Sur un chantier pendant le semi-confinement : témoignage audio

Sur un chantier pendant le semi-confinement : témoignage audio

Témoignage d’un ouvrier sur un chantier pas à l’arrêt durant le semi-confinement, recueilli à Genève le 21 avril 2020.

« L’économie, c’est comme l’économie de notre patron. Nous on a pas envie d’être demain au chômage, alors faut qu’on continue à bosser pour que le patron il continue à s’en mettre. »

Détenu à Champ-Dollon au temps du Covid

Détenu à Champ-Dollon au temps du Covid

Un jour, la police m’a arrêté pour séjour illégal parce que je n’ai pas les bons papiers. Comme je n’avais pas payé les jours-amendes imposés pour ce genre de délits, on m’a mis en prison à Champ-Dollon.

Témoignage récolté en avril 2020.

« Et tous les soirs, les gens tapent aux fenêtres, font du bruit… »

Un jour, la police m’a arrêté pour séjour illégal parce que je n’ai pas les bons papiers. Comme je n’avais pas payé les jours-amendes imposés pour ce genre de délits, on m’a mis en prison à Champ-Dollon.

A Champ-Dollon, des informations sur l’épidémie, on en a en regardant la télévision qui ne parle que de ça. Une fois, le directeur de la prison a fait une annonce sur la chaîne de télévision mais je n’ai pas écouté. Moi au début de l’histoire, je me disais : on s’en fout, nous, on est déjà confiné de chez confinés !

Ici, on nous donne un masque différent chaque jour. Et on doit le mettre dès qu’on sort de la cellule. C’est obligatoire. On a aussi du savon en cellule et un accès au lavabo. On nettoie la cellule comme on veut, mais c’est nous qui devons le faire. On doit se servir du savon qu’ils nous donnent. Pour ma part, je n’en ai jamais manqué. Les gardiens, eux, ont tous des gants et un masque et ils prennent leur température quand ils viennent travailler. Les visiteurs reçoivent eux aussi un masque. Les visites, il y en a toujours mais ça a lieu à travers une vitre. On ne s’entend pas très bien. Il faut crier. Ils parlent de mettre en place un téléphone au parloir, comme dans les films américains.

« Les nouveaux détenus qui arrivent sont mis en isolement 14 jours. A ma connaissance, personne n’est testé. »

En théorie, quand on est à Champ-Dollon, on a accès à un médecin. Ça n’a pas changé. Comme je n’ai pas consulté, je ne sais pas si le temps d’attente est plus long. L’infirmière elle passe comme d’habitude, tous les jours. Et on a accès aux médicaments comme d’habitude. Par contre, l’accès aux assistants sociaux a été supprimé. Le social c’est important ! Pour demander des aides, pour préparer sa demande de conditionnelle. C’est un gros problème ! On ne peut accéder à eux qu’en leur écrivant. Et en plus pour l’annoncer, ils ont mis des affiches. Ça a été un problème parce qu’il y a plein de gens qui ne savent pas lire.

Les ateliers ont tous, soit été arrêtés, soit ont été réduits. Les gens qui étaient occupés par une tâche sont à présent dans leurs cellules mais je crois qu’ils continuent à être rémunérés. En tout cas, ça n’a pas donné lieu à des protestations. L’équipe nettoyage, elle travaille encore plus.

L’aumônerie est fermée. Il n’y a plus de prière, le vendredi non plus. Il n’y a plus de sport. A la promenade, les jeux de balles sont interdits . Pourtant on ne peut de toute façon pas trop respecter les distances ! Mais on a les masques à la promenade.

Les nouveaux détenus qui arrivent sont mis en isolement 14 jours. A ma connaissance, personne n’est testé. Quatre personnes seraient malades du coronavirus selon les rumeurs. On dit qu’ils seraient dans un étage spécial mais on ne sait pas grand chose.

« Les 3 et 4 avril 2020, j’ai entendu des tirs. Je pense que c’était des flashballs ou un truc comme ça. »

Il y a un mouvement de protestation à la prison. Les prisonniers demandent à être libérés à cause de l’épidémie. Avant le vendredi 3 et samedi 4 avril 2020, il y avait déjà eu des actions. Il y avait déjà eu un refus de rentrer à la promenade. Il y avait eu aussi une personne qui est montée sur les grillages, je ne sais plus quand c’était exactement. Ce n’était pas pour s’évader. C’était une action de protestation ! Le type est monté jusqu’au barbelé en haut du grillage. Il s’est blessé dessus. Je n’étais pas là, mais j’ai entendu. Et après coup, j’ai vu des traces de sang par terre. J’ai entendu dire qu’il a été mis 10 jours au cachot pour ça.

Les 3 et 4 avril 2020, j’ai entendu des tirs. Je pense que c’était des flashballs ou un truc comme ça. Quand il y a des mouvements de protestation, c’est l’habitude que les gens refusent de rentrer en cellule, les gardiens débarquent avec des bombes lacrymogènes. Cette fois, je ne crois pas qu’ils les aient utilisées. Ils les montrent ostensiblement pour faire peur. Toutes les personnes qui ont participé à la manifestation du vendredi 3 avril ont été mises au cachot pour 10 jours. C’est beaucoup ! Il y a même un détenu qui a été mis au cachot pour avoir simplement parlé durant la promenade. Il proposait aux autres détenus de faire une manifestation. Les gardiens l’ont entendu. Il a été mis direct au cachot, juste pour ça.

Une autre chose a changé depuis les manifestations : les repas. On les prend toujours en cellule, mais maintenant ils nous donnent uniquement des barquettes. Ce qui leur permet de nous les passer directement à travers la porte. Avant, ils ouvraient la porte et une personne avec le chariot repas nous servait. C’était mieux parce que tu pouvais demander un peu plus de ceci, un peu moins de cela. Maintenant ce n’est plus possible. T’as juste la barquette, déjà préparée.

Au début de l’épidémie, je n’avais pas vraiment observé de changement d’attitude de la part des gardiens. Mais depuis la deuxième manifestation, celle du samedi 4 avril, les gardiens sont sur le qui-vive. Ils ont doublé la garde aux promenades. Ils nous fouillent systématiquement avant de sortir à la promenade. Tout le monde y passe. Les gardiens ont des gants pour nous faire une fouille corporelle. La durée de promenade reste la même : une heure par jour. Ils ont en revanche changé les horaires parce qu’il y a plus de groupes. Le nombre de personnes est limité à 20 personnes à chaque promenade. C’est moitié moins que d’habitude. C’est étalé dans l’après-midi. Ils séparent les détenus d’origine albanaise du reste du monde, ça ils le faisaient déjà avant. Les manifestations ont eu lieu aux promenades des Albanais. Je pense que la limite de 20 personnes c’est pour pouvoir gérer en cas d’émeute. En même temps, je ne sais pas s’ils auront assez de place au cachot si ça continue.

Les gardiens font l’appel devant les cellules. Ça, ils ne le faisaient pas avant les manifestations du 3 et 4 avril. Les gardiens débarquent à la porte de la cellule, à trois ou quatre, avec des lampes. Ils nous appellent par nos noms, alors qu’ils savent très bien qu’on est là. C’est fait pour nous intimider…

Parmi les prisonniers tout le monde parle de faire des nouvelles manifs ! Et tous les soirs, les gens tapent aux fenêtres, font du bruit…

Passer la quarantaine dans sa voiture

Passer la quarantaine dans sa voiture

Je travaille dans un restaurant. Il y a deux semaines, lundi 9 mars, un de mes collègues était malade au boulot. Le lendemain, je l’ai appelé. Il m’a dit qu’il avait « la grippe ». A partir de ce moment-là, j’ai eu peur. Je me suis dit que je devais éviter tout contact avec des personnes avant de faire le test du coronavirus. J’ai dormi cette nuit-là, mardi, dans ma voiture.

Ce témoignage a été recueilli par téléphone le 23 mars 2020.

Mercredi matin, je me suis rendu à l’hôpital pour me faire tester. J’ai expliqué au docteur que j’habitais chez un ami. Il m’a demandé de rester à la maison jusqu’à ce que je reçoive le résultat. Je lui expliqué que je n’avais pas de maison, que j’habitais chez quelqu’un. Je me suis dit : « Si je suis positif, je ne peux pas aller là-bas ! ».

J’ai dit au médecin que j’allais dormir de ma voiture. Il m’a dit : « Ne vous inquiétez pas, je vais trouver une solution». Mercredi soir, j’ai à nouveau dormi dans ma voiture.

Jeudi 12 mars, j’ai appelé mon assistante sociale de l’Hospice générale. J’ai un permis F. Comme je travaille, je ne reçois pas d’aide. Mais ce jour-là, comme je n’avais pas le choix, j’avais besoin d’aide, je l’ai appelé. Et je lui ai dit que j’avais peut-être le coronavirus, que comme j’habitais chez quelqu’un je n’osais pas y retourner et que je dormais en ce moment dans ma voiture. J’ai lui ai expliqué que si je me rendais quelque part, je pouvais transmettre le coronavirus. Mon assistante m’a dit : « Il faut que tu ailles en France, dans un hôtel. » Je lui ai répondu que si j’allais dans un hôtel, j’avertirais que j’avais peut-être le coronavirus. Elle voulait que je ne dise rien, que je ne l’annonce pas à l’hôtel ! Je ne voulais pas faire ça, ce n’est pas correct ! Elle m’a aussi dit d’aller en France parce que l’hôtel y est moins cher. C’est moi qui aurait payé la facture. Mais mes papiers ne me permettent pas de sortir de Suisse ! C’est mon assistante sociale qui m’a dit ça ! Après elle m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire de plus pour moi. Du coup, je suis resté jusqu’au samedi 14 mars dans ma voiture. Durant cinq jours, j’ai dormi dans ma voiture. Finalement, dimanche, ce sont les pompiers qui m’ont trouvé un lieu : un abri de la protection civile.

« Ils m’ont juste dit: Restez chez vous et restez seul. »

 

Le vendredi 13 mars, l’hôpital m’a appelé pour me dire que j’étais positif.

J’ai appelé chaque jour l’hôpital : « Est-ce que vous pouvez me trouver un endroit où dormir ? Je ne peux pas sortir, je suis positif au coronavirus. » On me répondait : « On ne peut rien faire. » Mon assistante sociale disait : « On ne peut rien faire. » Personne ne pouvait rien faire.

J’appelais tous les jours à l’hôpital. Dimanche, les médecins m’ont finalement envoyé vers les pompiers. J’ai appelé les pompiers qui m’ont dit : « On va s’occuper de votre situation. »

Dimanche 15 mars au soir, ils m’ont donné l’adresse d’un abri de la protection civile. Ils ont ouvert ce lieu qui était vide pour moi. Je m’y suis rendu et j’y dors depuis dimanche dernier, depuis plus d’une semaine. Les pompiers m’ont juste dit de dormir à l’intérieur et m’ont amené à manger. Un autre homme, comme moi atteint du coronavirus, a aussi dormi là-bas avec moi. Ils fermaient derrière nous. On ne pouvait pas sortir. Nous on ne voulait pas sortir. Ils nous ont amené de la nourriture trois fois par jour. Durant une semaine, on n’est pas sorti.

J’ai passé une semaine dans ma voiture et une semaine dans cet abri de la protection civile. Normalement je dois quitter ce lieu aujourd’hui. Le docteur m’a donné un arrêt maladie jusqu’au 22 mars. J’ai encore appelé mon assistante sociale aujourd’hui. Je lui ai expliqué que l’ami qui me laisse habiter chez lui ne veut pas que j’y retourne encore parce qu’il n’est pas sûr que je ne sois plus contagieux. L’assistante sociale m’a redit qu’elle ne peut rien faire. La seule chose qu’elle m’a proposé c’est d’aller dormir dans un autre abri de protection civile avec 40 ou 50 personnes. Je n’ai pas refait de test pour savoir si je ne suis plus porteur du coronavirus. J’ai appelé le docteur mais il m’a dit qu’ils ne faisaient pas de deuxième test. Il m’a dit que je pouvais sortir. Mais il m’a quand même dit que je devais faire attention de ne pas être proche de gens pendant 20 jours. Et l’assistante sociale voulait m’envoyer dans un endroit où autant de personnes vivent ! Je suis resté une semaine dans ma voiture, exprès pour ne pas approcher des gens. Ce soir, je vais rester encore dans cet abri de protection civile vide. J’ai dit que je toussais. Je ne veux pas aller dans l’autre abri rempli de personnes. Les pompiers n’ont rien dit pour l’instant.

L’hospice et l’hôpital n’ont rien organisé pour moi. Je n’ai pas compris. Ils m’ont laissé dehors. Ils savaient que j’étais positif et que je n’avais pas d’endroit où aller. Ils m’ont laissé comme ça. Ils m’ont juste dit : « Restez chez vous et restez seul».

Si je ne faisais pas attention, imaginez ! Pendant les jours passés dans ma voiture, je n’ai pas mangé. Je n’avais même pas reçu de masque. Je ne voulais pas aller à la Migros, je savais que j’étais positif. Je n’ai rien mangé. Si j’avais approché d’une personne âgée ou d’une personne malade, j’aurais pu tuer quelqu’un.

Mercredi 25 mars, au téléphone, il raconte encore :

Mon assistante m’a appelé aujourd’hui pour me dire à nouveau que je devais aller dormir dans l’abri de la protection civile où dorment une quarantaine d’autres personnes. Alors que je ne sais pas si je suis toujours contagieux ? Je me sens mieux mais je ne sais pas. Elle veut m’envoyer dans un endroit où il y a 40 personnes !

De toute façon, l’abri collectif que mon assistante me propose, c’est une solution uniquement pour la nuit. La journée, ils s’en fichent! Qu’est-ce que je vais faire toute la journée ? Je vais rester dehors ? Pour fuir le froid, je n’aurai pas d’autre choix que de me réfugier dans ma voiture. Tout est fermé.

Cette nuit encore, je peux dormir dans l’abri de la protection civile vide où je dors depuis plus d’une semaine. Mais demain je dois aller me présenter à 19h dans l’autre abri où dorment beaucoup d’autres personnes. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas encore être au contact d’autres gens. Je ne suis pas encore sûr que je ne peux pas transmettre le virus !

Je n’ai jamais demandé d’argent à l’Hospice. Je travaille et je paye mes assurances et mon loyer moi-même. La seule chose que je demande en ce moment c’est de m’aider dans cette situation du coronavirus. L’unique chose que je demande à l’Hospice c’est un endroit pour cette période difficile à passer! Et eux, ils ne veulent pas m’aider! Leur seule proposition, c’est un abri de la protection civile rempli de gens.

Jeudi 26 mars, au téléphone, il raconte encore :

N’ayant toujours pas trouvé de solution, je vais dormir à nouveau dans ma voiture cette nuit….

Une infirmière avec les mineurs en exil

Une infirmière avec les mineurs en exil

Tout a commencé à l’occupation du Grütli. Le 13 janvier 2020, quand j’ai appris qu’il y avait cette occupation, j’y suis allée et j’ai rencontré des MNA, des mineurs non accompagnés qui devraient être pris en charge par le SPMI, le Service de protection des mineurs. J’ai été extrêmement frappée par la mauvaise santé de ces jeunes. Ils montraient vraiment des signes de détresse terrible. Je découvrais que plusieurs d’entre eux avaient fait des tentatives de suicide. Certains avaient des attelles qui masquaient les blessures volontaires faites avec une lame. On sentait un désespoir et une tristesse qui n’étaient pas nommés. Mais les jeunes étaient là, malgré toute la difficulté que représentait leur situation.

Témoignage sur l’accès à la santé des jeunes MNA recueilli par téléphone le 19 mars 2020.

« Parmi les professionnels, très peu percevaient que ces jeunes souffraient. »

Ils m’ont identifiée comme soignante grâce à la première occupation, parce qu’un des hommes présent à cette époque leur a parlé, en arabe. Je ne sais pas ce qu’il leur a raconté. Mais tout de suite après, le jour même, ils sont venus vers moi pour me demander soit des médicaments, soit de l’aide. Avec par moment, des cris de désespoirs, comme ceux d’un jeune asthmatique, par exemple. Il y avait des problèmes d’infection urinaire, d’asthme, de gale, d’épilepsie et une fracture de la racine des dents ; et beaucoup de petits problèmes, comme des maux de tête, de dents ou autres.

Je dois dire que cette occupation du Grütli a été beaucoup plus éprouvante pour moi que la précédente, il y a 4 ans. Parce que les ados, ce sont vraiment des ados quoi. On peut les aider à obtenir les médicaments dont ils ont besoin. Comme le petit qui avait de l’asthme, il était tellement soulagé qu’il s’est jeté dans mes bras et qu’il a pleuré. Il a pleuré comme un enfant. Pourquoi ? Je ne l’ai jamais su. Il n’a jamais pu parler. C’est très violent cette histoire. Ce petit-là, il a disparu. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé.

A partir de ce moment, j’en ai amené quelques uns à l’hôpital. Très vite, je me suis aperçue que ces jeunes faisaient peur. Une femme médecin m’a confié qu’elle avait peur d’eux. Une infirmière m’a aussi demandé comment je faisais. Quand une médecin vient exprimer cette crainte, elle le fait gentiment, même si elle a peur. Mais je trouve plus honnête de le dire, que d’être agressive ou de les envoyer paître. Ce n’est pas facile pour les soignants s’ils ont peur…

De plus, ces jeunes sont souvent catégorisés comme étant des menteurs. On leur oppose tout de suite qu’ils sont plus vieux que ce qu’ils affirment ; alors que certains ont des papiers quand même, où ils peuvent prouver qu’ils ont 15 ans, 17 ans. Et le problème n’est pas leur âge !

On se trouve avec certains jeunes qui ont certainement des problématiques d’ados. L’un dit qu’il ne sait pas quoi faire, qu’il aimerait travailler comme ferblantier, mais il n’est pas reconnu. Il n’a pas de débouché pour trouver du travail, une école ou un apprentissage. C’est assez désespérant.

« Quelle vision on a des ces jeunes ? Qu’est-ce qu’on leur offre ? On leur montre la peur qu’ils inspirent et ils le ressentent très fort. »

Enfin, ils sont souvent taxés de polytoxicomanes. Alors que si ceux que j’ai rencontrés fument parfois des joints, tous ne prennent pas des drogues dures. Ça devient très compliqué pour eux de faire valoir qui ils sont. On ne les respecte pas. C’est faire fi de leur souffrance à ces jeunes, de les mettre uniquement dans la case « toxicomanie ». Un petit gars avec qui j’étais en route pour l’hôpital a croisé des connaissances qui lui ont proposé de fumer un joint. Il m’a interrogée : « Je peux ? ». « Si tu me le demandes, je vais te répondre non ; mais tu es assez grand, tu fais ce que tu veux », j’ai répondu. Il m’a dit : « T’as raison. » Il est resté avec moi ne m’a pas quittée jusqu’au soir. Donc je sais qu’il n’a pas fumé. On prétend quand même qu’il est toxicomane. Il confie que quand il fume un joint le soir ou par moment, ça le détend. Ils ont de telles vies ! Je ne suis pas en train de nier que de la drogue circule, mais je peux comprendre que quand ils n’ont pas à manger, ça calme aussi. A part le shit, le petit gars m’a dit qu’il avait arrêté et l’alcool et les drogues dures depuis longtemps. Et lui, il ne prenait pas de médicaments.

Quelle vision on a des ces jeunes ? Qu’est-ce qu’on leur offre ? On leur montre la peur qu’ils inspirent et ils le ressentent très fort. Un événement illustre cela : lorsque les jeunes MNA ont été accompagnés au SPMI à la fin de l’occupation du Grütli, des voitures de police ont tout de suite rappliqué avec leur sirène autour du bâtiment. J’ai été surprise, d’autant que la Ville avait promis de ne pas appeler la police, à moins d’événements graves. Et les jeunes s’étaient tranquillisés. Il faut savoir qu’ils craignent la police, et aussi les gens qui ont peur d’eux…

Après l’occupation

Un matin à 8h, je suis allée chercher un jeune à l’hôtel où il avait été logé par le SPMI. Un petit jeune qui avait la gale. Je lui ai dit : « Viens, lève-toi, il faut qu’on aille à l’hôpital, aux urgences. » C’était vraiment l’ado qui répondait : « Mais… je veux dormir ! » « Non allez, tu te lèves.. », j’ai insisté. « Non, après! », il a encore essayé. Puis, il s’est levé et je lui ai demandé : « Tu prends un petit déjeuner ? » Il a dit : « Non ». Je lui ai conseillé de se nourrir : « Écoute on sera à l’hôpital à 8h30, mais je ne sais pas combien de temps ça va durer pour qu’on voie un médecin, pour qu’on puisse te donner un traitement. Mange quelque chose. » Alors il a pris une banane. J’ai pensé : c’est toujours ça dans son estomac. Nous sommes partis et le réceptionniste de l’hôtel nous a rattrapés : « Ah non, non, non, il n’a pas droit à un fruit ! S’il veut un fruit, il doit payer ! Il faut qu’il paye sa banane 1.-. » Finalement, le gars a lâché : « Bon, ça ira pour cette fois. » Et nous avons pu partir avec la banane.

Effectivement, nous sommes arrivés à l’hôpital à 8h30 et en sommes sortis à 18h. Parce qu’on te donne un ticket et qu’il faut attendre ton tour ; il y a tellement de monde à l’hôpital. On lui a diagnostiqué la gale, comme à plusieurs de ces jeunes. D’ailleurs, j’ai constaté qu’il y avait un problème de santé publique. Ce qui aurait dû être fait ? Ceux ayant la gale auraient dû pouvoir rester à l’hôtel où ils dormaient pendant le traitement ; ensuite, une fois traités, on aurait pu éventuellement les changer de lieux et désinfecter les chambres. Au lieu de cela, ils ont dû aller dormir dans des sleep-in. Après avoir été diagnostiqués, le SPMI en a sorti certains de l’hôtel pour les mettre dans des dortoirs communs ! Tu augmentes le risque de transmission en agissant de cette manière. C’est une maladie transmissible, par contact. Le traitement devrait se passer ainsi : tu prends tes pilules le matin ; 8h après tu te douches, tu laves tes cheveux, tout ton corps et ton linge, et tu reprends quatre pilules. Donc il faut des produits pour se nettoyer, puis mettre des habits qui n’ont pas été en contact avec la maladie. Les habits propres, nous les avons obtenus grâce à un bon donné par le CSP.

« Qu’est-ce qu’ils attendent en venant ici ? J’ai vu des jeunes détruits. Est-ce qu’ils étaient déjà détruits dans leur pays ? Je ne sais pas. »

Un jeune a fait des chutes. Il disait qu’il était épileptique, qu’au pays il prenait des médicaments contre l’épilepsie. Depuis mi-janvier, il n’avait toujours pas été diagnostiqué. On ne savait pas. Il devait aller consulter dans deux semaines en neurologie. Malheureusement, j’ai peur qu’entre-temps on l’aie perdu. Je ne l’ai pas revu. Il y a une lenteur impressionnante dans les soins pour cette population. La médecine est fractionnée. Quand tu amènes quelqu’un comme ça aux urgences, on va te dire : « C’est possible que ce soit une gale, mais peut-être pas. Il faut donc revenir la semaine prochaine à telle heure, tel jour, à la permanence de dermatologie pour confirmer le diagnostic. » Tu as déjà perdu une semaine. Ils ont des doutes sur le diagnostic. Il y a toute une machine, des directives, une médecine parcellaire… Ce ne sont pas des médecins généralistes, ils procèdent par spécialité. Ensuite seulement, on te donnera les médicaments et vu les conditions dans lesquelles vivent ces jeunes… Plusieurs d’entre eux, on ne sait pas s’ils ont pu soigner leur gale.

J’ai trouvé que parmi les professionnels, très peu percevaient que ces jeunes souffraient. Quand ils sont agressifs, c’est souvent parce qu’ils ont faim ! Et comme ils ne reçoivent rien à manger… En même temps, moi je les trouve assez passifs ; de temps à autre, il y en a un qui pète les plombs mais très vite, il se calme. Les problèmes de santé, la nourriture en insuffisance, les liens avec ces jeunes ne sont pas assez discutés dans le milieu médico-social. On évoque le fait que ce sont des Algériens. C’est vrai… Mais pourquoi ? Ce serait intéressant de savoir pourquoi. Qu’est-ce qui se passe… Certains dorment dans des salons lavoir et d’autres dans des sleep-in. Ils ne se sentent pas bien ; ils ont peur la nuit, parce qu’il y a parfois des violences. Ils ne se sentent pas en sécurité. Parlons de leurs besoins : des lieux où dormir mais aussi où vivre, une sécurité alimentaire, des soins et être scolarisés ; eux, ils en causent tout le temps de l’école. Je pense qu’ils auraient besoin d’avoir un foyer, de pouvoir raconter leur histoire.

Qu’est-ce qu’ils attendent en venant ici ? J’ai vu des jeunes détruits. Est-ce qu’ils étaient déjà détruits dans leur pays ? Je ne sais pas. L’un d’eux m’a expliqué qu’il n’avait plus peur de rien depuis qu’il a fait la traversée de la Méditerranée dans un petit bateau.

Il y en a qui parlent très mal le français, parce qu’ils ont vécu dans la campagne en Algérie et ne sont pas allés à l’école. Ils sont démunis. Il faut maîtriser la langue pour se faire comprendre et se débrouiller. Les médecins leur prescrivent des antibiotiques, par exemple, sans expliquer où ils peuvent les obtenir. Ces jeunes, qui sont des mineurs non accompagnés, n’ont pas d’adresse, pas d’argent, pas d’assurance maladie. Le médecin doit mettre un signe sur l’ordonnance, les envoyer à la pharmacie du cœur qui se trouve dans un autre bâtiment de l’hôpital. Là, une infirmière leur donne le médicament, mais si l’hôpital ne l’a pas, il faut aller à la pharmacie Bedat, en face de la rue Voltaire, pendant les heures d’ouverture. Lorsqu’on les accompagne dans les différentes phases, ils réussissent à obtenir les médicaments. Mais beaucoup de jeunes, qui vont seuls à l’hôpital, en sortent seulement avec des ordonnances. Certains disent qu’ils en ont marre, ils sont découragés et j’en ai vu plusieurs qui n’arrivaient pas à obtenir de traitement. Mon expérience est que si on ne les accompagne pas, on n’arrive pas toujours à les soigner, ni même à comprendre ce qui leur arrive.

« Nous avons signalé le problème au SPMI : vu son état dentaire, il ne pouvait pas manger de sandwich. On nous a répondu que son certificat médical était échu, mais que de toute façon il recevait des repas hachés. »

Il y a aussi ces phrases que j’ai entendues : « Si vous croyez que votre malheur m’intéresse, vous vous trompez ! », prononcées par des gens qui se prétendent professionnels, qui ont une mission de santé. Parfois, à l’hôpital, il m’est arrivé de demander si le médecin ne pouvait pas mettre directement le tampon de la pharmacie du cœur permettant d’obtenir ainsi les médicaments gratuitement, et qu’on me réponde : « Vous n’avez qu’à les payer vous, les médicaments ! » Je sais pourtant qu’ils y ont droit… Je suis têtue.

Par contre, il y a des services où le personnel est sensibilisé à cette problématique comme la CAMSCO où, avec toutes leurs difficultés, les patients sans statut légal sont reçus par des infirmières et des docteurs qui les écoutent. Et ça change beaucoup la prise en charge. La difficulté à la CAMSCO est qu’ils prennent seulement 30 personnes par jour. Tu dois aussi attendre. L’infirmière fait un pré-diagnostic et soit ils peuvent te soigner sur place, soit ils t’envoient à l’hôpital. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de respect, par rapport au personnel soignant. Du respect et un bon accueil. Certains parmi les professionnels sont nerveux, c’est normal, mais ils n’instaurent pas tout de suite un rapport de force. Ce respect semble aussi insufflé par le médecin chef. Les soignants peuvent peut-être exprimer quand ils en ont marre. De plus, des analyses se font : si une situation avec des jeunes se révèle difficile, c’est parce que ces derniers souffrent et non pas parce que ce sont des voleurs, des profiteurs, des toxicos. Ils pratiquent une médecine plus humaine.

Depuis que le coronavirus s’est déclaré

 

Il y a quelques jours, je me suis inquiétée pour un jeune qui a les dents cassées suite à une agression subie début janvier 2020. Je l’ai appelé vers 23h. Il m’a dit qu’il avait faim, qu’il n’avait pas mangé. J’ai eu de la peine à déterminer depuis quand ? Depuis le matin de bonne heure, depuis le petit déjeuner à l’hôtel où il est logé. Je me suis renseignée sur les directives, parce qu’il y en a toujours de nouvelles. On m’a affirmé qu’ils avaient droit au petit-déjeuner, ainsi qu’à deux sandwichs par jour pendant la semaine et 30.- de bons Migros le week-end ; je ne sais pas ce qu’on peut faire avec si peu ! Mais ce sont les nouvelles normes parce qu’avant, ils avaient seulement les petits-déjeuners. A 23h, il n’avait quand même pas mangé. Le petit gars m’a dit qu’il avait faim et je n’aurais pas supporté de lui répondre : « On verra demain ! » J’avais justement acheté pour lui des lasagnes et des boissons protéinées en pensant : quand il ne peut pas manger, au moins qu’il ait ça. Je les lui ai apportées à l’hôtel.

Nous avons signalé le problème au SPMI : vu son état dentaire, il ne pouvait pas manger de sandwich. On nous a répondu que son certificat médical était échu, mais que de toute façon il recevait des repas hachés. Alors nous lui avons demandé de photographier son repas et à midi, il a effectivement reçu des nouilles qu’il pouvait avaler, mais le soir…. à nouveau un sandwich ! Donc l’observation par le SMPI de leur situation est faite du bout des lèvres… On sent le mépris ! Évidemment, on va te rétorquer tout de suite qu’il n’a pas exprimé correctement sa demande. Et comme il y a un problème de langue avec lui – parce qu’il ne parle pas le français – c’est un peu plus difficile. Finalement, c’est un médecin d’une association qui est intervenu en faveur de ce jeune.

Actuellement, des lieux d’accueil de nuit s’ouvrent à cause du coronavirus, mais pas parce que la situation des gens est problématique. C’est pour lutter contre la contamination… Ça provoque des situations dramatiques, car ces lieux sont ouverts de 21h environ jusqu’à 7h du matin. Et là journée, ils vont où ? Dans la rue ? Il n’ont même plus la ressource de pouvoir se tenir au chaud à Globus, à la Placette ou dans un autre magasin. Tout est fermé à cause de l’épidémie. Alors on les laisse à la rue. Je ne comprends pas.

Le jeune à qui j’ai apporté à manger, à minuit, quand il m’a vue avec la nourriture, il m’a sauté dessus, il m’a pris dans les bras et m’a embrassé le sommet de la tête. Ah ! J’ai réalisé qu’il n’était pas au courant… Ce qui me fait dire qu’on devrait les rassembler et leur donner une information médicale structurée, avec traduction, sur le coronavirus et ce qui se passe actuellement. Je suis sûre que certains ne comprennent pas la situation. Le petit jeune ne sait pas pourquoi on ne doit pas m’embrasser. C’est une population délaissée…

 

 

 

« Faire au mieux » dans les Établissements publics pour l’intégration

« Faire au mieux » dans les Établissements publics pour l’intégration

Je suis éducateur. Je travaille aux EPI, les Établissements publics pour l’intégration, dans une résidence et je m’occupe d’adultes avec des troubles psychiatriques et des troubles du comportement associés. Je m’occupe de les accompagner dans les gestes de la vie quotidienne. Et, en même temps, je poursuis avec eux des objectifs d’apprentissage visant à atteindre un certain degré d’autonomie.

Ce témoignage a été recueilli par téléphone le 20 mars 2020.

« Il n’y personne qui a le courage de prendre les bonnes décisions. »

On parle beaucoup d’autonomie dans mon métier. C’est ce que j’essaye de faire avec ces personnes-là, l’apprentissage de l’autonomie au jour le jour, dans les gestes quotidiens, dans les petits soins de base. Cela peut aller d’apprendre à lire et à écrire, à savoir comment demander les choses, comment se comporter dans des situations de la vie sociale. Il arrive aussi que certaines personnes n’aient pas forcément les notions d’hygiène de base : hygiène intime, dentaire, les oreilles, la peau, les cheveux … Il s’agit de leur faire comprendre les risques d’une mauvaise hygiène pour la santé.

En étant éducateur, on a une proximité physique. On est chez eux, à leur domicile officiel. On est là pour leur toilette, pour s’occuper d’eux dans leur chambre. S’il le faut, on fait « la petite toilette ». On prend le gant de toilette et s’il faut essuyer des fesses, on le fait. S’il faut nettoyer la chambre parce qu’ils ont uriné dedans, on le fait. S’il faut changer les alèses, les nourrir, préparer à manger, on est là. Donc on est en contact, on se frotte.

« En ce moment, chez nous, un tiers des professionnels sont présents et deux-tiers absents. »

Cette semaine, à partir de lundi 16 mars, c’était de la folie. Ça s’est complètement dégradé pour les collègues le week-end du 14-15 mars. Dans mon groupe de collègues, l’une était malade, l’autre avait de la fièvre, un autre à 7h du matin prévenait qu’il ne pouvait pas venir, pour finir une collègue qui se sentait plus ou moins bien s’est rendue au travail, mais elle a été renvoyée à la maison pour éviter tout risque… La direction et les chefs, ils nous ont envoyé en renfort des collègues du pool de remplacement et des centres de jour. Il faut dire qu’en ce moment, chez nous, un tiers des professionnels sont présents et deux-tiers absents.

En logeant ici les résidents signent un contrat qui stipule qu’ils doivent travailler un certain pourcentage, environ deux à trois jours par semaine. Ce sont plutôt des activités occupationnelles. Et selon leurs possibilités dans l’optique de dynamiser le travail éducatif qu’on fait déjà en résidence. Ces derniers jours, les collègues du centre de jours ont très peu de participants puisqu’il y a plein de gens qui restent dans leur résidence. La direction, ils nous envoient ces collègues en renfort. Mais c’est très désagréable pour les résidents qui sont des personnes avec des troubles psychiatriques, avec des diagnostics comme « borderline, bipolaire, schizophrène ». Les changements de cadre, d’ambiance, de visages, ce n’est pas forcément ce qui leur réussit le mieux. Par conséquent, ils sont assez perturbés et un peu tous les troubles de comportements ressortent. C’est pas super agréable à vivre pour eux surtout, mais aussi pour nous, ça se transmet ce genre d’ambiance. Néanmoins répartir le personnel, c’est une gestion assez rationnelle et logique que je comprends. Le problème n’est pas là.

Ce que je ne comprends pas, par contre, c’est qu’on nous impose certaines règles mais sans nous donner les moyens de les appliquer. Il y a le corona virus et on a juste des gants. C’est tout ce qu’on a, juste des gants en plastique qu’on utilise aussi pour faire des sandwichs ! Je ne sais pas si ce sont les gants les plus adaptés… On n’a pas de masques. On en avait zéro! J’ai réussi à m’en faire donner six ou sept par la médecin d’une résidente. Je pense qu’elle a eu pitié. Elle nous a posé la question gentiment. Elle, elle en a eu grâce aux HUG. Sinon ici, on n’a rien reçu ! En plus, on n’a pas de thermomètres car ceux que l’on a sont cassés ou peu fiables. Et tout est tellement lent pour avoir quoique ce soit, parce qu’il faut passer par la hiérarchie. Ça doit être validé par le chef du service, qui passe au chef du secteur, qui envoie à la direction générale. Et si c’est validé c’est renvoyé. Là ils font la commande. Ça prend des plombes. C’était déjà ainsi avant que ça éclate le coronavirus. Donc si on a des doutes on ne peut pas prendre la température. Par exemple, on a une résidente qui a plusieurs diagnostics posés, elle est un peu hypocondriaque. Elle joue un peu là-dessus. Mais je suis allé chercher un thermomètre dans un autre lieu. Alors que là-bas, il y avait une personne qui était potentiellement contaminée par le coronavirus. J’y suis allé avec le masque. J’ai pris un maximum de précaution… tout ça pour aller chercher un thermomètre. On lui a pris la température, elle avait 37,8, ensuite 37 puis 36,5. Elle se forçait un peu à tousser. Elle disait avoir mal. Dans le doute, on a décidé de l’isoler des autres et de la faire manger toute seule. On ne savait pas trop quoi faire.

On doit rester confinés. C’est difficile de respecter les distances car les appartements sont petits. Et puis cette règle-là, pas plus de cinq personnes, elle n’est pas respectée. On est souvent plus de cinq personnes à la cafétéria. Maintenir la distance, c’est pas forcément évident. Les collègues en général ne sont pas très contents. Nous, ici, on est dans cette situation de gestion de la misère. Et les autres, ceux qui ne peuvent pas travailler, n’ont pas leurs heures.

« Alors on devient fataliste, on se dit tant pis: je vais juste faire ce que je peux faire, le mieux possible, mon travail. C’est un peu la situation depuis une semaine. »

Pour l’instant on ne sait pas trop s’ils seront payés. C’est en train de se décider. Les décisions tombent au jour le jour. Aujourd’hui, les EPI ont décidé qu’ils allaient bloquer la comptabilité des heures de travail en l’état, comme c’était au 12 mars. Je n’ai pas très bien compris. S’ils remettent tout à zéro. S’ils ne comptabilisent plus rien. L’information arrive au compte-gouttes et c’est flou. On n’a pas de communication claire. On reçoit mille emails du conseil fédéral, du médecin cantonal, les articles de loi. Je sais que les syndicats ont vu la direction générale hier pour essayer de fluidifier l’information.

Il y a des collègues frontaliers. Il leur faut 3h30 pour arriver au boulot. Ces 3h30 pour arriver au boulot est-ce qu’elles seront comptabilisées ? Est-ce qu’elles seront perdues ? Est-ce qu’ils devront les rattraper ? Il y a plein de collègues qui ne sont pas rassurés. C’est un peu la crise. C’est super mal géré. La direction, ils sont en retard, en retard total. Il n’y a personne qui a le courage de prendre les bonnes décisions.

Il y a des ateliers de production qui sont encore ouverts ! L’idée, c’était que pour éviter de faire prendre les transports publics aux participants on transportait les ateliers de production dans les résidences puisque la majeure partie des participants à ces ateliers habitent dans des résidences. Les « externes » – ceux qui ne sont pas en résidence – ne viennent quasi plus. Depuis lundi, les ateliers de production ont été déplacés où sont les résidents. Donc on concentre encore plus les gens. Et ils continuent à faire des bougies, des petits tableaux, des choses en bois qu’ensuite les EPI vendent habituellement dans leur boutique. A mon avis, fermer les ateliers de production,c’était une des premières choses à faire. Ces collègues-là soit tu les envoies en renfort, soit tu les laisses à la maison.

Mais c’est surtout le manque de matériel qui craint! Toutes les deux heures, j’essaye de désinfecter les poignées de porte, j’aère quand je peux, je jette les sacs poubelles le plus vite possible. La partie éducative dans tout ça, je l’oublie. Je ne peux pas faire d’activités. Je ne fais pas mon boulot. Je fais du gardiennage. Ils sont levés, ils sont douchés, ils sont médiqués, tout va bien. En plus, on doit gérer les familles qui appellent. Elles veulent naturellement savoir ce qui se passe, ce qu’elles doivent faire, est-ce qu’il y a un droit de visite ou non, est-ce que c’est risqué ou non?

La direction, ils nous ont envoyé des email avec les directives du médecin cantonal. On a affiché plein de posters avec les trucs classiques : tousser dans les coudes, se laver les mains toutes les 2h ou utiliser du désinfectant. Ça, au moins, on en a des bouteilles de désinfectant! Mais les stocks vont bientôt finir et on ne sait pas quoi faire après. On est là pour s’occuper des résidents. On n’a pas le temps de se poser tranquillement et de réfléchir à chaque situation posément. Tout est fait dans la confusion. Une fois, la direction donne une information et le lendemain, ça a changé. Pour les visites comme pour les masques. Les masques, au départ on devait les mettre tout le temps, et puis non finalement, uniquement si on est contagieux; le masque est utilisable pendant 8h même si c’est humide, ah non si c’est humide, tu l’enlèves…

Alors on devient fataliste, on se dit tant pis: je vais juste faire ce que je peux faire, le mieux possible, mon travail. C’est un peu la situation depuis une semaine.

J’espère que les autres collègues vont revenir… On ne sait pas quand : il y a deux collègues qui avaient les symptômes du corona mais ils n’ont pas été dépistés, les dépistages sont réservés aux personnes à risque pourtant elles a ont tous les symptômes du corona. D’ailleurs tous les collègues malades sont un peu dans ce cas-là. Si ça se trouve, c’est juste la grippe. C’est aussi flou de ce côté-là. Ils ne testent pas aux EPI, comme ailleurs, ils n’ont pas les moyens.