale qui est très marquée à Genève depuis la fin des années 1990. On peut nommer cela métropolisation (4).

La métropole suit l’investissement massif dans le bâti qui est, d’une part, une conséquence du développement des besoins d’infrastructures de production et de consommation à toujours plus large échelle et, d’autre part, une technique éprouvée par le capitalisme pour résoudre ses crises, en absorbant le surplus de capital (5). Dans le cas suisse, l’investissement immobilier est souvent désigné comme valeur refuge. Si les banques ont vu leurs petits secrets mis à mal ces dernières années, la Suisse et Genève restent en bonne place pour être un coffre fort mondial. Les lingots sont de bétons et il n’y même pas besoin de les cacher: ils dresseront bientôt leurs ombres de 86 mètres sur le quartier populaire de la Jonction.

La course infinie et absurde au profit attaque le bien-vivre en ville, mais pas seulement. À une échelle plus large, c’est une évidence de plus en plus partagée que le développement de l’industrie et de l’urbanisation pourrait remettre en cause de nombreuses vies humaines sur terre en raison du changement climatique qu’elle induit.

C’est également presque un lieu commun – d’un point de vue critique et militant – de dire que les autorités que nous sommes censé.e.x.s désigner de manière élective sont toutes dépendantes d’un système de concurrence entre les collectivités publiques, pour attirer des entreprises privées et leurs mannes fiscales (6). Elles n’ont d’autre choix que de vendre les biens communs aux plus offrants, comme en témoigne le projet de la caserne ou encore l’octroi de forfaits fiscaux à des sociétés de tradings (7).

Une narration réactionnaire

 

Néanmoins, la question du manque de qualité de vie urbaine fait perdurer une contradiction relativement constante avec le développement et la croissance. Elle tend à s’exprimer par des oppositions politiques puissantes, mais qui ont toutes en commun de pouvoir s’étouffer rapidement dans une narration réactionnaire. A titre d’exemples, le 9 février 2020, un vote a eu lieu contre le déclassement des zones villas de Cointrin/Meyrin. Ce résultat est sorti des urnes contre l’avis de l’ensemble de l’establishment politique. On pourrait facilement dire de ce vote qu’il n’est que l’aspiration d’égoïstes parvenus, propriétaires de villas, ne voulant pas partager leur environnement avec les moins-bien-logé.x.e.s (8). L’autre face de la même pièce est la question des zones piétonnes ou la mise en place de pistes cyclables élargies nous est présentée comme l’opposition entre cadres privilégié.e.x.s du centre-ville, contre prolo-frontalier-petit-indépendant-du-bâtiment-en-camionnette (9).

La crise et le futur de la métropole genevoise

 

La contradiction qui tourne autour de la ville et de son développement a été mise entre parenthèses par la crise du coronavirus. On a assisté, ébahi.e.x.s, à l’arrêt (temporaire) des chantiers qui font croître Genève et, plus généralement, d’une coupe difficilement imaginable dans les flux de personnes, d’argent et de marchandises qui la traversent et qui en constituent pour bonne part de la réalité des rapports de production.

L’état de sidération passé, on fait face a un presque tout aussi surprenant retour aux affaires courantes depuis trois semaines. La Banque cantonale genevoise nous vante déjà la « résilience » de l’économie suisse face à la crise mondiale (10). L’économie semble avoir bel et bien repris ses droits (11).

Back to business donc, les grands projets repartent. Ça ne veut pas dire que la crise n’a aucunement changé la donne. Mais il n’y aura vraisemblablement pas de rupture rapide avec les schémas de « développement » de la ville et ses caractéristiques.

Par ailleurs, du point de vue du système capitaliste, les crises peuvent être des moments salvateurs de purge d’acteurs surnuméraires par l’exacerbation des jeux de la concurrence. Il a été relevé plus haut que les villes étaient aujourd’hui des acteurs économiques qui se faisaient concurrence entre elles. On peut faire l’hypothèse que la présente crise va écarter les maillons plus faibles au profit d’autres.

Cela signifie que, d’un point de vue géographique, quand bien même la crise qui suit la pandémie est mondiale, elle ne va pas se déployer partout de la même manière. Elle pourrait même apporter ici et là prospérité (toujours du point de vue du système capitaliste et de ses classes dominantes). Elle pourrait ainsi exacerber des fractures territoriales et mondiales, en suivant vraisemblablement les sillons déjà tracés par les relations impérialistes au niveau mondial et les fractures existantes à une échelle locale.

Dans ce contexte, l’économie qui fait les rapports de production à Genève possède certaines fragilités notamment liées à sa dépendance aux voyages de personnes et à l’instabilité croissante des prix des matières premières (12). Cependant, Genève et son projet métropolitain restent toute de même bien placés dans le contexte du système-monde, en raison du franc suisse, du pacte social très puissant et de ses investissements en infrastructures. On peut donc faire l’hypothèse qu’elle ressortira gagnante de l’épuration inter-métropoles sans pour autant que ses classes dominantes ne se privent d’une épuration interne de classe. Cette dernière passera vraisemblablement par un énième assaut sur la main-d’œuvre migrante et par la contraction de l’État social au nom de la dette. Le paradoxe reste qu’une bonne part de la dette publique provient directement de l’expansion urbain des ces dernières années.

À nous d’en prendre acte. La métropole, ses flux et leur croissance vont ainsi continuer de fonder les caractéristiques du système économique et du régime politique qui gouvernent nos vies dans le contexte genevois.

Une force d’opposition et ses militant.e.x.s devraient toujours avoir les contradictions que ces produisent à l’esprit, car c’est partant de ces contradictions et en tentant de les approfondir qu’on peut creuser les failles du régime.

De la contradiction au rapport de force

 

Nous voulons traduire les contradictions par un rapport de force, qui lui-même ne peut que provenir d’une lutte.

Le fait d’ancrer une lutte dans un territoire – pare exemple la défense d’une zone – nous donne parfois un avantage tactique décisif. L’avantage provient notamment du fait que ce genre de conflit s’inscrit dans la durée et a un caractère tangible et donc plus facile à transmettre.

La Caserne est un exemple de grand projet nuisible qui s’impose à nous. Contesté, il incarne les contradictions susmentionnées. Le projet s’inscrit sur un territoire qui est par essence commun : le sol qui plus est propriété de l’État.

De la lutte contre ce projet, comme les autres qui suivront, doit éclore l’idée que nous avons le droit de décider collectivement ce qui doit être fait dessus. À partir de ce droit, on peut exprimer un refus : refuser l’état des choses imposé par diverses formes de protestations ou de blocages à même de retarder les projets et infliger de vrais dégâts économiques, voire jusqu’à susciter leurs abandons.

Les luttes à mener avec ces objectifs en tête peuvent l’être dans tous les quartiers. Elle est la meilleure manière de se distancier de la narration réactionnaire qui se superpose aux résistances à la croissance capitaliste de la ville. Toute lutte populaire qui permet à des gens animés par un désir de vivre et de prendre leur destin collectivement en main est bonne à mener.

Qu’en est-il du programme politique de transformation sociale qui pourrait naître de tels rapports de force ? Le définir à l’avance est toujours un exercice périlleux. Mais il semble nécessaire de s’adonner à l’exercice, tout en sachant que c’est en définitive le déroulement des luttes qui façonnera le monde auquel nous aspirons dans lequel il fait « bon vivre », – pour détourner à notre avantage le discours des autorités. En l’état, alors que l’opposition au développement urbain est embryonnaire, on devra se contenter d’une esquisse. Une esquisse de programme pourrait être de se donner l’objectif d’obtenir, quartier par quartier, des comités de transition écologique et sociale. Ces derniers devaient impérativement avoir un réel pouvoir et des budgets significatifs pour redessiner la ville que nous voulons. Ils devraient également fonder la structure d’une force d’opposition où des personnes puissent se retrouver, se reconnaître et construire leur puissance.

 

Notes de bas de page

 

(1) Feu vert pour le megaprojet des Vernets.

(2) Selon les autorités genevoises : « Le grand projet Praille Acacias Vernets (PAV) situé sur les territoires des villes de Genève, Carouge et Lancy, représente le plus grand potentiel de logements du canton et une opportunité de développement unique au cœur de la ville. Il s’agit de transformer la plus vaste et ancienne zone industrielle et artisanale genevoise en un quartier urbain mixte où il fera bon vivre et travailler. » Lire ici.

(3) Toutes ces entités de taille et au pouvoir très disparate, allant de géants du BTP ou de l’assurance avec des coopératives étudiantes sont regroupées dans un holding dont appellation « Ensemble » ne manque pas d’ironie.

(4) Pour un usage de ce concept, voir l’ouvrage de Guillaume Faburel, Les métropoles Barbares, éd. Le Passager Clandestin, 2018.

(5) Pour une description du phénomène qui est étudié depuis longtemps par la géographie critique, on pourra lire David Harvey, L’urbanisation du capital.

(6) Sur ce système, on lira: Benoît Bréville, Quand les grandes villes font sécession.

(7) Au mois de février 2020, l’exonération fiscale pour 10 ans d’une société de négoce matières premières votée par le Conseil administratif de gauche de la Ville de Genève avait provoqué un léger malaise. Lire ici.

(8) Cette position est résumée par la plume du journaliste et maître à penser de la réaction genevoise Pascal Décaillet dans GHI : Genève, contrôle ta croissance!

(9) Le même idéologue nous dit : [«Singulière période, où le prolétaire se déplace en voiture, et où le bobo urbain jouit de l’horizontalité silencieuse des pistes cyclables. »

(10) L’économie suisse pourrait surprendre par sa résilience.

(11) Selon la formule du Centre patronal vaudois qui a fait le buzz. Lire ici.

(12) Le Temps – Les quatre piliers de l’économie genevoise.

La santé publique en régime néolibéral : l’exemple du CoVid-19

La santé publique en régime néolibéral : l’exemple du CoVid-19

Les manières de voir, de penser et de pratiquer la santé publique sous le régime néolibéral engendrent de nombreux problèmes. Si nous subissons leurs conséquences depuis longtemps, aujourd’hui, elles se donnent à voir plus clairement en pleine crise du CoVid-19. Elles nous affectent ici et maintenant. Si, en tant que collectif, nous nous y intéressons, c’est dans l’optique de mieux comprendre ce que ces discours et ces pratiques sanitaires provoquent afin de renforcer l’envie et les moyens de s’en défaire. La première étape en quelque sorte d’un chemin dont l’objectif n’est pas la critique pour la critique, mais la recherche active d’autres manières de prendre soin, de soigner et de prévenir.

Par la publication de ces réflexions en cours, nous désirons participer à la construction d’un «commun» sur la santé. Le choix de citer des extraits de témoignages récoltés ou de paroles tirées d’articles de journaux répond à la volonté d’ancrer notre réflexion sur des expériences rapportées sur le moment. A l’avenir, elles pourront également servir de traces tant de l’actualité de cette période, que de manières d’y donner du sens.

Cette première partie part de questionnements sur les cadrages (1) de la santé publique, tout en s’intéressant aussi aux pratiques néolibérales dans le domaine de la santé. C’est ainsi que nous revisitons la pénurie des masques et des tests qu’a connu la Suisse pour en souligner son caractère construit. Nous nous penchons sur deux cadrages en particulier : la responsabilité individuelle et l’individualisation des risques, ainsi que la métaphore guerrière. Concernant cette dernière, nous proposons de renverser la question martiale en une question sociale et de passer de l’acceptation d’un ennemi invisible à celle d’un ennemi très visible : la classe capitaliste. Nous y détaillons des inégalités d’accès à la prévention dans la crise sanitaire du CoVid-19 en Suisse.

Partie I. Une amorce : les cadrages de la santé publique qui la dépolitisent

De tout cadrage – c’est-à-dire une certaine manière de regarder et de définir un problème social – découle des solutions associées. Ce faisant, un cadrage exclut aussi d’autres façons de penser ce problème et de le résoudre. Tout en éclairant certaines réalités sociales, il en masque d’autres. Les cadrages ne sont pas de simples pensées ou idées désincarnées, ils ont des conséquences sociales très concrètes. Certains cadrages visent à dépolitiser les sujets abordés. La santé publique connaît ce phénomène et les réponses apportées à la pandémie du CoVid-19 en constituent un exemple.

Faire la guerre aux microbes (2) ainsi que placer l’individu au centre de la bataille sont des cadrages qui paraissent aussi banals qu’évidents. Alors pourquoi s’y arrêter ? Parce que rien n’est pure description. Le choix de métaphores ou de focus ne sont pas de purs hasards et ne sont pas sans conséquences. Trois questions nous guident : dans le cadre de la crise du CoVid-19, que viennent justifier les cadrages du dispositif sanitaire ? Que produisent-ils ? Et qu’empêchent-ils de penser ?

Pour commencer, nous revenons sur quelques effets du néolibéralisme sur la santé pour pouvoir parler ensuite de deux cadrages en particulier. Il s’agit de partir du global pour arriver ensuite au cas de la Suisse.

Des cadrages déterminés par les processus d’accumulation du capital

 

Dans le monde néolibéral, les cadrages du domaine de la santé sont fortement déterminés par les processus d’accumulation du capital. Comme tous les phénomènes du monde social, ils subissent une forme de naturalisation qui laisse penser qu’ils sont les seuls possibles, qu’ils ne relèvent pas d’autres choix que de ceux dictés par la raison. La difficulté de la critique est double. D’une part, il s’agit de faire voir les déterminants politico-économiques de choix que tout contribue à présenter comme techniques et naturels. D’autre part, il s’agit de ne pas s’enfermer dans la construction de modèles exemplaires qui, s’ils permettent d’apercevoir des alternatives aux options dominantes naturalisées et donc de comprendre celles-ci pour ce qu’elles sont, finissent par ne constituer que des segments du marché de la santé renforçant l’individualisation du rapport à la santé.

Les cadrages que nous relevons ici semblent s’articuler pour donner une image de la santé publique – et nous pouvons nous demander si cette expression a encore un sens – en régime néolibéral. Ils ne sont pas seulement des dispositifs idéologiques (des manières de représenter le réel et d’orienter l’action). Ils sont aussi des conséquences du régime présent d’accumulation du capital.

La déclaration d’Alma Ata (3) de 1978, rappelle Alison R. Katz, représentait un « projet révolutionnaire de justice sociale dont le slogan était La santé pour Tous en l’an 2000. Le projet identifiait la pauvreté et l’inégalité comme déterminants majeurs des maladies et des morts prématurées et évitables (qu’elles soient épidémiques ou endémiques) » (4). Les autorités internationales de la santé publique ont radicalement modifié le cadrage de la santé en passant de la santé pour tout le monde à la santé marchandise (5).

Le cadrage de la santé comme marchandise s’accompagne de différentes pratiques dont le sous-financement des systèmes de santé publique représente un exemple criant. L’historien des sciences Guillaume Lachenal propose de tirer quelques leçons de l’expérience des pays du Sud en mettant en avant qu’ils « ont expérimenté, avec vingt ou vingt-cinq ans d’avance, les politiques d’austérité sous des formes radicales. Le néolibéralisme précoce s’est déployé au Sud, notamment dans les politiques de santé. Il est à l’arrière-plan des épidémies de sida et d’Ebola. […] Au Sud, les États se sont vu contraints de couper dans leurs dépenses de santé publique au profit du privé et de la philanthropie. » (6) La crise du CoVid-19 rend le sous-financement des systèmes de santé publique flagrant pour un plus grand nombre de personnes dans les pays du Nord. En revanche, son orchestration, le fait que ce ne soit pas le fruit d’un malheureux hasard, d’une simple erreur de gestion, demeure peut-être moins lisible.

Or, le CoVid-19 a rendu particulièrement visible le manque de ce qui, selon les spécialistes de santé publique, constitue l’essentiel pour gérer une épidémie : le matériel médical et le personnel de santé. Le caractère façonné de la pénurie de matériel médical a mis quelques semaines à devenir un fait difficilement réfutable en Suisse et aujourd’hui dénoncé de manière transversale. Cet exemple permet de comprendre les liens entre des pratiques d’accumulation du capital et certains cadrages de la santé.

Une pénurie façonnée : l’exemple des masques et des tests

 

En Suisse, comme dans d’autres pays, un objet aussi banal et crucial que le masque a dramatiquement manqué dans les premières semaines de la pandémie. Au début de la crise du CoVid-19, la Suisse exportait encore des masques, avant de devoir en acheter à un prix nettement plus élevé. Alors que le pays manquait de masques, même pour le personnel de la santé, les autorités de santé publique en Suisse (Office fédéral de la santé publique – OFSP) ont appelé qui le pouvait à donner ses masques. Au même moment, des masques FFP2 et FFP3 – ceux munis d’un filtre, utilisés par le personnel de santé – continuaient de quitter la Suisse, principalement à destination de la Chine, de Hong Kong, de l’Allemagne et de l’Italie. Ce n’est pas moins de 25 tonnes, rien que pour les premiers mois de l’année 2020 qui ont été exportés. Une augmentation colossale comparée au 13 kilos exportés durant toute l’année 2019. Le vice-président de PharmaSuisse livre sans détour les raisons : « Des intermédiaires ont acheté beaucoup de masques juste avant le déclenchement de la crise. Puis, ils les ont revendus là où il y avait la meilleure offre » (7). Une manœuvre typique de la logique du marché d’un régime néolibéral, qui a rapporté beaucoup d’argent à des entreprises privées. Les chiffres de l’Administration fédérale des douanes (AFD) nous apprennent que les masques vendus en moyenne à 20 francs/kg au mois de janvier, ont trois mois après, été vendus en moyenne pour 205 francs/kg.

Mais il y a plus ironique encore. S’appuyant sur les données de l’AFD, des journalistes notent que « la Suisse a acheté 108 tonnes de masques FFP2 et FFP3 lors du premier trimestre 2020. C’est sept fois plus que durant la même période en 2019. Les pays d’origine de ces produits sont la Chine, le Japon, l’Allemagne et Hong Kong. Soit les mêmes États qui ont reçu le matériel helvétique » (8).

En parallèle, quels sont les discours et les recommandations sur le port du masque en Suisse ? Courant mars 2020, alors que les masques manquent en Suisse, le Conseil fédéral soutient que le port généralisé de ceux-ci n’est pas utile. Nous aurions naïvement pu penser que les autorités politiques se basent sur les connaissances scientifiques en leur possession pour penser une action de santé publique et non sur leurs capacités à la mettre en œuvre. Il n’en est rien. Après avoir tenu le propos inverse, les autorités politiques admettent le 6 avril 2020 que le port du masque n’est pas inutile. Le médecin-chef des soins intensifs de l’hôpital public de Genève (HUG) le disait déjà à demi-mots en évoquant, à l’antenne de la télévision RTS, que même un foulard valait mieux que rien (9). Pourquoi ce changement de discours du gouvernement suisse ? Parce qu’à présent, le stock de masques disponibles le leur permet. En effet, un avion parti de Shanghai en a déposé quelques 2,5 millions à Genève.

« Désormais, les autorités affirment que le masque ne suffit pas. Tout est dans la nuance »

ironise une journaliste du Courrier. Mais l’affaire ne s’arrête pas là.

« Faire figurer le port du masque dans les recommandations de l’OFSP aurait, du fait de la pénurie, obligé un certain nombre d’entreprises et d’industries non essentielles à fermer. »

explique encore celle-ci. Et de rappeler comment les deux géants de la grande distribution en Suisse, Coop et Migros, ont tout simplement, dans un premier temps, interdit le port du masque à leurs caissières. (10)

Le rapport de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique (OFAE) de 2019 donne un éclairage sur le stock stratégique de la Suisse : le pays disposait de 186 000 masques FFP2 et FFP3 alors qu’on en aurait eu besoin de 745 000 pendant les trois premiers mois, s’il avait fallu faire face à un nouvel agent pathogène. Mais ce rapport de l’OFAE conclut par une invitation à ne rien changer : les économies priment! Notons au passage que d’après Rudolf Strahm, le responsable des médicaments de cet office est directeur chez ViforPharma11. La découverte de ce rapport a choqué, du Collectif Grève du Climat suisse à une conseillère nationale du Parti écologiste suisse qui affirme :

« On considère dans ce pays que la santé est une charge et nous analyse donc les besoins presque uniquement en fonction de ce qu’ils pourraient coûter. […] on ne se permettrait jamais autant de légèreté avec les équipements militaires. » (12)

Deux ans auparavant, en 2017, l’OFAE renonçait à donner des consignes aux hôpitaux et aux cantons en matière de stockage, chacun fait comme il veut car « les acteurs de la santé craignaient les coûts élevés du stockage » (13). La logique capitaliste : stocker en fonction des économies désirées (qui profitent à certains) et non en fonction des besoins estimés (qui auraient profité à tout le monde). Rappelons l’impact qu’a eu cette pénurie de masques au début de cette crise sanitaire : du personnel de santé travaillant sans masque ou devant réutiliser un masque à usage unique (notamment dans les EMS (14) et les soins à domicile), les autorités sanitaires communiquant que le port du masque par la population n’était pas nécessaire avant de revenir en arrière, un gouvernement qui n’en distribue pas (faute d’en avoir) et enfin des employeurs autorisés à forcer leurs employé·e·s à travailler sans protection.

En Suisse, les masques ne sont pas l’unique matériel médical qui ait manqué dès le début de la crise du CoVid-19. Des produits nécessaires pour fabriquer des tests de dépistage, des réactifs, ont également fait défaut. Ceux-ci étaient importés notamment des États-Unis et d’Allemagne. Or, avec l’avancement de la pandémie, ces pays ont réduit leurs exportations de réactifs. Le gouvernement, craignant de manquer de tests, n’a pas opté pour un dépistage massif et a réservé ceux-ci au personnel de santé et aux personnes âgées et vulnérables. Au début du mois de mars, le problème d’approvisionnement en tests résolu, la stratégie du Conseil fédéral est modifiée et des tests sont effectués, jusqu’à 10’000 par jour. Seulement, voilà qu’une fois le problème du manque de produits réactifs réglé, un autre surgit. Cette fois-, ce sont les écouvillons qui manquent, ces longs bâtonnets qui servent à prélever les sécrétions dans la gorge. L’amplitude de la population que le gouvernement décide de tester étant dépendante du stock de bâtonnets, la carence de ces derniers a représenté un frein à un dépistage plus large. Ce sont donc à nouveau les stocks de matériel qui dictent les recommandations et les pratiques de santé publique. De plus, encore une fois, le gouvernement, lorsqu’il arrive enfin à obtenir ce matériel médical, se retrouve à devoir le payer au prix fort (15).

En somme, ne disposant pas de tests en nombre suffisant, le Conseil fédéral n’a pas pu prendre l’option de tester massivement sur un temps conséquent. Ainsi le dépistage, une stratégie centrale du dispositif de prévention du CoVid-19 selon les scientifiques (16), n’a pas pu être mené largement. Les logiques de marché sont l’une des principales causes de cette pénurie de tests. Il en existe d’autres, comme le fait que le plan pandémie de la Suisse a été basé sur un scénario de grippe qui ne nécessite pas de tels test. Cette pénurie n’a donc pas été anticipée (17). Dans un rapport daté de 2018, l’ancien chef de l’OFSP annonçait « déjà le problème majeur qu’a révélé la crise : la forte dépendance de la Suisse par rapport à l’étranger concernant l’approvisionnement en biens médicaux. En quittant l’ère de la guerre froide, l’on est passé en Suisse d’une politique de stock à une logique d’achats en flux tendu. C’est celle-ci qu’il faudra remettre en question. » (18)

Alors que la Suisse est à court de masques, de tests de dépistage et de personnel de santé, au point de rappeler des retraité·e·s, d’engager des étudiant·e·s et de faire intervenir l’armée et la protection civile, deux cadrages classiques de la santé publique suisse se déploient : l’individualisation du risque et la responsabilisation des individus couplées à la métaphore guerrière.

Risques et responsabilité sanitaires : un problème individuel

 

Tout en reproduisant, dans certaines situations de travail et de logement, les conditions idéales de propagation du CoVid-19 et en les imposant à une partie de la population, le Conseil fédéral n’a de cesse d’enjoindre les citoyen·ne·s à être responsable, c’est à dire suivre les règles de semi-confinement qu’il dicte. Au point de donner l’impression que tout repose sur le comportements et les gestes responsables des individus. Cette tendance dépasse évidemment l’État. C’est ainsi que la Société suisse des entrepreneurs (SSE) tente de reporter la responsabilité du respect des normes sanitaires sur les travailleurs et les travailleuses en les obligeant à signer une « auto-déclaration » selon laquelle c’est à elles et eux « d’appliquer les mesures de protection » (19).

L’individualisation du risque est une caractéristique centrale de différents dispositifs de prévention et de soins de maladies transmissibles, comme le VIH, la tuberculose et maintenant le CoVid-19. Les actions publiques leur étant dévolues, souvent conceptualisées et communiquées comme des guerres ciblant des microbes, se mènent à au niveau de l’individu et plus précisément de son corps, vu comme une potentielle forteresse à microbes. Ce cadrage transforme le risque en menace logée au sein même de la personne. Cette manière de voir dissimule souvent les phénomènes extérieurs, conséquences des politiques néolibérales : inégalités d’accès aux soins et à la prévention, promiscuité des logements, risques au travail, précarité sous diverses formes. Ce cadrage exhibe les causes individuelles et simultanément gomme les causes systémiques et sociales de la maladie.

L’individualisation du risque s’accompagne de la responsabilisation de l’individu. En réponse au vieux dilemme de la santé publique: la responsabilité de la santé incombe-t-elle à l’individu ou à la société? – la santé publique actuelle en régime néolibéral penche davantage pour la responsabilité individuelle.

L’individualisation du risque ouvre par ailleurs le champ au contrôle des individus : dans le cas du CoVid-19, surveillance des regroupements par la police et des caméras, par la mobilisation de la protection civile dans les parcs, par la surveillance de nos déplacements via nos téléphones ou le contrôle de nos statuts sanitaires par des tests peut-être à venir…

Métaphores et comparaisons guerrières

 

Dans son Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) datée du 13 mars 2020, le Conseil fédéral écrit que cette dernière « ordonne des mesures visant la population, les organisations, les institutions et les cantons dans le but de diminuer le risque de transmission du coronavirus (COVID-19) et de lutter contre lui ». S’en suivront différents usages du cadrage guerrier en Suisse, dans la presse, par des journalistes et des personnes interrogées (20), et dans des communications écrites, par l’industrie et le patronat (21). Ailleurs également. Le 16 mars, Macron énonce :

« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse. »

Il n’y a rien de nouveau. Les médias, les autorités nationales et internationales de la santé publique, tout autant que les scientifiques et le personnel de santé (22) font usage d’un champ lexical guerrier pour décrire les actions publiques mises en place en réponse à différentes maladies transmissibles telles que le HIV, la tuberculose, le virus d’Ebola, le H1N1 ou le CoVid-19. Le cadrage transversal de « la lutte contre » constitue une façon de réagir collectivement aux problèmes qu’engendrent ces épidémies.

Dans les productions scientifiques médicales, le corps est décrit comme un champ de bataille et le système immunitaire comme un système de défense contre des agents, une sorte d’envahisseurs étrangers. Le corps est représenté à l’image d’un état-nation qui poste à ses frontières un système de surveillance pour se protéger des envahisseurs étrangers (23). Dans le monde médical, il est d’usage d’employer des métaphores militaires : « C’est l’imaginaire de la guerre et du combat qui sous-tend quotidiennement la relation entretenue avec la maladie et la thérapeutique. » (24) Les cadrages sont sujets à modification et ne sont pas identiques partout. Rien ne permet de penser que la conception occidentale d’un corps comme zone de combat soit universelle ou naturelle. De surcroît l’image d’un combat , à l’intérieur du corps n’a pas existé de tout temps (25). Cependant, l’histoire de l’immunologie et de l’épidémiologie sont « parfaitement en phase avec l’idéologie néolibérale, pour laquelle la vie sociale est de toute façon une lutte permanente » (26). La sociologue Marie-Christine Pouchelle posait une question qui demeure ouverte :

« Quant au « combat » contre la maladie, qui dans son principe implique parfois la victoire à tout prix, et donc la production de pathologies iatrogènes (27), peut-on imaginer qu’il cesse ? » (28)

Hors du champ médical, on retrouve les métaphores guerrières, par exemple dans le travail de la police. Tant aux États-Unis qu’en France, le cadrage du « contrôle de la criminalité » a été remplacé par celui de la « guerre contre le crime ». Défendant l’idée que la « rhétorique guerrière a un coût », l’anthropologue Didier Fassin met en avant l’une des conséquences du cadrage guerrier : « par un effet de rhétorique qui élude les enjeux de ségrégation et d’inégalités pour se focaliser sur les seuls problèmes de désordres et de violences, la question sociale se transforme en question martiale » (29).

Pour un renversement de la question martiale en une question sociale

 

Par le cadrage guerrier, les gouvernements créent artificiellement un « Nous » contre un « ennemi ». Il est intéressant de noter qu’existe simultanément une individualisation des responsabilités et une exhortation à être une communauté nationale au combat. En Suisse, la mobilisation de l’armée mais surtout de la protection civile participe à cela. Ces dispositifs renforcent l’idée « d’union sanitaire nationale ». Une union sanitaire nationale qui face aux inégalités détourne le regard refusant de prêter attention aux différences dans l’accès aux soins ainsi qu’aux différences quant aux conséquences économiques de la crise. Il sera en effet d’autant plus facile de faire payer à tout le monde, indifféremment du revenu de chacun, le coût de la crise puisque que nous sommes tou·te·s ensemble dans cette guerre.

L’idée que nous serions toutes et tous, ensemble, dans cette guerre masque de nombreuses inégalités. A commencer par qui est au front, qui n’a d’autre choix que d’aller travailler dans des conditions risquées, qui est plus exposé aux risques, qui meurt ? Mais encore, quelles sont les différences dans les conditions de confinement et dans les conséquences économiques de la crise. En temps ordinaire, le travail des soins à la personne est peu valorisé qu’il soit rémunéré ou non. Le CoVid-19 fait davantage apparaître ceux et celles qui sont au front et exercent des métiers essentiels. Ce sont des femmes, des personnes mal payées et souvent racisées. Elles travaillent dans les soins, la vente, le nettoyage, la livraison, etc. Cependant, cette soudaine visibilité ne s’accompagne pas de l’objectif de revalorisation de ces métiers, ni d’améliorations des conditions de travail (en terme de pénibilité, de manque de personnel ou d’augmentation des bas salaires) qui se pérenniseraient au sortir de la crise.

De nombreux journaux ont insisté, sur le mode de la révélation, en dévoilant des inégalités et le rapport inadéquat entre l’utilité sociale d’un métier et sa rémunération. Cette insistance médiatique permettra précisément d’annuler l’effet durable de cette prétendue révélation d’un fait largement connu. Les ouvriers, les ressortissants de territoires colonisés qui ont combattus durant la Première guerre mondiale ont été applaudis et célébrés aussi longtemps qu’on a eu besoin d’hommes à envoyer au front. La stratification sociale ne devait absolument pas être bouleversée au sortir de la guerre.

Revenons justement au cadrage guerrier dans le champ de la santé. Si guerre il y a : qui est l’ennemi ? Les microbes sont les premières cibles des luttes contre les maladies transmissibles. La guerre aux microbes que représentent les luttes contre différentes maladies transmissibles en Suisse se mène principalement à l’échelle de l’individu et plus particulièrement de son corps envisagé comme une citadelle à microbes. Ce cadrage guerrier se combine au cadrage individuel, c’est-à-dire à l’incorporation des risques dans les individus et à l’individualisation du risque.

Il y a différents impacts de ce cadrage guerrier dans le champ de la santé. L’un deux, c’est la stigmatisation de personnes ou de groupes d’individus. Lorsque la cible des actions publiques glisse de la maladie aux malades, aux personnes considérées à risque ou désignées comme responsables de la perpétuation d’une épidémie (par exemple lors des épidémies de tuberculose ou sida ce sont les personnes sans abris, les personnes migrant·e·s, les hommes homosexuels qui ont été stigmatisés). La riposte « Fight AIDS not people with AIDS », slogan des militant·e·s d’Act Up, illustre la tentative de groupes définis comme à risque de redéfinir la cible de la lutte. Concernant le CoVid-19, des personnes identifiées comme chinoises ont été la cible de stigmatisation dans différents pays. Si cela n’a pas défrayé la chronique en Suisse, les échos de ce genre de réactions n’ont pas manqué. Par exemple, le 4 mars 2020 lors d’une formation en langue, les étudiant·e·s au lieu de s’asseoir aux places habituelles se sont écartées d’une personne d’origine chinoise et ont demandé à l’enseignant de faire cours avec la porte et les fenêtres ouvertes (30).

Un autre impact est qu’en ciblant les corps des individus ou des groupes d’individus, ces cadrages guerriers et les dispositifs qu’ils imposent laissent hors-champ d’autres phénomènes sociaux, économiques et politiques. Ces cadrages brouillent les pistes : l’ennemi devient un microbe invisible, une personne ou des groupes (qui sont parfois même accusés d’être partiellement responsable de l’épidémie) alors que le véritable ennemi : le capitalisme et son organisation sociale demeurent hors-champ.

De l’ennemi invisible à l’« ennemi très visible et actif : la classe capitaliste »

 

Si nous décidons de continuer à filer la métaphore guerrière, faute de mieux pour l’instant, changeons alors la cible. L’anthropologue Charlotte Brives fait une proposition similaire lorsqu’elle écrit :  

« Ce n’est pas contre les virus qu’il faut être en guerre, mais bien davantage contre des systèmes politiques et économiques qui, loin d’être conçus pour remédier à la précarité (très différenciée !) des vies humaines et non-humaines, l’instrumentalisent et l’accentuent parce qu’elle est inhérente et indispensable au bon fonctionnement de la domination néolibérale. Alors même que ces systèmes accélèrent la production d’agents pathogènes, avec l’élevage et l’agriculture industrialisés, et leur dissémination, avec la grande intensité des échanges dans l’interconnexion généralisée des espaces. » (31)

Luttons contre les mécanismes ayant mené à cette crise sanitaire (et à celles du siècle passé) : la précarisation d’une partie de la population, les conditions de travail et de logement inadéquates (exiguïté, promiscuité, insalubrité, stress,…); les coupes budgétaires et les logiques du marché (manque de matériel médical et de personnel, …); les intérêts économiques de l’industrie pharmaceutique (choix de ne pas investir dans des secteurs qui ne leur rapportent pas ou pas assez), etc. ! En somme, nous voilà face à un « ennemi très visible et actif : la classe capitaliste » pour reprendre l’expression d’un camarade anonyme (32).

Inégalités face à la prévention

 

Comme le relève David Harvey, il subsiste un imaginaire épidémique selon lequel la société serait touchée de façon transversale, mais cela ne correspond plus à ce que nous pouvons observer aujourd’hui. La célèbre citation de Thucydide sur la peste d’Athènes est remarquable à cet égard :

« A la vue de ces brusques changements, des riches qui mouraient subitement et des pauvres qui s’enrichissaient tout à coup des biens des morts, on chercha des profits et des jouissances rapides, puisque la vie et les richesses étaient également éphémères. […] Nul n’était retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines: on ne faisait pas plus de cas de la piété que de l’impiété, depuis que l’on voyait tout le monde périr indistinctement. » (33)

Tel n’est pas, loin s’en faut, le scénario que nous connaissons aujourd’hui. L’agencement général de la société n’a pas été – et ne sera pas – ébranlé par la pandémie. Comme le reste du temps, les pauvres meurent plus et plus tôt du CoVid-19 : parce qu’ils et elles y sont plus exposé·e·s (impossibilité de se retirer de sa place de travail et promiscuité dans un logement surpeuplé), parce qu’ils et elles souffrent des comorbidités associées à la pauvreté, parce qu’ils et elles accèdent plus difficilement aux soins. Plus nous montons dans l’échelle sociale plus les possibilités de se protéger augmentent.  

Même au journal télévisé, il est dit que « le coronavirus exacerbe les inégalités sociales » (34). Il s’agit d’un constat partagé, en effet la pandémie du CoVid-19 rend plus visibles certaines inégalités sociales et les augmente. En revanche, les façons de voir les causes de cette pandémie et les impacts de sa gestion divergent. Par exemple, là où la RTS voit des oublié·e·s des politiques publiques, nous y voyons des exclu·e·s, c’est-à-dire que nous comprenons que leurs situations sont le fruit de décisions politiques volontaires. La naïveté de circonstance des journalistes qui semblent découvrir ces inégalités sociales est surprenante de la part de celles et ceux qui réclament des preuves pour des phénomènes qui sont largement prouvés par ailleurs et dont il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne se produisent pas s’agissant du CoVid-19. A ce sujet, la réponse du géographe Ola Söderström à un journaliste du Temps qui l’interroge sur la réalité de l’augmentation du risque en fonction de facteurs de classe est aussi cinglante que vraie : « La réponse on l’a déjà […] On sait que globalement les personnes les moins aisées sont plus exposées au risques» (35).

Certaines personnes ont plus de risques d’être infectées puisqu’elles sont moins protégées que d’autres en raison de leurs conditions de vie (travail, logement, …), fruits de choix politiques passés et de la gestion de la crise actuelle par le gouvernement. En somme, face au risque d’être infecté-es, nous ne sommes pas toutes égales et égaux et l’État aux ordres des capitalistes y est pour beaucoup.

Durant la crise du CoVid-19, pendant qu’une partie de la société, avant tout les riches, la hiérarchie, les cadres intermédiaires, les managers et une partie de la classe moyenne, est en situation de télé-travail depuis mars 2020, un autre pan de la société, les pauvres, le plus souvent des femmes, des bas salaires, des personnes précaires, des immigré-es travaillent à leurs postes habituels. Parmi ces travailleuses et travailleurs des supermarchés, des EMS, des chantiers, des hôpitaux, de l’aéroport, des institutions médico-sociales, certaines personnes mal protégées voire pas protégées du tout ont témoigné du manque de matériel et de procédures de protection (masque, gels hydro-alcoolique, de procédés permettant de tenir les distances sociales requises, etc.). Un maçon résume ce constat : « notre santé et celle de nos familles valent moins que celle d’autres parties de la société » (36). Au sein d’entreprises et d’institutions, les employé·e·s au «front» observent bien souvent que« la hiérarchie fait du télétravail depuis un certain temps » à l’instar d’une agente à l’aéroport (37) ou d’une éducatrice sociale : « les psychiatres sont en télétravail et les hôpitaux psychiatriques sont débordés» (38). Dans tous ces secteurs, des travailleurs et travailleuses en première ligne tombent malades et certain·e·s en meurent, en France, des soignant·e·s et aux États-Unis, des employé·e·s de l’industrie de la viande.

Le fait d’être plus exposé au risque d’infection peut non seulement affecter la santé d’une personne mais également celle de ses proches et, par extension, de sa communauté. Parfois il s’agit même de collectifs de circonstances (39), plus ou moins temporaires, créés par l’État. Ce dernier impose à une partie de la population des lieux d’hébergements surpeuplés impliquant une promiscuité élevée, et de cette manière il produit les conditions mêmes de la propagation de maladies transmissibles comme le CoVid-19. Pour les personnes sans-papiers, c’est leur exclusion du marché officiel du travail et du logement qui rend leur situation précaire. Certain·e·s, ne trouvant pas à se loger, se retrouvent dans des chambres surpeuplées louées par des marchands de sommeil. A ces différentes personnes, la promiscuité et les risques sanitaires qui en découlent sont imposés de manière directe (obligation d’y vivre) ou indirecte (non-accès un autre logement). Enfin certaines autres personnes sont soit livrées à elles-mêmes, comme un homme en auto-quarantaine dans sa voiture ou des jeunes mineur·e·s non accompagné·e·s (MNA) qui ont faim dans un des pays les plus riches du monde (40). Ou encore comme les milliers de sans-papiers qui en temps normal travaillent mais qui ont perdu leur emploi à cause du CoVid 19. Ceux-ci sont exclus de tout dispositif de protection sociale et se retrouvent à faire des heures de queue pour l’équivalent de 20.- de denrées alimentaires pendant que celles et ceux qui les emploient sont en télétravail ou retiré·e·s dans leur chalet (41).

Hormis quelques réaménagements dans les foyers (transferts de personnes des abris sous-terrain à des foyers «sur-sol» ou à la caserne désaffectée des Vernets à Genève ; tentatives d’isoler à l’intérieur des foyers, des individus malades) et dans les prisons, l’option de vie en collectivité avec promiscuité et risque augmenté d’être infecté·e est globalement maintenue. D’autres options, comme celle de réquisitionner ou d’avoir recours à des chambres d’hôtel vides (42) ou des appartements vacants pour les personnes sans domicile fixe, les personnes en exil etc, n’ont pas été retenues à Genève, ni même celle de libérer des prisonnier·e·s.

Ces différentes situations soulignent l’accès inégal à la prévention de certains groupes en comparaison avec le reste de la population. Elles ne sont pas nouvelles mais aujourd’hui plus visibles, donc encore plus évidentes à dénoncer.

Des cadrages alternatifs et de la difficulté de formuler autre chose

 

En désignant ces cadrages, nous affrontons une double difficulté. Première difficulté, puisqu’ils décrivent la réalité dans laquelle nous baignons, ils ont toutes les chances d’être pris pour des évidences qui dès lors méritent à peine qu’on les mentionne. Seconde difficulté, ces cadrages ne sont plus perçus comme des choix construits, mais comme la seule voie rationnelle. Les acquis des sciences sociales en matière de santé accumulés ces 50 dernières années permettent de tracer un chemin critique très clair pourtant ils semblent presque impossibles à mobiliser pour construire un programme qui puisse faire concurrence au programme néolibéral.

Les propositions qui émergent des partis politiques progressistes européens en matière de santé publique ne consistent plus qu’en des tentatives désespérées de réparer les dégâts du néolibéralisme, essentiellement en injectant de l’argent partout où cela leur semble possible. Or, c’est un changement radical de perspective qui est nécessaire, non seulement parce que le système capitaliste ne fonctionne pas, mais surtout parce que nous ne voulons ni de l’individualisation ni des formes guerrières qu’il promeut.

Au-delà du constat que nous venons de dresser, nous voudrions nous donner les moyens de prolonger le discours critique par une réflexion sur le changement que nous désirons. Ce sera sans doute l’objet de textes à venir.

 

Notes de bas de page

 

(1) Comme un cadre de photographie, le cadrage capte l’attention « en mettant entre parenthèses ce qui, dans notre champ sensuel, est « dans le cadre » et ce qui est « hors cadre » ». Le cadrage participe à raconter une histoire plutôt qu’une autre. Snow, Soule, Kriesi (ed), _The Blackwell Companion to Social Movements_, Blackwell, 2004.

(2) Microbes dans ce texte : mot-valise comprenant tous les agents pathogènes tels que virus, bactéries et compagnie.

(3) Déclaration d’Alma Ata

(4) Alison Rosamund Katz, « Contrôle des épidémies? L’OMS avait la solution il y a 40 ans », CETIM, 16 avril 2020.

(5) L’année dernière, le directeur général de l’OMS lors du sommet mondial de la santé à Berlin s’exprimait avec ces mots : « L’investissement initial de US$14,1 milliards pour la période 2019-2023 représente un excellent rapport qualité prix et va engendrer un retour sur investissement de 2-4 % de croissance économique. Aucune marchandise au monde n’est plus précieuse », cité par Katz.

(6) Entretien avec Guillaume Lachenal, « Le Nigeria est mieux préparé que nous aux épidémies », Mediapart, 20 avril 2020.

(7) « Des Suisses vendent cher leurs masques à l’étranger, Tribune de Genève, 25 avril 2020.

(8) « Des Suisses vendent cher leurs masques à l’étranger », Tribune de Genève, 25 avril 2020.

(9) 19h30, RTS 1, 5 avril 2020.

(10) « Bas les masques », Le Courrier, 7 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(11) « La préparation à une pandémie a été négligée de façon irresponsable », Le Matin Dimanche, 26 avril 2020.

(12) « La Suisse n’avançait pas masquée », Le Courrier, 7 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(13) « Comment en est-on arrivé à manquer de masques de protection ? », La Tribune de Genève, 13 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(14) Établissements médico-sociaux (EMS) : lieux de vie accueillant des personnes âgées nécessitant des soins et un accompagnement de longue durée. Les EPADH en Suisse.

(15) « Face au virus, les défenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020.

(16) «Il est clair qu’il y a eu des goulets d’étranglement dans les tests, confirme [le] président de la task force scientifique nationale sur le coronavirus. Or je suis d’avis qu’il faut tester très largement. D’abord parce que ça permet de mieux comprendre l’épidémie, mais surtout parce qu’on découvre de nouvelles infections, que cela permet de faire du contact tracing, de mettre les gens en quarantaine et de mieux endiguer la maladie.» (« Face au virus, les défenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020).

(17) « Face au virus, les défenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020.

(18) « Sur le papier, la Suisse était prête », Le Temps, 13 avril 2020.

(19) Communiqué de presse de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), 30 mars 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(20) « Soins, transmission, hygiène: comment lutter contre le CoVid-19: Prof de HUG et expert de l’OMS, l’épidémiologiste Didier Pittet est sur le pied de guerre pour faire face à une situation sans précédent. » titre L’illustré. La Tribune de Genève propose une galerie de photo avec le descriptif suivant : « La pandémie met le territoire helvétique au pas. Écoles fermées, confinements, réorganisations des soins: chronologie d’une guerre d’un nouveau genre. » (16 avril 20). Dans la Matinale, une journaliste présente une presque centenaire : « Depuis le début de la crise sanitaire, elle pense beaucoup à la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale, qu’elle a vécue au début de sa vingtaine ». Cette femme des Diablerets dit à l’antenne: « La guerre au microbe, c’est un peu comme la guerre, sauf qu’avant on voyait les gens, on s’aidait, on s’embrassait… Tandis que maintenant, on se fuit! C’est une autre guerre parce que là on sait tout, tandis qu’à l’époque on ne savait que ce qui se passait au village.» (6 avril 2020).

(21) « Aujourd’hui, Novartis met gratuitement à disposition des hôpitaux une quantité importante d’hydroxychloroquine afin de traiter les patients atteints du CoVid-19 en Suisse. Ceci va permettre aux patients d’avoir accès à un traitement potentiellement efficace tout en faisant avancer la recherche clinique en matière de lutte contre le virus. » (site internet Novartis). Tandis qu’Avenir Suisse titre: « Accorder plus de liberté aux entreprises pour lutter contre le coronavirus » (Site internet Avenir Suisse, publication, 2 avril 2020).

(22) « Dans une guerre comme celle-ci, on ne peut se permettre de s’exposer à l’apparition de nouveaux foyers de contagion qui risquent de transformer ces centres de convalescence en ‘bombes virales’ qui diffusent le virus », a mis en garde (le) président de la Société de gériatrie italienne. » Le Nouvelliste

(23) Emily Martin, « Toward an Anthropology of Immunology: The Body as Nation State », Medical Anthropology Quarterly, Vol4. N°2, décembre 1990, 410-426.

(24) Marie-Christine Pouchelle, « Pour une histoire et une anthropologie des effets iatrogènes du «combat» contre la maladie », Asclepio, 2002, vol. 54, no 1, p.38.

(25) Martin Emily, _Flexible Bodies: Tracking Immunity in American Culture-from the Days of Polio to the Age of AIDS_, Boston, Beacon Presse, 1994.

(26) Charlotte Brives, « Politiques de l’amphibiose : la guerre contre les virus n’aura pas lieu », Le Média, 31 mars 2020.

(27) Iatrogène : trouble ou maladie provoqués par un·e médecin, un acte médical ou la prise de médicaments, que ce soit ou non dû à une erreur médicale.

(28) Marie-Christine Pouchelle, « Pour une histoire et une anthropologie des effets iatrogènes du «combat» contre la maladie », Asclepio, 2002, vol. 54, no 1, p.49.

(29) Fassin Didier, La force de l’ordre: une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Éd. du Seuil, 2011, pp.70-71.

(30) Communication personnelle, Genève.

(31) Charlotte Brives, « Politiques de l’amphibiose : la guerre contre les virus n’aura pas lieu », Le Média, 31 mars 2020.

(32) FD, « CONJONCTURE ÉPIDÉMIQUE crise écologique, crise économique et communisation », Des nouvelles du front, 17 avril 2020.

(33) David Harvey, « Covid-19 : où va le capitalisme ? Une analyse marxiste », Contretemps, 7 avril 2020.

(34) 19h30, _RTS 1_, 9 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(35) « Qui sont les victimes suisses du coronavirus? », Le Temps, 15 avril 2020.

(36) Notre traduction de l’« Interview: «Baustellen sollten geschlossen werden, bei gleichzeitigem Lohnausgleich» », Aufbau, 29 mars 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(37) « J’ai fait un sondage parmi mes potes en leur demandant de répondre à la question : santé ou argent ? » : témoignage de deux agentes d’escale à l’aéroport de Genève, avril 2020.

(38) 19h30, RTS 1, 10 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(39) Par exemple, des personnes en exil logées dans des foyers, des abris PCi (bunkers) dans certains cantons, et des centres de détention ou encore des détenu·e·s en prison.

(40) « Ils m’ont juste dit : « Restez chez vous et restez seul » » : témoignage d’un homme en quarantaine dans sa voiture, mars 2020 ; « Parmi les professionnels, très peu percevaient que ces jeunes souffraient. » : témoignage d’une infirmière, mars 2020.

(41) « A Genève, des heures d’attente pour un sac de nourriture », Le Temps, 3 mai 2020.

(42) Si trente et une chambres ont été mises à disposition par le directeur d’un hôtel de Genève, il s’agit là d’un phénomène marginal. « À Genève, des sans-abri logés dans un hôtel étoilé », 24 heures, 21 avril 2020.

La boutique à Giorgio Agamben

La boutique à Giorgio Agamben

Ce texte a été proposé, sous un nom d’emprunt, pour publication au site lundi matin en réponse à la traduction d’un texte du philosophe italien. Les rédacteurs du site l’ont jugé « peu sérieux » et manquant « de précision et de rigueur. » On vous laisse voir.

 

«  (…) le besoin de simplification est naturellement d’autant plus impérieux qu’il est plus impossible à satisfaire. Et ce que le public attend en premier lieu de la philosophie est, aujourd’hui plus que jamais, le soulagement indispensable que représente la possession d’une vérité simple, à commencer, bien entendu, par une vérité simple concernant l’impossibilité de parvenir à la vérité. « 

Jacques Bouveresse, Le philosophe chez les autophages

La pandémie en cours nous offre tout de même quelques occasions de rigoler. Ainsi ce texte de Giorgio Agamben, sobrement (une fois n’est pas coutume) intitulé « Une question », et publié sur le carnet que les éditions Quodlibet offrent au philosophe, puis, pour la version française, sur le site lundi.am (édition du 20 avril 2020). Dans « Une question », le philosophe nous enjoint à reprendre le cours de nos relations sociales habituelles – celles-là mêmes qu’il exècre en temps normal, d’où la franche rigolade – quoi qu’il en coûte, car la liberté ne se négocie pas. On ne cède pas devant un pauvre virus, on fait front.

Voici bientôt quarante ans que Giorgio Agamben répand son obscure doctrine et qu’il connaît un certain succès dans des milieux gauchistes, bien au-delà du public de spécialistes qu’elle pourrait lui assurer.

En fait, Agamben sert le projet néolibéral. Sa doctrine tient pour l’essentiel en un appel constant au repli, à la fuite, à la désertion et à la destitution. Il est aussi opposé à l’idée de société que Margaret Thatcher elle-même. Mais là où celle-ci défendait les intérêts bien compris des capitalistes, Agamben, lui ne défend que sa minuscule boutique. Pour Agamben, nous aurions connu un effondrement « éthique et politique » qui nous a conduit à accepter les consignes de confinement quand il aurait fallu résister à cette injonction « biopolitique ». Il voit dans cet épisode pandémique la confirmation de sa thèse de toujours, à savoir l’existence d’une similarité de nature et d’une continuité entre le IIIe Reich et les démocraties libérales contemporaines. Car pour Agamben, si un système politique ne nous donne pas la liberté absolue, la liberté théorique serait-on tenté de dire, il n’est qu’un nazisme adouci.

À propos de cette posture, Jacques Bouveresse a pu écrire avec raison que les années 1970 furent « l’époque où l’opération décisive sur le plan politique consistait à révéler les « contradictions » internes du système et, en particulier, à démontrer concrètement une chose que tout le monde sait, à savoir qu’un régime libéral n’est jamais libéral au point de pouvoir tolérer absolument n’importe quoi sans réagir ». (1)

Dans de nombreux secteurs de la société, le discours destituant a pu prendre le pas sur toute autre forme de réflexion. À tel point que le refus de toute institution a pu amener certain·e·s à penser qu’il y aurait une forme de liberté supérieure dans l’ésotérisme et l’irrationalité. À tel point que ce refus a pu faire diversion de la réalité de l’offensive néolibérale et de ses conséquences. Sous l’influence d’une sorte d’agambennisme spontané, nous avons parfois lâché la proie pour l’ombre.
Bouveresse poursuit à ce sujet : « la révolte de l’imagination et de la spéculation philosophiques contre l’ordre doit être inspirée par le désir de modifier réellement l’état de chose existant dans ce qu’il a d’insatisfaisant ou d’intolérable, et non pas de se contenter simplement d’exploiter avec un succès facile et prévisible le fait qu’un ordre quelconque est naturellement ressenti par l’individu comme une contrainte et une gêne dont le premier philosophe venu peut aisément faire ressortir le caractère injustifié, arbitraire et absurde ». (2)

Il ne s’agit pas ici de nier que l’État et les possédants tirent un profit stratégique majeur de la crise en cours sur le plan de la surveillance, de l’intensification du travail, de la financiarisation de l’économie. Ce que nous contestons, c’est qu’on puisse saisir utilement ces processus dans les catégories fumeuses d’Agamben. Et nous allons plus loin encore en affirmant que ces catégories entravent – et depuis longtemps – toute action contre ces processus.

La question qui devrait occuper désormais les fractions radicales du camp progressiste est celle de la définition du contenu effectif de la liberté et des moyens de son équitable répartition parmi nos semblables. Car la défense de la liberté à quoi nous enjoint Agamben, comment se présente-t-elle ? Il s’agit avant tout de défendre la liberté des riches qui ont dispersé le virus en Europe depuis les dancings de Verbier ou en jouant au beer-pong à Ischgl. Les caissières, les aides-soignantes, les paysannes, elles, n’ont eu que la petite liberté de continuer à bosser au mépris du danger (dont Agamben nie la réalité) pour assurer le retour le plus rapide possible de la grande liberté des managers qui intensifient leur travail, des patrons qui les sous-paient. Cette liberté théorique et totalement asymétrique, de moins en moins de gens voudront la défendre, et ils auront raison.

La devise « Bien-être & liberté » fut longtemps en vogue dans le mouvement ouvrier.(3) La liberté, en tant que telle, n’était la chose que des bourgeois. Quiconque avait son corps réellement engagé dans la lutte quotidienne pour la survie matérielle savait que la liberté n’était rien sans le bien-être, c’est-à-dire sans la condition de sa jouissance. Il y a là sans doute, au contraire de l’alternative dans laquelle le texte d’Agamben essaie de nous enfermer (bien-être vs. liberté), une piste sérieuse pour élaborer des programmes dont la radicalité n’aurait rien à envier aux doctrines en vogue.

Que, Didier Raoult (4), professeur d’université, directeur d’institut, proche du chef de l’État français, dise son admiration pour l’anarchiste autoproclamé Paul Feyerabend et sa théorie de destruction de la science (5) montre à quel point les théories obscurantistes se sont répandues beaucoup plus largement qu’elles n’auraient dû et servent actuellement les positions politiques les plus nauséabondes. L’ampleur de leur diffusion fait que la nécessité de rompre avec elles n’est pas que l’enjeu d’un débat fratricide au sein de l’extrême-gauche.

Et c’est pourquoi, comme les étudiants chinois révoltés de 1919 avaient choisi le slogan « À bas la boutique à Confucius ! » (6) pour désigner la rupture qu’ils entendaient opérer avec la vieille pensée obscurantiste, nous disons aujourd’hui : À bas la boutique à Agamben ! Bien-être & liberté !

(1) Jacques Bouveresse, _Le philosophe chez les autophages_, éd. de Minuit, 1984, p. 31.

(2) _Idem_, p. 36.

(3) Elle a été une des devises de la CGT, souvent représentée avec des mains croisées. Plusieurs groupes anarchistes et anarcho-syndicalistes en ont fait leur nom ou leur devise, par exemple le Groupe d’études sociales d’Alphonse Tricheux, membre de la CGT-SR.

(4) Au moment où nous écrivions ce texte, le lien Agamben – Raoult n’était qu’une intuition (mais oui, nous aussi nous en avons). Elle devait être confirmée par les dernières publications du philosophe sur quodlibet, puis lundi.am (édition du 27 avril 2020).

(5) Paul Feyerabend, _Contre la méthode_, 1975.

(6) Jean François Billeter, _Pourquoi l’Europe : réflexions d’un sinologue_, Allia, 2019, p. 52.

 

Santé, emprisonnement et coronavirus

Santé, emprisonnement et coronavirus

Le week-end du 3-4 avril 2020 a été marqué par deux mutineries à la prison de Champ-Dollon (Genève). Une quarantaine de détenu.e.x.s le vendredi puis une vingtaine le samedi ont refusé de réintégrer leurs cellules. Ce qui est extrêmement courageux compte tenu de la violence des mesures répressives dans un contexte carcéral. Leur mobilisation a été largement soutenue par les autres prisonnier.e.x.s depuis l’intérieur. La révolte réclamait un traitement digne et leur revendication principale était la libération comme moyen de lutte contre la propagation du coronavirus dans la prison. Un dispositif policier important a été mis en place autour et dans de la prison et les participant-e-s du mouvement du samedi se sont vu-e-s enfermer au cachot pour une durée de dix jours.

 

«  C’est bien joli de mettre en place plein de mesures contre la pandémie, si l’État maintient en même temps des pratiques anti-sanitaires et entretient des situations extrêmement propices à la propagation du virus. « 

Bien que la Tribune de Genève ait essayé de nous faire croire qu’iels voulaient simplement jouer au foot, c’est le cri de « Liberté! » qu’on pouvait entendre par-dessus les murs. La couverture médiatique désastreuse de ces événements invisibilise les raisons de cette revendication.

Voici quelques éléments pour comprendre en quoi la libération des prisonnier.e.x.s est une urgence mais aussi certains mécanismes à l’œuvre dans le refus des autorités d’aller dans cette direction.

Prison pathogène

Champ-Dollon est une prison de courtes peines, cela signifie que les détenu.e.x.s y purgent des peines de moins de six mois ou des peines préventives (en attente de jugement).

De plus, c’est une des prisons les plus surpeuplées d’Europe (597 personnes pour 398 places). Une grande partie des détenu.e.x.s y purge une peine pour infraction à la LEtr (Loi sur les étrangers). En effet, depuis les directives Jornot, on enferme à Genève pour simple infraction à la Loi sur les étrangers, c’est-à-dire que l’on considère les sans-papiers comme des criminels ; leur « crime » est de se trouver sur le territoire suisse. Ce qu’on appelle les délits « mineurs », qui sont punis par des peines relativement courtes, sont pour la plupart commis pour des raisons de précarité. De plus, impossible de négocier une caution si on n’en a pas les moyens. Il y a en effet beaucoup de personnes aisées qui évitent les courtes peines de cette manière, comme cet homme d’affaires qui a pu se protéger à la fois de la prison et du coronavirus. « On voulait le mettre en prison alors qu’il possède une villa ici et propose d’offrir toutes les garanties nécessaires», (…) Le prévenu a été libéré le lundi 16 mars moyennant le dépôt d’une caution. » (Le Temps, 03.04.2020)

Autrement dit, à Champ-Dollon on enferme surtout les personnes pauvres et les personnes en exil.

Notons que ces proportions ne sont pas le fruit du hasard mais bien les conséquences d’un système judiciaire qui stigmatise et criminalise toujours plus les personnes les plus précaires de nos sociétés. En effet, ce sont bien des choix politiques qui entretiennent le sentiment d’insécurité et le focalisent sur les personnes racisées, noires, pauvres, toxicomanes, en exil, déviantes (etc.). Le but étant de créer une société pacifiée et de maintenir le pouvoir du côté de ceux qui l’ont déjà.

Les personnes en situation de précarité sont aussi plus vulnérables en termes de santé, du fait de nombreux facteurs tels que la difficulté de l’accès aux soins, au repos, à une alimentation de qualité et en quantité suffisante…

La prison, de par sa structure même, est un environnement pathogène. Les corps et les esprits y sont soumis à un stress intense, au manque de sommeil, au manque d’exercice physique, à une bouffe dégueu et malsaine, à l’anxiété, à la promiscuité, etc.

Par ailleurs, on note une proportion de personnes atteintes par des maladies infectieuses (HIV, hépatites, tuberculose) plus forte qu’à l’extérieur (OMS, 2009). Le traitement des maladies chroniques est compliqué et mal assuré (diabète, hypertension artérielle, broncho-pneumopathie chronique obstructive).

Si en temps normal la prison comporte des dangers pour la santé, ceux-ci deviennent dramatiques lors d’une situation de pandémie. Ce qu’admet d’ailleurs le chef du service de médecine pénitentiaire de Genève, Hans Wolff, au sujet de sa décision d’abaisser l’âge-risque face au coronavirus à 60 ans: « à âge égal, les détenus montrent plus de maladies en raison d’un cumul de mauvais déterminants pour la santé. » . Il admet aussi que la surpopulation carcérale est un facteur aggravant. Ce qui ne l’a pas empêché d’accepter le transfert à Champ-Dollon de 5 personnes venant de Frambois, dont une contaminée par le cornavirus (Le Temps, 23.03.2020). Ces transferts sont en eux-mêmes une honte puisque Frambois est un centre de détention administrative, c’est-à-dire qu’on y enferme les personnes en attente de renvoi afin de pouvoir les mettre plus facilement dans un avion. Ces personnes se retrouvent alors, sans aucune raison, dans un établissement d’exécution de peine. Elles subissent du même coup une détérioration de leurs conditions d’enfermement, d’une « détention administrative » en attente de renvoi à l’enfermement dans une prison pénale.

Les directives du conseil fédéral face au coronavirus sont les suivantes: Porter un masque, porter des gants, ne pas se rassembler à plus de 5 personnes, garder une distance de 2 mètres avec les autres, ne pas sortir de chez soi. Des mesures impossibles à respecter dans un lieu qui enferme six personnes dans une cellule.

Justice sanitaire

Les juges et les procureurs font le choix de condamner, de transférer et d’enfermer au lieu de se concentrer sur les dossiers de libération conditionnelle. Il semblerait d’ailleurs que l’unique chose qui ait vraiment changé soit le ralentissement des procédures d’appel et de mise en liberté provisoire (Le Temps, 03.04.2020).

Alors que prisonnier.e.x.s, avocat.e.x.s et personnes de soutien martèlent la nécessité d’ouvrir les prisons, la justice, elle, fait la sourde oreille « Personne ne sort qui ne devrait pas sortir » (Olivier Jornot, procureur général). On croit comprendre qu’elle attend que la situation devienne dramatique, avant de prendre cette seule mesure préventive réellement efficace.

Ainsi le choix du système judiciaire de ne pas libérer les personnes enfermées entretient et alimente les aspects pathogènes de la prison, mettant en danger des vies.

C’est bien joli de mettre en place plein de mesures contre la pandémie, si l’État maintient en même temps des pratiques anti-sanitaires et entretient des situations extrêmement propices à la propagation du virus.

Alors que beaucoup de pays ont entrepris de libérer des prisonier.e.x.s (84 333 libérations pour six pays), que l’ordre des avocats de Genève demande également d’aller dans ce sens, que le canton de Berne a pris des mesures pour interrompre certaines peines et libérer toutes les personnes qui sont en semi-détention, Genève quant à elle maintient son système carcéral sans concessions.

La situation de pandémie dans laquelle nous sommes, fait ressortir les inégalités sociales et de classes: ce sont toujours les mêmes personnes qui sont enfermées, ce sont toujours les mêmes vies qui sont sacrifiées.

Malgré les risques que comprend la répression d’une mutinerie, malgré l’angoisse due à la pandémie, malgré la dureté des conditions de vie en prison, les détenu.e.x.s de Champ-Dollon et de plusieurs autres lieux d’enfermement en Europe, trouvent la force et le courage de se battre pour leurs conditions de vies et pour la liberté.

Force à elleux.

Solidarité avec toutes les personnes enfermées!

Liberté pour tou.te.x.s les prisonier.e.x.s!

PS: Si le coronavirus met en lumière certains défauts du système carcéral, il est essentiel de rappeler que la prison n’a jamais servi les buts qu’elle dit vouloir atteindre. Elle est un outil de contrôle et de répression. La prison est obsolète.

Pour aller plus loin : Angela Davis, La prison est-elle obsolète.