Le Suivi en continu va se terminer ici. Après un peu plus d’un mois de travail, il aura tenté de mettre en avant les nouvelles du front social et d’éviter une « déconnection » militante avec le cours des événements des dernières semaines. Nous n’arrêtons pas car tout va mieux et que la première vague est derrière nous, mais par manque de ressources et notamment la plus précieuse, la variable temps. Avec la réouverture prochaine du Silure vendredi prochain, une pesée d’intérêts implique l’arrêt de certaines activités chronophages.
Ce flux d’infos aura, nous l’espérons, permis de lutter contre un certain localisme politique qui perd de vue la situation d’ensemble, conséquence malheureuse du système fédéral de ce pays. Un regret est de ne pas avoir pu davantage parler du Tessin et des zones frontalières, par manque de temps et de contacts sur place. Le travail réalisé par les camarades français d’Acta.zone a été une inspiration directe et leur activité a été très soutenue durant ces deux mois. En comparant les deux rendus, un élément saute aux yeux: il y a eu bien moins de grèves, de révoltes carcérales et d’actions protestataires en Suisse. Des raisons historiques en sont la cause, mais plutôt que de se limiter aux moments les plus visibles, nous avons fait le choix de consigner aussi les prises de parole subalternes relayées dans la presse car l’expression est aussi une étape nécessaire à la construction d’une action commune. L’idée exprimée par George Jackson (1941-1971) lorsqu’il parle d’être « carnet et crayon à la main, pour essayer péniblement de déterminer ce que chacun peut faire pour la construction de la commune » (cité dans L’Assassinat de George Jackson, Groupe information prisons, Paris: Gallimard, 1971, p. 19) est toujours d’actualité. Mais elle devient plus exigeante à l’heure où la parenthèse de « journalisme social » dans (une partie de) la presse bourgeoise se referme, et que les appels aux sacrifices regagnent en visibilité. Enfin, précisons qu’il n’y a pas encore eu de travail de compilation systématique et complet des résistances sur le territoire suisse durant cette période, mais nous espérons que ce Suivi a pu donner quelques indications en ce sens.
Mercredi 13 mai
16h: Dans un article intitulé « La précarité accroît l’exposition au virus », la Tribune de Genève écrit : « Les personnes précaires sont ainsi 3,5 à 4,5 fois plus exposées au virus que la population globale du fait notamment de la promiscuité, mais aussi parce qu’elles accèdent difficilement au dépistage et qu’elles parviennent péniblement à respecter les règles d’isolement et de protection sanitaire. » S’il n’est pas inutile que le journal relaye ce type d’informations, ni que MSF et les HUG produisent des données sur le cas du Covid-19, rappelons qu’il ne s’agit pas là d’un scoop. Les mécanismes étaient déjà connus : dans diverses situations (logement, travail, accès à la santé), les personnes précaires en Suisse se voient imposer une promiscuité, doivent renoncer aux soins et subissent des inégalités d’accès à la prévention. A quand un changement de paradigme : on « découvre » à chaque fois la partie immergée de l’iceberg, la précarité et ses funestes conséquences, mais à quand une dénonciation des mécanismes qui les engendrent en vue d’y mettre fin ? (Source : Tribune de Genève)
9h: L’interdiction de se rassembler à plus de 5 personnes est-elle comptée? Alors qu’hier à Genève, un mineur s’est fait coffrer pour une action « 4m2 » (cf Le Courrier), des voix se font entendre dans les médias alémaniques pour la fin de cette interdiction. À Berne, Der Bund fait sa une et son édito sur le sujet. Le journal pense qu’il faut mieux avoir des manifs encadrées et négociées avec la police qu’une interdiction intenable sur le long terme. Le chef de la police Reto Nause est critiqué pour son zèle particulier à réprimer les rassemblements progressistes (1er mai et grève du climat). Même chose dans la NZZ qui prend aussi position contre l’interdiction des manifestations, tout arrive (lorsqu’on est mis sous pression) ! (source: La presse RTS La 1ère, Der Bund, Le Courrier, NZZ)
8h30: La plupart des prisons romandes à l’exception de celle de Crêtelongue en Valais ont rouvert leurs parloirs lundi dernier. L’association REPR (ex-Carrefour Prison) a fait un tableau sur son site internet avec les conditions qui varient d’une prison à l’autre (durée maximum, nombre de personnes admises, enfant ou pas, etc) (Source: REPR)
8h: Dans le journal Vivre Ensemble du mois de mai, un exemple concret de la politique de la conseillère fédérale K. Keller-Sutter (PLR) qui a choisi la poursuite des procédures d’asile, et donc des refus. On y lit le témoignage d’un requérant d’asile de 20 ans désespéré après avoir reçu une décision Dublin de renvoi vers la France alors qu’il était en quarantaine. Son compagnon de chambre a été testé positif au Covid-19. (Source: Asile(point)ch)
Mardi 12 mai
8h30: Comme à Nantes ou Toulouse hier, un rassemblement contre le retour à l’anormal est annoncé le samedi 16 mai à 11h devant le Centre hospitalier Arve Léman de Contamine-sur-Arve (Haute-Savoie). “Soutien aux Soignants qu’on applaudit depuis 2 mois, et qui vont maintenant avoir besoin de notre soutien actif pour revendiquer ce qui nous est tous dû: un hôpital public fort, des soins de qualité, des conditions de travail décentes, et des vrais salaires. En raison des conditions sanitaires actuelles, les rassemblements de plus de 10 personnes sont interdits. Cet interdit a probablement une vraie justification sanitaire, et par un heureux effet collatéral, il permet au gouvernement de nous empêcher de manifester. Vous êtes appelé.e.s à respecter strictement et ostensiblement les gestes barrières et la distanciation sociale. Il est également souhaitable que tout le monde porte un masque.” (source: chaîne de messages)
8h: Dans la NZZ du jour, un article sur la mauvaise gestion policière de la manifestation anti-confinement de samedi dernier. Le journaliste pense qu’il aurait fallu leur appliquer la même répression que lors du 1er mai ou contre la manifestation des « autonomes de gauche » (Linksautonome) en avril. (Source: NZZ)
Lundi 11 mai
13h: Le Temps publiait jeudi un article et un éditorial sur l’impact de la pandémie sur le marché de la santé en Suisse. Le marché de la santé a été construit, en Suisse, à marche forcée, entre 1980 et le début des années 2000. Aujourd’hui, l’essentiel des hôpitaux du pays sont des sociétés anonymes. Les produits que commercialisent ces sociétés consistent en une offre chirurgicale ultra-technique : pose de prothèses articulaires (+ 145 % de prothèses de genoux en dix ans), bypass gastriques, changement de valves cardiaques, ablation de la prostate, etc. Les robots qui assistent certaines de ces opérations, les infrastructures dans lesquelles elles se déroulent doivent être amortis et donc fonctionner à leur rendement maximum. Face à la pandémie, le Conseil fédéral a interdit ces opérations faisant perdre deux mois d’amortissement aux hôpitaux. Le 5 avril déjà, l’Hôpital cantonal des Grisons déclarait au TagesAnzeiger devoir emprunter pour payer les salaires.
Le Temps présente (malgré le titre [de l’édito]) la situation comme un problème collectif auquel il s’agirait de trouver une solution rationnelle. Or, il s’agit bien d’une lutte pour conserver les profits des actionnaires et les salaires du management des hôpitaux et des assureurs. C’est la voie choisie par Michel Guillaume, qui n’envisage qu’une piste : la couverture de ces centaines de millions de francs de déficit par la collectivité, via l’impôt ou via les primes d’assurances maladie. Guillaume réclame, dans l’édito, une baisse des primes et la dissolution des colossales réserves des caisses. Mais ces réserves, c’est bien par l’accumulation des primes qu’elles ont été constituées. C’est ainsi qu’après avoir vu leur temps maximal augmenté à 60 heures par le Conseil fédéral, les aides-soignantes hospitalières contribueront (en proportion de leurs revenus respectifs) en moyenne 100 fois plus au financement des hôpitaux que Pascal Couchepin ou Charles Kleiber. (source: Canal Telegram Détaché de presse)
12h: Contrairement à ce qu’on entend parfois, le statut de travailleurs·euses saisonniers n’a pas disparu en Suisse. La Liberté de samedi dernier cite une étude de 2014 selon laquelle « l’agriculture suisse a besoin d’environ 20 000 à 25 000 saisonniers étrangers chaque année. Ils viennent principalement de Pologne, du Portugal, de Roumanie et de France. » À Genève, un avion venu du Portugal a amené des saisonniers pour travailler dans les vignes: “141 travailleurs portugais ont atterri à l’aéroport de Genève en provenance de Porto”. (source: La Liberté, 20 minutes)
10h: Plusieurs manifestations anti-mesures d’urgence ont eu lieu à Berne, Saint-Gall et Zurich samedi dernier. Les photos sont assez éloquentes à Berne (le plus grand rassemblement avec près de 500 personnes), on y voit des adultes de tout âge, des parents venus avec leurs enfants, des personnes en fauteuil roulant et des hippies qui font de la méditation. Sur les panneaux, des messages “non à la dictature de la santé”, “vive l’amour et la liberté”, ou “les médias sont le virus”. Les manifestants ont refusé de se disperser pendant plusieurs heures et ont fait exprès de se tenir proches et de s’embrasser. Aucune arrestation mais beaucoup de contrôles par la police, qui était sur les nerfs. Le chef de la police Reto Nause (PDC), artisan bien connu de la répression des manifestations à Berne, a déclaré à la tv “mon cœur saigne d’un point de vue épidémiologique”. Plusieurs manifestants évoquaient aussi la défense du système politique suisse (démocratie semi-directe) contre le pouvoir sur ordonnance du Conseil fédéral. Il s’agit d’une lame de fond germanophone puisqu’il y a eu des manifs anti-confinement le même jour en Allemagne. La Berner Zeitung souligne que cela n’avait rien à voir avec une manif habituelle car il n’y avait pas de sonorisation ni de slogans. Pour le 20 Minuten, c’est un certain Alec Gagneux (sorte d’Etienne Chouard alémanique) qui est derrière cette manif, une affirmation sujette à caution car il paraît clair qu’il n’y avait pas d’organisateur au sens où on l’entend habituellement. (Source: Der Bund, Berner Zeitung)
8h: Les CFF ouvrent les toilettes des gares au public, sans système payant. Il aura fallu une pandémie pour que tout le monde puisse se laver les mains gratuitement… (source: RTS La 1ère)
Dimanche 10 mai
16h: Dans la WOZ de jeudi dernier, un article sur la répression du 1er mai à Berne et Zurich et leurs justifications politiques. Non, le Conseil fédéral n’a pas demandé de dissoudre toute manifestation, la preuve la répression a été différente d’un canton à l’autre; Novartis veut se racheter une image en distribuant des doses d’hydroxychloroquine dans le monde; portrait d’un requérant d’asile d’origine guinéenne et membre de l’Autonome Schule Zürich qui coordonne des distributions de nourriture dans les foyers; les aides à domicile venues d’Europe de l’est se retrouvent sans revenu. (source: WOZ)
Samedi 9 mai
18h: Les assurances maladies continuent de se gaver, et même plus avec les effets collatéraux de la pandémie. Dans la TdG de vendredi, un article parle des problèmes financiers des jeunes mères qui doivent casquer pour leurs frais médicaux post-partum car les cabinets sont fermés. Normalement, “une couverture complète des soins est assurée par la LAMal pendant les cinquante-six jours qui suivent l’accouchement. Or les mères qui ont accouché aux mois de mars et avril se sont retrouvées devant des cabinets fermés par la crise sanitaire. Les assureurs, eux, ne veulent rien entendre: pas question de prolonger le délai de couverture.” Il n’y a pas de petits profits dans ce système sans foi ni loi (source: Tribune de Genève)
13h: Encore quelques détournements d’affiches “Merci” à Genève. “A la violence du système carcéral. A la direction de Champ-Dollon qui envoie au cachot les prisonniers qui manifestent pour des conditions sanitaires dignes”, De nous faire découvrir la solidarité collective pour bientôt l’effacer sitôt les magasins ouverts”, “Aux dirigeant.e.x.s et aux patron.ne.x.s pour qui nous protéger restent dans leurs résudences secondaire pendant que d’autres continuent à travailler pour leurs profits”.