Derrière les barreaux sous le coronavirus en Colombie

Derrière les barreaux sous le coronavirus en Colombie

Deux leaders sociaux colombiens en détention préventive, José Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño, racontent comment la crise carcérale causée par la pandémie de coronavirus les affecte. Depuis les froides cellules en béton d’une prison de haute sécurité à Bogota, ils passent en revue les revendications et les luttes historiques du département de l’Arauca ; ils racontent pourquoi et comment ils ont été arrêtés et transférés dans cette prison située à plus de 600 km de leur domicile.

Cet article est le premier de la série « criminalisation et punition en prison, sous Covid 19 ». Témoignage recueilli par Mario de los Santos.

« À Bogota, dans la prison de la Modelo, 83 personnes détenues ont été blessées et 23 autres assassinées, après que les gardiens ont ouvert le feu en prétextant une tentative d’évasion. »

Les prisonniers du complexe pénitentiaire « La Picota », à Bogota, ont participé à différentes actions de protestation contre le risque de propagation du coronavirus en prison : cacerolazos (manifestation bruyante), grèves de la faim, messages à l’opinion publique… Leurs revendications sont rédigées en cinq points, mais se résument à une seule : être traités comme n’importe quelle autre personne en ces temps de Covid 19. Ils demandent du matériel de protection, des gels, des moyens de désinfection, des soins, de l’assistance médicale. Ils veulent une administration à l’écoute de leurs difficultés et de leurs craintes, qui accepte de dialoguer pour trouver des solutions. Ils n’oublient pas que le 21 mars dernier des protestations, qui visaient à rendre visibles ces revendications, ont eu lieu dans plus de 24 prisons du pays. À Bogota, dans la prison de la Modelo, 83 personnes détenues ont été blessées et 23 autres assassinées, après que les gardiens ont ouvert le feu en prétextant une tentative d’évasion.

Parmi les détenus se trouvent José Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño. Leur histoire commence bien plus tôt, à Saravena, dans le département d’Arauca, à la frontière du Venezuela, en octobre de l’année dernière.

Pour les comprendre, il faut peut-être remonter plusieurs décennies en arrière. À l’époque, les terres où vivent José et Jorge étaient apprivoisées par de simples « colons » portant ponchos et chapeaux. Ces terres qui se trouvent dans les plaines de Sarare, une région encastrée dans les immenses paysages des épaules de l’Amérique latine, ont été abandonnées par l’Etat colombien.

Ce n’est qu’en faisant ce rappel historique que nous pourrons identifier un territoire qui s’est créé par lui-même. Il se trouve à la frontière lointaine de deux États, la Colombie et le Venezuela ; états qui par manque d’intérêt sont incapables de répondre aux besoins de ce territoire. Un territoire dans lequel de nombreuses personnes persécutées par la politique de Bogota ont fini par aller chercher une autre vie. Mais l’opposition politique et armée y est aussi arrivée : d’abord les guérillas libérales dans les années 50, puis les insurgés des ex Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC), aussi bien que ceux de l’Armée de Libération Nationale (ELN).

Le Sarare a été bâti grâce à l’effort collectif de ses habitants. Les écoles, les hôpitaux, les voies de communication, les entreprises communautaires de gestion de l’eau et des déchets, tout a été construit par ses habitants. Lorsque l’État colombien y est finalement apparu dans les années 70, suite à la découverte de réserves de pétrole, il a choisi la stratégie de la peur, et a militarisé la zone pour procéder à l’extraction du pétrole brut. L’investissement social de l’état a été minime et les habitantes et les habitants ont été accusés d’être des guérilleros. Au lieu de négocier avec celles et ceux qui avaient fait vivre la région en participant à régler les vieilles querelles géographiques et politiques, l’Etat a décidé d’occuper militairement la région et de laisser aux compagnies pétrolières le soin d’en assurer le développement socio-économique.

Jorge Niño : Leader social dans le village de Las Bancas, à Arauquita, je subis de fait la persécution de l’État et certainement aussi des compagnies pétrolières. Nous avons eu des problèmes avec la compagnie pétrolière nationale Ecopetrol et avec une de ses filiales, la société Cenit, à laquelle elle a cédé le contrat d’exploitation. Cette cession a permis de réduire les salaires des travailleurs et de ne plus payer les redevances qu’Ecopetrol avait signées avec les communautés où passent les oléoducs et où se trouvent les champs d’extraction… Selon l’État colombien, Ecopetrol devrait atténuer les dommages sociaux et écologiques qu’elle cause par son activité dans les communautés. Elle aurait dû construire des écoles, des hôpitaux, des routes… Nous n’avons rien vu de tout cela. Vous ne verrez pas d’école avec une plaque au nom d’Ecopetrol, et les routes sont les pires que vous puissiez imaginer. Le pétrole d’Arauca n’apporte aucun changement positif dans notre département. Nous avons été totalement abandonnés et nous avons donc protesté. La seule réponse à nos revendications a été la pression accrue des forces de l’ordre, celles-là même qui avaient militarisé l’ensemble de la ligne de l’oléoduc Caño Limón-Coveñas. Nous avons connu de bons militaires, des passables et des mauvais, impliqués dans les meurtres de nombreux camarades paysans. Pourtant, lorsque les militaires viennent dans nos maisons nous leur donnons de l’eau, de la nourriture, de l’ombre. Nous ne comprenons pas pourquoi ils nous frappent, nous traitent comme des guérilleros. C’est incompréhensible car les militaires vivent avec nous 24 heures sur 24 ; ils savent ce que nous faisons, et où nous sommes. C’est avec les compagnies pétrolières que la violence est vraiment arrivée.

Le Sarare, aujourd’hui département d’Arauca, a reçu un héritage historique. José Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño ne sont pas étrangers à une dialectique de lutte et de revendication, seule façon d’obtenir les droits les plus fondamentaux.

 

« Nous ne comprenons pas pourquoi ils nous frappent, nous traitent comme des guérilleros. C’est incompréhensible car les militaires vivent avec nous 24 heures sur 24 ; ils savent ce que nous faisons, et où nous sommes. C’est avec les compagnies pétrolières que la violence est vraiment arrivée. »

Dans ce cadre, face aux revendications sociales, les détentions arbitraires ont été une constante dans l’action de l’État colombien. Ainsi en 2008, après une visite dans le département d’Arauca, un groupe de travail de l’ONU a publié un rapport sur la détention arbitraire. Il y déclarait que « la pratique des détentions massives et l’absence de preuves solides pour procéder aux arrestations sont également observées, en particulier lorsque les seuls éléments de preuve sont les accusations des repentis. Le groupe recommande au gouvernement de supprimer les arrestations massives et de la détention préventive administrative (…) » . Murillo s’exprime dans ce même sens :

José Vicente Murillo : « Il faut comprendre que le régime pénitentiaire du pays est obsolète dans la mesure où, d’une part il ne suffit pas pour contenir la population carcérale actuelle, et d’autre part la politique de traitement du crime ne vise qu’à mettre les gens en prison pour n’importe quelle bêtise. En outre, le système judiciaire est tellement lent qu’il est courant qu’après trois ou quatre ans de détention, des personnes soient libérées, soit en raison de la prescription du délit, soit parce qu’elles sont innocentes. De manière évidente, nous pensons que ces incarcérations sont une manière de persécuter les leaders sociaux, ce qui répond à l’idéologie du modèle économique dominant ».

La construction sociale dans la région de Sarare a une longue tradition. Comme dans le reste du pays, les paysans s’organisent en Conseils d’action communautaire et en coopératives de production. La ville de Saravena dispose même d’une entreprise communautaire qui gère les services publics, notamment la collecte des ordures, l’assainissement et la purification de l’eau, ainsi que le recyclage et le compostage des déchets solides. Murillo a été arrêté précisément à la suite d’une réunion de formation où la communauté paysanne élaborait un plan pour la production d’engrais écologiques, tandis que Jorge l’a été dans sa ferme, devant sa famille.

José Vicente Murillo : « Depuis deux ans nous développons des engrais biologiques en réponse et en alternative à la pollution que les engrais toxiques répandent, tant dans la nature que chez les humains. Conformément à notre tradition de défense de la vie, nous avons lancé la construction d’un générateur d’engrais bio pour que les paysans puissent petit à petit faire une transition dans leur mode de production. En sortant d’une formation dispensée par des compagnons brésiliens, j’ai senti une présence dans mon dos et peu après, j’ai vu des camionnettes des forces publiques. Et des Des hommes avec des armes d’assaut m’ont alors arrêté.

Jorge Niño : « Moi j’étais dans ma ferme, avec ma famille, ma femme, mes enfants, mon beau-frère, ses trois enfants en bas âge, un ouvrier et un maître d’oeuvre. Quand l’hélicoptère s’est approché, je dois reconnaitre que j’ai eu peur. Je n’ai pensé à rien d’autre que courir. Ils avaient déjà menacé de m’arrêter pour répondre aux exigences d’Ecopetrol. J’ai réussi à courir cent mètres, ils m’ont tiré dessus depuis l’hélicoptère et je me suis arrêté parce que finalement, je ne devais rien à personne. Je n’avais pas d’autre arme que des ciseaux de taille. Ils m’ont jeté au sol, m’ont donné des coups de pieds et m’ont traité de chien ; ils ont dit qu’ils auraient mieux fait de me tuer. Ce à quoi j’ai répondu que s’ils me tuaient, ils auraient juste tué un paysan de plus ».

L’assassinat de représentants ou leaders sociaux en Colombie est une constante dans la politique du pays. Depuis 2016 et la signature des accords de paix avec les FARC-EP à 2019, il y a eu 800 assassinats, selon l’Institut d’études pour le développement et la paix. Pourtant pour ces 800 assassinats, il y a eu seulement 22 condamnations effectives. Dans les trois premiers mois de 2020, on compte 91 assassinats de représentants sociaux et démobilisés de la FARC-EP. Un des cas les plus macabres de l’histoire récente de Colombie, est celui des “faux positifs”. Cette pratique courante des forces armées étatiques consistait à assassiner des civils et à les faire passer pour des guérilleros. Elle s’est généralisée avec un système de récompenses, que recevaient les unités militaires, selon les résultats obtenus dans la lutte contre insurrectionnelle. Les résultats étaient mesurés en fonction du nombre de “guérilleros” abattus et les récompenses variaient entre des jours de vacances, à de l’argent ou des promotions. Selon les sources, entre 1000 et 4000 personnes ont été sommairement assassinées par les forces publiques. Le MOVICE (Mouvement National des Crimes d’Etat) dénonce une stratégie d’Etat dans laquelle s’inscrivent également “les faux positifs judiciaires”. Dans ce cas-là, des personnes sont emprisonnées, sans charges solides, le but étant de faire cesser leurs activités politiques et de générer la peur dans le mouvement social. Les représentants sociaux sont accusés de faire partie de la guérilla et maintenus en détention pendant des années, sans qu’il n’y ait f de jugement au final ; ou alors on leur intente un procès, sans preuves ni éléments à charge. Il est important de souligner que des compagnies comme Ecopetrol financent le ministère de la défense et les procureurs. D’un côté, l’entreprise est une victime présumée en procédure judiciaire et de l‘autre, elle donne de grandes sommes d’argent aux parties chargées de l’enquête, contre les leaders sociaux. Ce qui crée une asymétrie et une inégalité de conditions juridiques et de garanties.

 

« Même s’il est certain que nous sommes innocents de ce dont on nous accuse, le régime colombien n’hésite pas à assassiner pour faire taire l’opposition politique. Nous savons qu’ils n’hésiteront pas à nous tuer. »

José Vicente Murillo : « Entre 2003 et 2006, j’avais déjà fait l’expérience de la persécution et du terrorisme d’Etat, j’ai été détenu 3 ans et demi, pendant lesquels ils m’ont organisé une tournée carcérale dans plusieurs prisons de haute sécurité. En 18 mois, j’ai fréquenté 6 établissements différents. Je connaissais donc déjà la dynamique de la prison, sa culture et la cohabitation. Je savais que matelas, couverture, rien n’était fourni et que la famille doit s’occuper de tout. De l’expérience dépend la manière dont on aborde les choses.

Même s’il est certain que nous sommes innocents de ce dont on nous accuse, le régime colombien n’hésite pas à assassiner pour faire taire l’opposition politique. Nous savons qu’ils n’hésiteront pas à nous tuer. Nous, on est ici, vivants ; d’autres compagnons et compagnonnes n’ont pas eu cette chance ».

Jorge Niño : « Je n’ai jamais eu autant de gens armés pour me surveiller. Ils m’ont catalogué comme une personne très dangereuse. Ils m’accusent d’être un guérillero de l’ELN, mais nous sommes juste des personnes « communes ». Notre Junta de Acción Comunal existe juridiquement depuis 1975. Mon délit a été d’être leader communautaire et de réclamer le dû de ma communauté à Ecopetrol. Je n’ai jamais été vu avec une arme, ni avec des habits militaires ; je n’ai jamais exercé de chantage, ni n’ai eu de problèmes avec quiconque.

Les prisons colombiennes connaissent une surpopulation chronique qui est aujourd’hui de 54%, avec 80 000 places pour 130 000 personnes. L’utilisation constante de la détention préventive, par les juges, est un des facteurs déterminants de cette saturation. Cette situation a provoqué, en octobre 2019, la sentence STP-142832019 (104983) de la cour suprême de justice, rappelant aux juges le caractère exceptionnel que doit avoir cet outil. Les personnes en détention préventives représentent 33,5% du total des gens incarcérés selon les données de l’INPEC (Institut national pénitencier et carcéral).

Par ailleurs, dans les centres de détention, en plus de l’espace réduit, les éléments sanitaires de base manquent. Il nous manque aussi des vêtements chauds et souvent de la nourriture que les proches des détenu-es doivent apporter. Face à ce qui devient un mécanisme de punition arbitraire, nous revendiquons de meilleures conditions de détention ».

José Vicente Murillo : « Dans ce contexte carcéral et politique, nous nous trouvons maintenant menacés par le COVID19, menace face à laquelle le gouvernement et le régime pénitentiaire placent les prisons du pays en quarantaine. Une décision que les prisonnier.es approuvent, mais qui doit être intégrale : ce qui implique de non seulement interdire les visites aux détenu.es, mais aussi d’appliquer d’autres mesures efficaces pour empêcher la propagation de la pandémie. Il faut par exemple que la section des gardiens soit également cantonnée, sans contact avec le monde extérieur. Il faut aussi que des mesures hygiéno-sanitaires soient prises, de manière à ce que le personnel administratif ne transmette pas la maladie. Il faut également constituer un contingent dans le service de santé pour répondre aux situations liées au coronavirus. Au milieu de tout ça, la population carcérale demeure consciente de la menace du COVID19 et a pris des {ses propres} mesures sanitaires d’autoprotection pour éliminer les facteurs de contamination, mais nous savons qu’elles demeurent insuffisantes. Une urgence carcérale a été déclarée, proposant un ensemble de mesures et de règles dont les plus coercitives et répressives ont été appliquées immédiatement à la population pénitentiaire, mais dont aucune n’est suffisante pour décongestionner véritablement les prisons, ni ne fournit d’outils concrets, tels que des masques ou des gels antiseptiques. En soi, le décret 546 s’avère insuffisante puisqu’il ne s’applique qu’à une infime partie de la population carcérale. Nous savons que même avec cette pandémie, le gouvernement ne va pas se préoccuper des problèmes structurels les plus criants dont souffre la population pénitentiaire ».

Jorge Niño : Avec ce virus, l’éloignement de la famille est vécu avec plus d’angoisse. La communication avec nos proches est difficile et trop distanciée. Ici, il y a quelques téléphones de l’INPEC qui sont coûteux, et qui souvent ne fonctionnent pas. Non seulement, il n’y a pas d’intimité avec la famille mais de plus, le personnel intervient durant les appels. Ce contrôle de l’INPEC dérange beaucoup et viole les droits humains fondamentaux. Ça me met mal car en prison on n’a pas de poids, et on dépend de l’appui et des encouragements de la famille à l’extérieur. Il est difficile de survivre dans les prisons colombiennes mais avec le coronavirus, les gens sont encore plus nerveux dans les patios et les couloirs ; alors les conflits arrivent plus facilement. L’état doit revoir les injustices qui m’ont été faites. Qui sait combien de personnes se trouvent dans la même situation et traversent ces difficultés, parce que, en tant que leader social, elles revendiquent les droits d’une communauté, avec l’aval de l’État lui-même en théorie.

La pandémie du COVID19 est un test de résistance au niveau politique, sociologique, économique et aussi personnel. Les coutures d’une société, plongée dans la logique de consommer et de jeter, craquent. Beaucoup des mesures prises, bien que nécessaires, sont fatales aux collectivités les plus socialement punies. La systématisation de la persécution et l’assassinat des représentants sociaux est évidente, autant dans les chiffres bruts comptabilisant les personnes décédées, que dans ceux comptabilisant les personnes privées de liberté et en détention provisoire. Un nombre trop élevé pour qu’on y voie une mesure exceptionnelle. Ces persécutions condamnent au silence des voix critiques qui travaillent dans les régions, dans les actions communautaires ou dans les quartiers. Tandis que le pays poursuit son confinement, les prisonnier.es continuent d’être entassé.es et les prisons bondées ; ils sont soumis à une angoisse d’autant plus justifiée que la pandémie s’étend jusqu’à l’intérieur des prisons avec des premiers cas d’infectés et des décès. Les dénonciations du mois dernier qui anticipaient cette situation, sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Le gouvernement a opté pour la répression et le récent décret de libération n’améliorera pas la situation humanitaire, car de très nombreuses personnes seront exclues de cette mesure. Par ailleurs, des décisions irresponsables ont été prises, comme celle de transférer des prisonnier.es de la prison de Villavilencio, où a été détecté le premier foyer d’infection, à une autre prison. Ce transfert a conduit à la propagation de la maladie. Le Mouvement National Pénitencier continue de demander une solidarité avec ceux qui sont privés de liberté pour faire face à cette situation et obtenir une libération humanitaire pendant qu’il est encore temps de protéger des milliers d’êtres humains ».

La boutique à Giorgio Agamben

La boutique à Giorgio Agamben

Ce texte a été proposé, sous un nom d’emprunt, pour publication au site lundi matin en réponse à la traduction d’un texte du philosophe italien. Les rédacteurs du site l’ont jugé « peu sérieux » et manquant « de précision et de rigueur. » On vous laisse voir.

 

«  (…) le besoin de simplification est naturellement d’autant plus impérieux qu’il est plus impossible à satisfaire. Et ce que le public attend en premier lieu de la philosophie est, aujourd’hui plus que jamais, le soulagement indispensable que représente la possession d’une vérité simple, à commencer, bien entendu, par une vérité simple concernant l’impossibilité de parvenir à la vérité. « 

Jacques Bouveresse, Le philosophe chez les autophages

La pandémie en cours nous offre tout de même quelques occasions de rigoler. Ainsi ce texte de Giorgio Agamben, sobrement (une fois n’est pas coutume) intitulé « Une question », et publié sur le carnet que les éditions Quodlibet offrent au philosophe, puis, pour la version française, sur le site lundi.am (édition du 20 avril 2020). Dans « Une question », le philosophe nous enjoint à reprendre le cours de nos relations sociales habituelles – celles-là mêmes qu’il exècre en temps normal, d’où la franche rigolade – quoi qu’il en coûte, car la liberté ne se négocie pas. On ne cède pas devant un pauvre virus, on fait front.

Voici bientôt quarante ans que Giorgio Agamben répand son obscure doctrine et qu’il connaît un certain succès dans des milieux gauchistes, bien au-delà du public de spécialistes qu’elle pourrait lui assurer.

En fait, Agamben sert le projet néolibéral. Sa doctrine tient pour l’essentiel en un appel constant au repli, à la fuite, à la désertion et à la destitution. Il est aussi opposé à l’idée de société que Margaret Thatcher elle-même. Mais là où celle-ci défendait les intérêts bien compris des capitalistes, Agamben, lui ne défend que sa minuscule boutique. Pour Agamben, nous aurions connu un effondrement « éthique et politique » qui nous a conduit à accepter les consignes de confinement quand il aurait fallu résister à cette injonction « biopolitique ». Il voit dans cet épisode pandémique la confirmation de sa thèse de toujours, à savoir l’existence d’une similarité de nature et d’une continuité entre le IIIe Reich et les démocraties libérales contemporaines. Car pour Agamben, si un système politique ne nous donne pas la liberté absolue, la liberté théorique serait-on tenté de dire, il n’est qu’un nazisme adouci.

À propos de cette posture, Jacques Bouveresse a pu écrire avec raison que les années 1970 furent « l’époque où l’opération décisive sur le plan politique consistait à révéler les « contradictions » internes du système et, en particulier, à démontrer concrètement une chose que tout le monde sait, à savoir qu’un régime libéral n’est jamais libéral au point de pouvoir tolérer absolument n’importe quoi sans réagir ». (1)

Dans de nombreux secteurs de la société, le discours destituant a pu prendre le pas sur toute autre forme de réflexion. À tel point que le refus de toute institution a pu amener certain·e·s à penser qu’il y aurait une forme de liberté supérieure dans l’ésotérisme et l’irrationalité. À tel point que ce refus a pu faire diversion de la réalité de l’offensive néolibérale et de ses conséquences. Sous l’influence d’une sorte d’agambennisme spontané, nous avons parfois lâché la proie pour l’ombre.
Bouveresse poursuit à ce sujet : « la révolte de l’imagination et de la spéculation philosophiques contre l’ordre doit être inspirée par le désir de modifier réellement l’état de chose existant dans ce qu’il a d’insatisfaisant ou d’intolérable, et non pas de se contenter simplement d’exploiter avec un succès facile et prévisible le fait qu’un ordre quelconque est naturellement ressenti par l’individu comme une contrainte et une gêne dont le premier philosophe venu peut aisément faire ressortir le caractère injustifié, arbitraire et absurde ». (2)

Il ne s’agit pas ici de nier que l’État et les possédants tirent un profit stratégique majeur de la crise en cours sur le plan de la surveillance, de l’intensification du travail, de la financiarisation de l’économie. Ce que nous contestons, c’est qu’on puisse saisir utilement ces processus dans les catégories fumeuses d’Agamben. Et nous allons plus loin encore en affirmant que ces catégories entravent – et depuis longtemps – toute action contre ces processus.

La question qui devrait occuper désormais les fractions radicales du camp progressiste est celle de la définition du contenu effectif de la liberté et des moyens de son équitable répartition parmi nos semblables. Car la défense de la liberté à quoi nous enjoint Agamben, comment se présente-t-elle ? Il s’agit avant tout de défendre la liberté des riches qui ont dispersé le virus en Europe depuis les dancings de Verbier ou en jouant au beer-pong à Ischgl. Les caissières, les aides-soignantes, les paysannes, elles, n’ont eu que la petite liberté de continuer à bosser au mépris du danger (dont Agamben nie la réalité) pour assurer le retour le plus rapide possible de la grande liberté des managers qui intensifient leur travail, des patrons qui les sous-paient. Cette liberté théorique et totalement asymétrique, de moins en moins de gens voudront la défendre, et ils auront raison.

La devise « Bien-être & liberté » fut longtemps en vogue dans le mouvement ouvrier.(3) La liberté, en tant que telle, n’était la chose que des bourgeois. Quiconque avait son corps réellement engagé dans la lutte quotidienne pour la survie matérielle savait que la liberté n’était rien sans le bien-être, c’est-à-dire sans la condition de sa jouissance. Il y a là sans doute, au contraire de l’alternative dans laquelle le texte d’Agamben essaie de nous enfermer (bien-être vs. liberté), une piste sérieuse pour élaborer des programmes dont la radicalité n’aurait rien à envier aux doctrines en vogue.

Que, Didier Raoult (4), professeur d’université, directeur d’institut, proche du chef de l’État français, dise son admiration pour l’anarchiste autoproclamé Paul Feyerabend et sa théorie de destruction de la science (5) montre à quel point les théories obscurantistes se sont répandues beaucoup plus largement qu’elles n’auraient dû et servent actuellement les positions politiques les plus nauséabondes. L’ampleur de leur diffusion fait que la nécessité de rompre avec elles n’est pas que l’enjeu d’un débat fratricide au sein de l’extrême-gauche.

Et c’est pourquoi, comme les étudiants chinois révoltés de 1919 avaient choisi le slogan « À bas la boutique à Confucius ! » (6) pour désigner la rupture qu’ils entendaient opérer avec la vieille pensée obscurantiste, nous disons aujourd’hui : À bas la boutique à Agamben ! Bien-être & liberté !

(1) Jacques Bouveresse, _Le philosophe chez les autophages_, éd. de Minuit, 1984, p. 31.

(2) _Idem_, p. 36.

(3) Elle a été une des devises de la CGT, souvent représentée avec des mains croisées. Plusieurs groupes anarchistes et anarcho-syndicalistes en ont fait leur nom ou leur devise, par exemple le Groupe d’études sociales d’Alphonse Tricheux, membre de la CGT-SR.

(4) Au moment où nous écrivions ce texte, le lien Agamben – Raoult n’était qu’une intuition (mais oui, nous aussi nous en avons). Elle devait être confirmée par les dernières publications du philosophe sur quodlibet, puis lundi.am (édition du 27 avril 2020).

(5) Paul Feyerabend, _Contre la méthode_, 1975.

(6) Jean François Billeter, _Pourquoi l’Europe : réflexions d’un sinologue_, Allia, 2019, p. 52.

 

Coronavirus et résistances – suivi en continu : 1er mai  – 13 mai 2020

Coronavirus et résistances – suivi en continu : 1er mai – 13 mai 2020

Le Suivi en continu va se terminer ici. Après un peu plus d’un mois de travail, il aura tenté de mettre en avant les nouvelles du front social et d’éviter une « déconnection » militante avec le cours des événements des dernières semaines. Nous n’arrêtons pas car tout va mieux et que la première vague est derrière nous, mais par manque de ressources et notamment la plus précieuse, la variable temps. Avec la réouverture prochaine du Silure vendredi prochain, une pesée d’intérêts implique l’arrêt de certaines activités chronophages.

Ce flux d’infos aura, nous l’espérons, permis de lutter contre un certain localisme politique qui perd de vue la situation d’ensemble, conséquence malheureuse du système fédéral de ce pays. Un regret est de ne pas avoir pu davantage parler du Tessin et des zones frontalières, par manque de temps et de contacts sur place. Le travail réalisé par les camarades français d’Acta.zone a été une inspiration directe et leur activité a été très soutenue durant ces deux mois. En comparant les deux rendus, un élément saute aux yeux: il y a eu bien moins de grèves, de révoltes carcérales et d’actions protestataires en Suisse. Des raisons historiques en sont la cause, mais plutôt que de se limiter aux moments les plus visibles, nous avons fait le choix de consigner aussi les prises de parole subalternes relayées dans la presse car l’expression est aussi une étape nécessaire à la construction d’une action commune. L’idée exprimée par George Jackson (1941-1971) lorsqu’il parle d’être « carnet et crayon à la main, pour essayer péniblement de déterminer ce que chacun peut faire pour la construction de la commune » (cité dans L’Assassinat de George Jackson, Groupe information prisons, Paris: Gallimard, 1971, p. 19) est toujours d’actualité. Mais elle devient plus exigeante à l’heure où la parenthèse de « journalisme social » dans (une partie de) la presse bourgeoise se referme, et que les appels aux sacrifices regagnent en visibilité. Enfin, précisons qu’il n’y a pas encore eu de travail de compilation systématique et complet des résistances sur le territoire suisse durant cette période, mais nous espérons que ce Suivi a pu donner quelques indications en ce sens.

Mercredi 13 mai

16h: Dans un article intitulé « La précarité accroît l’exposition au virus », la Tribune de Genève écrit : « Les personnes précaires sont ainsi 3,5 à 4,5 fois plus exposées au virus que la population globale du fait notamment de la promiscuité, mais aussi parce qu’elles accèdent difficilement au dépistage et qu’elles parviennent péniblement à respecter les règles d’isolement et de protection sanitaire. » S’il n’est pas inutile que le journal relaye ce type d’informations, ni que MSF et les HUG produisent des données sur le cas du Covid-19, rappelons qu’il ne s’agit pas là d’un scoop. Les mécanismes étaient déjà connus : dans diverses situations (logement, travail, accès à la santé), les personnes précaires en Suisse se voient imposer une promiscuité, doivent renoncer aux soins et subissent des inégalités d’accès à la prévention. A quand un changement de paradigme : on « découvre » à chaque fois la partie immergée de l’iceberg, la précarité et ses funestes conséquences, mais à quand une dénonciation des mécanismes qui les engendrent en vue d’y mettre fin ? (Source : Tribune de Genève)

9h: L’interdiction de se rassembler à plus de 5 personnes est-elle comptée? Alors qu’hier à Genève, un mineur s’est fait coffrer pour une action « 4m2 » (cf Le Courrier), des voix se font entendre dans les médias alémaniques pour la fin de cette interdiction. À Berne, Der Bund fait sa une et son édito sur le sujet. Le journal pense qu’il faut mieux avoir des manifs encadrées et négociées avec la police qu’une interdiction intenable sur le long terme. Le chef de la police Reto Nause est critiqué pour son zèle particulier à réprimer les rassemblements progressistes (1er mai et grève du climat). Même chose dans la NZZ qui prend aussi position contre l’interdiction des manifestations, tout arrive (lorsqu’on est mis sous pression) ! (source: La presse RTS La 1ère, Der Bund, Le Courrier, NZZ)

8h30: La plupart des prisons romandes à l’exception de celle de Crêtelongue en Valais ont rouvert leurs parloirs lundi dernier. L’association REPR (ex-Carrefour Prison) a fait un tableau sur son site internet avec les conditions qui varient d’une prison à l’autre (durée maximum, nombre de personnes admises, enfant ou pas, etc) (Source: REPR)

8h: Dans le journal Vivre Ensemble du mois de mai, un exemple concret de la politique de la conseillère fédérale K. Keller-Sutter (PLR) qui a choisi la poursuite des procédures d’asile, et donc des refus. On y lit le témoignage d’un requérant d’asile de 20 ans désespéré après avoir reçu une décision Dublin de renvoi vers la France alors qu’il était en quarantaine. Son compagnon de chambre a été testé positif au Covid-19. (Source: Asile(point)ch)

Mardi 12 mai

8h30: Comme à Nantes ou Toulouse hier, un rassemblement contre le retour à l’anormal est annoncé le samedi 16 mai à 11h devant le Centre hospitalier Arve Léman de Contamine-sur-Arve (Haute-Savoie). « Soutien aux Soignants qu’on applaudit depuis 2 mois, et qui vont maintenant avoir besoin de notre soutien actif pour revendiquer ce qui nous est tous dû: un hôpital public fort, des soins de qualité, des conditions de travail décentes, et des vrais salaires. En raison des conditions sanitaires actuelles, les rassemblements de plus de 10 personnes sont interdits. Cet interdit a probablement une vraie justification sanitaire, et par un heureux effet collatéral, il permet au gouvernement de nous empêcher de manifester. Vous êtes appelé.e.s à respecter strictement et ostensiblement les gestes barrières et la distanciation sociale. Il est également souhaitable que tout le monde porte un masque. » (source: chaîne de messages)

8h: Dans la NZZ du jour, un article sur la mauvaise gestion policière de la manifestation anti-confinement de samedi dernier. Le journaliste pense qu’il aurait fallu leur appliquer la même répression que lors du 1er mai ou contre la manifestation des « autonomes de gauche » (Linksautonome) en avril. (Source: NZZ)

Lundi 11 mai

13h: Le Temps publiait jeudi un article et un éditorial sur l’impact de la pandémie sur le marché de la santé en Suisse. Le marché de la santé a été construit, en Suisse, à marche forcée, entre 1980 et le début des années 2000. Aujourd’hui, l’essentiel des hôpitaux du pays sont des sociétés anonymes. Les produits que commercialisent ces sociétés consistent en une offre chirurgicale ultra-technique : pose de prothèses articulaires (+ 145 % de prothèses de genoux en dix ans), bypass gastriques, changement de valves cardiaques, ablation de la prostate, etc. Les robots qui assistent certaines de ces opérations, les infrastructures dans lesquelles elles se déroulent doivent être amortis et donc fonctionner à leur rendement maximum. Face à la pandémie, le Conseil fédéral a interdit ces opérations faisant perdre deux mois d’amortissement aux hôpitaux. Le 5 avril déjà, l’Hôpital cantonal des Grisons déclarait au TagesAnzeiger devoir emprunter pour payer les salaires.
Le Temps présente (malgré le titre [de l’édito]) la situation comme un problème collectif auquel il s’agirait de trouver une solution rationnelle. Or, il s’agit bien d’une lutte pour conserver les profits des actionnaires et les salaires du management des hôpitaux et des assureurs. C’est la voie choisie par Michel Guillaume, qui n’envisage qu’une piste : la couverture de ces centaines de millions de francs de déficit par la collectivité, via l’impôt ou via les primes d’assurances maladie. Guillaume réclame, dans l’édito, une baisse des primes et la dissolution des colossales réserves des caisses. Mais ces réserves, c’est bien par l’accumulation des primes qu’elles ont été constituées. C’est ainsi qu’après avoir vu leur temps maximal augmenté à 60 heures par le Conseil fédéral, les aides-soignantes hospitalières contribueront (en proportion de leurs revenus respectifs) en moyenne 100 fois plus au financement des hôpitaux que Pascal Couchepin ou Charles Kleiber. (source: Canal Telegram Détaché de presse)

12h: Contrairement à ce qu’on entend parfois, le statut de travailleurs·euses saisonniers n’a pas disparu en Suisse. La Liberté de samedi dernier cite une étude de 2014 selon laquelle « l’agriculture suisse a besoin d’environ 20 000 à 25 000 saisonniers étrangers chaque année. Ils viennent principalement de Pologne, du Portugal, de Roumanie et de France. » À Genève, un avion venu du Portugal a amené des saisonniers pour travailler dans les vignes: « 141 travailleurs portugais ont atterri à l’aéroport de Genève en provenance de Porto ». (source: La Liberté, 20 minutes)

10h: Plusieurs manifestations anti-mesures d’urgence ont eu lieu à Berne, Saint-Gall et Zurich samedi dernier. Les photos sont assez éloquentes à Berne (le plus grand rassemblement avec près de 500 personnes), on y voit des adultes de tout âge, des parents venus avec leurs enfants, des personnes en fauteuil roulant et des hippies qui font de la méditation. Sur les panneaux, des messages « non à la dictature de la santé », « vive l’amour et la liberté », ou « les médias sont le virus ». Les manifestants ont refusé de se disperser pendant plusieurs heures et ont fait exprès de se tenir proches et de s’embrasser. Aucune arrestation mais beaucoup de contrôles par la police, qui était sur les nerfs. Le chef de la police Reto Nause (PDC), artisan bien connu de la répression des manifestations à Berne, a déclaré à la tv « mon cœur saigne d’un point de vue épidémiologique ». Plusieurs manifestants évoquaient aussi la défense du système politique suisse (démocratie semi-directe) contre le pouvoir sur ordonnance du Conseil fédéral. Il s’agit d’une lame de fond germanophone puisqu’il y a eu des manifs anti-confinement le même jour en Allemagne. La Berner Zeitung souligne que cela n’avait rien à voir avec une manif habituelle car il n’y avait pas de sonorisation ni de slogans. Pour le 20 Minuten, c’est un certain Alec Gagneux (sorte d’Etienne Chouard alémanique) qui est derrière cette manif, une affirmation sujette à caution car il paraît clair qu’il n’y avait pas d’organisateur au sens où on l’entend habituellement. (Source: Der Bund, Berner Zeitung)

8h: Les CFF ouvrent les toilettes des gares au public, sans système payant. Il aura fallu une pandémie pour que tout le monde puisse se laver les mains gratuitement… (source: RTS La 1ère)

Dimanche 10 mai

16h: Dans la WOZ de jeudi dernier, un article sur la répression du 1er mai à Berne et Zurich et leurs justifications politiques. Non, le Conseil fédéral n’a pas demandé de dissoudre toute manifestation, la preuve la répression a été différente d’un canton à l’autre; Novartis veut se racheter une image en distribuant des doses d’hydroxychloroquine dans le monde; portrait d’un requérant d’asile d’origine guinéenne et membre de l’Autonome Schule Zürich qui coordonne des distributions de nourriture dans les foyers; les aides à domicile venues d’Europe de l’est se retrouvent sans revenu. (source: WOZ)

Samedi 9 mai

18h: Les assurances maladies continuent de se gaver, et même plus avec les effets collatéraux de la pandémie. Dans la TdG de vendredi, un article parle des problèmes financiers des jeunes mères qui doivent casquer pour leurs frais médicaux post-partum car les cabinets sont fermés. Normalement, « une couverture complète des soins est assurée par la LAMal pendant les cinquante-six jours qui suivent l’accouchement. Or les mères qui ont accouché aux mois de mars et avril se sont retrouvées devant des cabinets fermés par la crise sanitaire. Les assureurs, eux, ne veulent rien entendre: pas question de prolonger le délai de couverture. » Il n’y a pas de petits profits dans ce système sans foi ni loi (source: Tribune de Genève)

13h: Encore quelques détournements d’affiches « Merci » à Genève. « A la violence du système carcéral. A la direction de Champ-Dollon qui envoie au cachot les prisonniers qui manifestent pour des conditions sanitaires dignes », De nous faire découvrir la solidarité collective pour bientôt l’effacer sitôt les magasins ouverts », « Aux dirigeant.e.x.s et aux patron.ne.x.s pour qui nous protéger restent dans leurs résudences secondaire pendant que d’autres continuent à travailler pour leurs profits ».

12h: Les HUG et MSF ont fait une enquête samedi dernier dans la fille de plus de 2’000 personnes venues pour la distribution de colis alimentaires à la caserne des Vernets (Voir Suivi des 4 et 8 mai). Résultats : plus de 60 % n’ont pas d’assurance maladie et 52 % sont des personnes sans-papiers. Sur ces dernières, le chef du département de médecine de premier secours aux HUG dit : « Il y a en effet plusieurs milliers de personnes dans notre canton […] qui gardent nos enfants, qui font des ménages à nos domiciles, qui sont engagées dans la restauration mais sur des contrats extrêmement précaires […] elles n’ont aucune réserve financière, peut-être pour 2 ou 3 semaines mais pas au-delà ». Sont touchées, à présent, aussi « des personnes avec des permis de séjour, des personnes parfaitement intégrées ici, des mères célibataires, des personnes avec des petits emplois fragiles, à temps partiel qui sont […] en demande de chômage partiel ou d’aide sociale. Il y a pas un profil type mais un profil de plus en plus varié à mesure que cette marée de crise économique monte. » « Le médecin genevois appelle à un sursaut civique devant cette situation. Ceux qui le peuvent et « qui n’ont pas souffert économiquement de la crise doivent ressentir un devoir de solidarité envers ces personnes », dit-il. » Pour sa part, Le Silure appelle à un sursaut politique, mais aussi à une solidarité de classe, un changement de système et une régularisation de tou.te.s les sans-papiers ! (Source: Fil d’info RTS, Twitter @DariusRochebin)

11h: Alors que Thierry Apothéloz, tourne autour du pot au sujet de l’engagement du canton [de Genève] dans l’aide alimentaire, le gouvernement cantonal propose la semi-étatisation du… Salon de l’auto. Dans un entretien complaisant au Courrier, Apothéloz sautille d’arguties en solutions managériales. Il a fallu une distribution dans des conditions détestables pour les récipiendaires pour que le département de la soi-disant « cohésion sociale » s’avise que des gens n’avaient plus de revenu et pas d’indemnités ? C’est la faute à l’enchevêtrement communes-canton, à la confédération, au cadre légal plus strict, couine le pseudo-socialiste. Ses solutions : un groupe de travail et le « pilotage de la question alimentaire de façon globale ». Ni fromage, ni jambon : rien de très concret, comme dirait le président cocaïnomane de la République française. Pour le Salon de l’auto, en revanche : 17 millions sont dans les starting blocks sans groupe de travail ni comité de pilotage. (source: Canal Telegram Détaché de presse)

8h30: Lundi dernier, des citoyens ont publié un « appel pour un redémarrage humaniste de la Suisse ». Leur idée était de faire des happenings chaque jour à midi dans des grandes places en traçant autour de soi un carré de 4m2. La police a distribué des amendes à Genève pour non-respect de l’ordonnance sur les rassemblements et deux personnes ont même été embarquées le 6 mai devant la Gare Cornavin. Mardi, des jeunes de la Grève du climat ont été aussi arrêtés à Berne devant la session parlementaire, ils protestaient contre le renflouement massif de la compagnie aérienne Swiss. Amnesty International proteste. Un journaliste du Courrier à la recherche d’infos se fait mener en bâteau: « Le Conseil fédéral envisage-t-il de lever l’état d’urgence qui verrouille les libertés publiques et à quel rythme? A l’Administration fédérale, on se refile la patate chaude, du Département de l’intérieur au Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, puis à la Chancellerie, avant un retour à l’Intérieur. » (source: Le Courrier, Tribune de Genève, Twitter @ag_bern, Twitter @klimastreik)

8h: Les récoltes de la Brigade de solidarité populaire Genève se poursuivent la semaine prochaine, lundi et jeudi 14h-18h devant l’Usine. (source: Page FB Action antifasciste Genève, Page FB Brigades de Solidarité Populaire)

Vendredi 8 mai

17h: Dans le Courrier du 1er mai dernier, petit article sur l’annonce de la création d’une « nouvelle faîtière syndicale libertaire » nommée Syndibasa. Ses membres viennent de Suisse romande et alémanique, il s’agit de l’Association Romande des travailleurs/euses de l’Installation Electrique (ART-IE), la FAU Bern, la Fédération syndicale SUD, le Gewerkschaft Basis 21, l’Interprofessionelle Gewerkschaft der ArbeiterInnen (IGA) et le Syndicat Autonome des Postier (SAP). Extrait de leur déclaration: « Nous sommes en rupture avec le syndicalisme institutionnel de paix du travail qui empêche le monde du travail de se défendre, de se construire comme puissance, d’imposer ses revendications et de faire avancer les choses. […] L’exemple le plus flagrant de cette dérive est sans doute la négociation de conventions collectives de travail menée sans mobilisation et sans construction de rapports de force » (source: Le Courrier, Sud-VD)

16h: Dans Le Monde de mercredi dernier, un article sur les distributions de colis alimentaires à la caserne des Vernets de Genève. « Les récipiendaires sont ces milliers d’« invisibles », sans-papiers le plus souvent, ou travailleurs précaires, qui exerçaient dans la restauration, sur les chantiers, comme nounous ou comme femmes de ménage. La crise du Covid-19 les a laissés sur le carreau : sans travail, sans ressource et souvent sans soins, en pleine pandémie, et confinés dans des logements surpeuplés. » (source: Le Monde, Le Courrier)

15h: Tag à Genève « Nos vies valent plus que leurs crédits » (quartier des Pâquis).

Jeudi 7 mai

18h: La police française serait-elle sur les dents? À Bourg-en-Bresse (dans l’Ain, département voisin de Genève), le RAID a arrêté le 27 avril une personne « membre de l’ultragauche » (sic) ainsi qu’une de ses connaissances à Corbas (région lyonnaise). Le tout « dans le cadre d’une enquête préliminaire pour « association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit » et « infraction à la législation sur les armes », a indiqué le parquet de Lyon.» » Ils étaient soupçonnés de « préparer une action armée contre les forces de l’ordre », rien que ça ! Comme un petit fumet de fantasme policier dans l’air… La procédure a été classée deux jours plus tard par la justice. (Source: Le Progrès, Lyon Mag)

16h: Retour avec un peu de retard sur le 1er mai zurichois. Pas de cortège là-bas mais de nombreuses actions décentralisées dans la ville. De nombreuses photos et vidéos sont disponibles sur Twitter, on peut mentionner un peinturlurage en pleine journée du siège de Credit Suisse, des banderoles de solidarité un peu partout et des collages féministes. Des serrures d’appartement de luxe loués sur Airbnb ont aussi été bouchées avec de la colle. Il y a eu plusieurs tentatives de se rassembler en petits groupes avec des banderoles de plus de 2 mètres. Le communiqué du Revolutionäres Bundnis dit: « Nous avons [mené ce 1er mai] sous des formes diverses et adaptées afin de nous protéger et de protéger les autres en termes de santé, tout en rendant notre résistance visible dans les villes et les quartiers. » Coïncidence ou non, une conseillère d’Etat PS zurichoise réclame le lundi suivant au Conseil fédéral la levée de l’interdiction de rassemblement de plus de 5 personnes au nom de la reprise de la vie démocratique. (source: Twitter @revmob20, @ajour_mag et @sozialismus_ch, Revolutionäres Bündnis Zürich, Aufbau, Tages Anzeiger)

14h: Sur Renversé, le Collectif de réquisitions solidaires a posté une vidéo devant un immeuble vide dont il occupe 4 appartements à Genève. Situé au 4 rue des Maraîchers à la Jonction, ils sont la propriété de l’Hospice général qui laisse pas moins de 50 appartements vides ! Extraits du communiqué : « Ces occupations devaient permettre de loger 10 personnes jusqu’à la démolition des immeubles en question, [qui vivaient] jusque là entre les lieux d’accueil bas-seuil et la rue. Nous considérons que la “solution” actuelle avancée par la Ville de Genève pour loger les personnes les plus précaires pendant la crise sanitaire du COVID-19, à savoir la réquisition de la caserne des Vernets, n’en est pas une […] . Par ces occupations, nous proposons une alternative respectant les droits fondamentaux et la sécurité des personnes.» Le collectif rapporte que « quelques 337’000 m2 de surfaces commerciales actuellement inoccupées dans le canton de Genève (chiffres de juin 2019, OCSTAT) et de nombreux appartements et maisons voués à être détruits dans lesquels personne n’habite. Nous trouvons indispensable et légitime que des personnes en situation de précarité puissent bénéficier d’un logement à taille humaine, sans contrôle d’identité, dispositif de sécurité et autres contraintes mettant à mal les libertés fondamentales de chacun·e. . […] Au vu de la quantité d’espaces vides et habitables dont l’Hospice Général dispose ici, nous en appelons au bon sens et demandons leur mise à disposition sans plus attendre. » Dans l’attente, face au vide : réquisitions solidaires ! (Source : Renversé)

7h30: Dans La Tribune de Genève de lundi dernier, un article sur les mesures des patrons de l’hôtellerie pour décharger les coûts du confinement sur leurs employé-e-s. Des hôtels ont forcé les salarié-e-s à prendre des vacances et Unia Genève proteste à ce sujet. Un employé de l’hôtel 5 étoiles Four Seasons Hôtel des Bergues témoigne:  «Si on avait dû sacrifier quelques jours de vacances, j’aurais compris, mais là, ce sont des semaines qu’on nous a prises.» Mêmes problèmes au Mandarin Oriental et à l’Hôtel Mövenpick, une employée témoigne qu’elle a vu des « heures supplémentaires en négatif » sur sa fiche de paie. (Source: Tribune de Genève)

7h: La RTS partage les résultats d’un sondage publié aujourd’hui et réalisé par la société de conseil Deloitte : « En raison de la crise du coronavirus, près d’un cinquième des employés suisses estime qu’il est probable qu’ils perdent leur emploi et quasiment un quart des indépendants pensent qu’ils vont faire faillite […]. La situation au travail depuis la crise du coronavirus s’est détériorée pour 63% de tous les employés en Suisse […]. Plus de la moitié d’entre eux ont dû réduire leur temps de travail, 27% décompter des heures supplémentaires, un quart poser des congés par anticipation et 2% des employés ont même été licenciés. » Sans commentaires….(Source : RTS, Fil d’info)

Mercredi 6 mai

17h: La RTS réécrit déjà l’histoire. Dans La Matinale, un journaliste affirme qu’il n’y a pas eu de mutinerie dans les prisons suisses. « La maladie ne s’est pas propagée dans les prisons suisses, pas de mutineries non plus, mais une période de confinement difficile à vivre, suspension des visites oblige […] ». Faux, vendredi 3 et samedi 4 mars à la prison surpeuplée de Champ-Dollon à Genève, des détenus ont refusé de retourner en cellule après la promenade deux jours de suite (voir Suivi des 3, 4, 6, 8, 13.04 et le témoignage publié sur notre site). Par ailleurs, la journaliste introduit le sujet en disant : « «Et le coronavirus, toujours, qui pèse sur le moral des détenus. » A les écouter, ce n’est pas le coronavirus qui pèse sur leur moral mais l’enfermement, l’isolement, la peur d’être infecté et la maltraitance de cette institution répressive. C’est le mot « liberté » qu’ils criaient dans la campagne genevoise ces jours d’avril. Solidarité avec toutes les personnes incarcérées ! (Source : RTS La 1ère, La Matinale)

9h: La pauvreté ne tombe pas du ciel ni du Coronavirus : Interrogé sur la proposition d’un «hélicoptère monétaire », des bons de 500.- donnés par la BNS à chaque citoyen-nes suisses, le directeur de Caritas Vaud répond : « Ces aides-là ne toucheraient pas les personnes que nous aidons aujourd’hui puisque la plupart des gens que nous aidons n’existent pas sur une liste. » Il souligne ensuite l’un des mécanismes de la précarisation des sans-papiers en Suisse « qui fonctionnent et qui travaillent en dehors du système mais qui nous permettent, à nous, de travailler dans notre système. Ce ne sont pas des gens […] éloignés. Ils travaillent dans l’économie domestique, ils gardent nos enfants, ils nettoient nos ménages, etc. Ils soutiennent peut-être nos personnes âgées. Ces gens, certains d’entre nous sont leur patrons, si nous ne leur donnons pas l’enveloppe que nous avons l’habitude de leur donner, ils n’ont tout simplement pas de revenu. […] Si les patrons que nous sommes pour certains avaient payé ces gens, la fille [de personnes venues pour une distribution de nourriture] vue à Genève serait moins longue. » En réponse à la pauvreté organisée par le système néolibéral, un slogan approprié : « One solution! Revolution! » (Source : Forum, RTS La 1ère)

8h: De la première ligne au licenciement : Alors qu’il s’agit d’un secteur essentiel dans la crise du Covid-19, l’entreprise genevoise TN Technique du Nettoyage SA ne s’est pas gênée pour limoger plusieurs employés : « On n’a jamais arrêté de travailler, s’indigne [un des employés]. Même le samedi et le dimanche, il fallait y aller, effectuer des déménagements ou de la manutention, alors qu’on a un contrat de nettoyage. Et voilà qu’on nous licencie. On ne s’y attendait pas. » Dix jours après avoir appris leur licenciement, cinq employés ont eu vent que leur employeur avait déposé une demande de chômage technique, une aide publique dont l’objectif est, en cas de réduction d’activité, d’éviter les licenciements. Dans une action menée ce matin devant cette entreprise, le SIT dénonce également l’entreprise Pronet SA. Pourtant au bénéfice de la réduction de l’horaire de travail, celle-ci a obligé ses employé.e.s à poser des vacances au mois de mars. Le syndicat revendique une augmentation salariale ainsi que le payement par l’employeur des 20 % de salaire non perçus durant le chômage partiel car « la très grande majorité du personnel de nettoyage gagne moins de CHF 4’000.- par mois. Ainsi, le personnel mis au chômage technique n’arrive pas à subvenir à ses besoins les plus élémentaires » (Source : Tribune de Genève, SIT)

Mardi 5 mai

16h15: Des banderoles et une affiche, toutes à Genève.

16h: Au téléjournal, une caissière parle de son travail dans l’un des « deux géants » [de la grande distribution] durant la crise du Covid-19 : « On part au travail avec une crainte d’être contaminée parce que mes collègues qui sont dans les rayons sont directement exposés avec les questions des clients. Et nous, à la caisse, aussi, même si des mesures de protection ont été installées par la suite, le port de gants, le désinfectant, le plexiglas, vous avez toujours des gens qui viennent vers vous, que ce soit de côté ou en face, [pour] vous poser une question de très près. Cette peur existe toujours malheureusement. […] Les clients, ça va un peu mieux. Au début, je peux les comprendre aussi, c’était très difficile, très pénible. Parce que les gens allaient dans les magasins, ils ne trouvaient pas soit 1kg de sucre, de riz ou de farine, donc ils se sentaient un petit peu frustrés, un peu énervés parce qu’ils ne trouvaient pas cette marchandises. Et c‘est clair que c’était nous, à la fin, à la caisse qui devions accepter ces critiques ou un peu la colère de ces clients parce que justement ils ne trouvaient pas la marchandise. » Le personnel de vente, au front toujours les jours depuis le début de la crise, attend encore une prime réclamée par l’USS, nous apprend le journaliste. Quid d’une augmentation salariale ? (Source : 19:30, RTS 1)

10h: Action du syndicat étudiant CUAE vendredi dernier à Genève avec une banderole sur Uni Dufour « Examens maintenus, à quels prix? ». Les affiches placardées reprennent des témoignages d’étudiant-e-s en galère avec la pandémie et pointent du doigt le fait que la précarité joue à plein dans la réussite ou l’échec aux examens. « J’ai trois enfants de 1, 3 et 6 ans. Avec la fermeture des crèches, je les garde à la maison. Impossible de suivre les cours et on me demande de passer les examens, alors que je ne peux me permettre un semestre de plus », « j’ai été appelé à la PCi jusqu’à la fin mai. Je travaille les nuits dans un EMS. Dois-je choisir entre dormir ou réviser pour mes examens? ». Par ailleurs un réseau intercantonal a été formé avec des syndicats et associations d’étudiant-e-s de Lausanne et Neuchâtel avec un site web dédié action-education(point)ch. (source: Page FB CUAE, Silure)

Lundi 4 mai

19h: Retour sur le 1er mai à Bâle, seule ville suisse où il y a eu un cortège. Le communiqué posté sur Barrikade dit que 800 à 1000 personnes ont repris les rues et manifesté par petits groupes. Des contrôles ont eu lieu à la fin. Extrait : « Depuis le début de la crise du Corona, des tentatives ont été faites pour répercuter les coûts de la crise sur les conditions de vie. Nous devons maintenant lutter contre cela de manière décisive. » AufBau a également accroché des banderoles devant plusieurs hôpitaux à Bâle comme à Zurich et Winterthur en solidarité avec le personnel de la santé. « Avant la crise, le discours du côté politique était clair : les soins de santé sont trop chers. Il faut économiser, économiser, économiser […]. Et dès que le Corona est arrivé, la première mesure prise d’en haut a été d’abroger le droit du travail. En parallèle, le travail d’infirmier, souvent dévalorisé et mal payé, [… ] a reçu l’appréciation que ce travail mérite. Mais les mots, les applaudissements et le chocolat ne suffisent pas. Si nous voulons vraiment offrir des soins de qualité, si nous voulons mettre la vie des gens au centre de nos préoccupations, le système de santé doit être radicalement modifié. [… ] Nous devons nous battre ensemble : pour un service de santé publique de qualité et gratuit, dans lequel il n’y a pas de place pour une médecine à deux vitesses ni pour les intérêts du capital.» Cette manif du 1er mai a provoqué une réaction courroucée dans le journal bourgeois Basler Zeitung qui a déclaré qu’on ne pouvait pas être contre le capitalisme car c’est lui qui produit les masques (!) (Source: Barrikade, Twitter @mai_basel, Page FB Revolutionärer Aufbau Basel, Basler Zeitung, non traduit)

16h30: Plusieurs centaines de mètres de queue, trois heures d’attente, 1’300 colis alimentaires d’une valeur de 20 francs. A Genève, plus de 2’500 personnes se sont déplacées samedi dernier à la Caserne des Vernets nous rapporte Le Courrier dans un article intitulé « Le nouveau visage de la pauvreté ». La Caravane de solidarité est à nouveau à l’initiative de cette distribution [cf Suivi 20 avril]. Le directeur du Centre social protestant déclare « On ne peut pas parler de cette situation sans évoquer Papyrus (l’opération genevoise de régularisation des personnes sans-papiers, ndlr). On en a régularisé plus de 2000, leur nombre total est estimé à environ 10 000. On a donc 8000 personnes qui théoriquement n’ont droit à aucune aide et qui ont subi de plein fouet le ralentissement économique. » L’édito du Courrier critique l’inaction du gouvernement cantonal : « Ces personnes n’ont guère ému les autorités fédérales: elles ne sont pas concernées par les milliards prévus pour la relance économique, au prétexte que l’aide au secteur domestique est trop compliquée à mettre sur pied. Et au bout du lac, alors que le département du développement économique a lâché 100 ‘000 francs pour assister les restaurateurs désireux de faire livrer leurs repas à domicile, ce sont des initiatives privées qui pallient l’absence de soutien nutritionnel étatique aux plus fragiles. En ce moment, le silence du Département de la cohésion sociale de Thierry Apothéloz est assourdissant. […] Une main-d’œuvre dont personne ne veut voir le visage, et dont les autorités n’ont que faire du ventre qui crie. ». Dans le Temps une femme de ménage d’origine philippine témoigne «Nous parlons mieux l’anglais que le français. Pour cette raison, nous sommes les femmes de ménage, les nounous ou les domestiques des expatriés. Une de mes amies a perdu son emploi et du même coup son domicile.» (Source : Le Courrier, Le Temps)

16h15: Banderole aux fenêtres à Genève. « Le virus mortel c’est le capitalisme ». (source: Silure)

16h: reprise du Suivi après une petite pause. Retour sur le 1er mai genevois avec la fresque commune des Jeunes révolutionnaires, de l’Action antifasciste et du Secours Rouge sur la façade de l’Usine. « Seul le peuple sauve le peuple ». Extraits des communiqués: « Le patronat suisse et mondial annonce déjà des baisses de salaires, des extensions du temps de travail ou encore des réductions des assurances sociales. […] Pour ce premier mai 2020 nous voulons crier haut et fort notre refus de ce système qui privatise les bénéfices et socialise les pertes mais aussi montrer notre esprit combatif et notre solidarité internationale. » (source: Page FB Action antifasciste Genève, Page FB Secours Rouge Genève et Page FB JRG – Jeunes Révolutionnaires Genève, Page FB Feu au lac)

Vendredi 1er mai

13h: Collage ce matin à Genève dans la cour du Silure. « Multinationales, banques et patronat, covidons les coffres ! #NousNePaieronsPasVotreCrise ». À Genève, un 1er mai 2020 pluvieux et sans cortège. La période actuelle est critique; depuis le 16 mars et le début du semi-confinement, le Silure a modestement tenté d’apporter sa pierre aux discussions avec la publication de témoignages, de textes et d’un suivi en continu sur son site. Il va falloir garder son sang-froid mais aussi donner de la voix dans les mois à venir ! Le capitalisme ne peut régler les pandémies qu’à sa façon, les rapports de force restent nécessaires pour imposer d’autres choix en matière sociale et économique. À bientôt dans les rues, bon 1er mai à tout le monde ! (source: Silure)

« La protection civile c’est l’armée de réserve du capitalisme »

« La protection civile c’est l’armée de réserve du capitalisme »

Au moment où il y a eu les premières contaminations de masse en Suisse, chaque personne qui pouvait être astreinte à la protection civile a reçu un courrier à la maison. Daté du 18 mars, il comportait des mots écrits en rouge pour bien souligner qu’il s’agissait d’une mobilisation exceptionnelle : « Information en cas de mobilisation » ; avec le logo de la République et du Canton de Genève, il émanait de l’Office cantonal de la protection de la population.

Témoignage récolté par téléphone mi-avril 2020.

« Et tous les soirs, les gens tapent aux fenêtres, font du bruit… »

Il était aussi indiqué que ce n’était pas un choix et il était précisé que : « ce document peut également servir d’attestation pour votre employeur ». Ce qui signifie donc : tu es à notre disposition. Les personnes employées par l’État n’ont pas d’excuses pour refuser, contrairement à celles qui travaillent dans des entreprises privées, définies comme prioritaires et toujours actives, et aux soignants concernés par le Covid qui sont exclus de cette réquisition car ils participent déjà à l’effort collectif.

La protection civile fonctionne comme l’armée, c’est-à-dire que tu as des cours de répétitions**, en fonction des besoins et selon les communes. La tâche des affectés pour la patrie, en temps normal, c’est par exemple d’aller voir si les sirènes d’alarme fonctionnent, si dans les PC l’eau est disponible, si l’hygiène est respectée, etc. Juste avant le Covid, certains affectés dont les cours de répétition avaient déjà été programmés ont été réaffectés au dispositif mis en place pour agir contre le Covid. Il faut dire que la protection civile du canton de Genève et celle du Tessin ont réagi plus vite que la Confédération. À partir du premier cas, le canton de Genève a commencé à envisager le scénario du pire et c’est pour cela que nous avons tous été prévenus qu’on pouvait être convoqués à tout moment. La protection civile à Genève compte 5000 personnes. Et si je ne me trompe pas, on est déjà 2000 à avoir fait et à faire des jours de service. C’est énorme ! D’habitude quand tu fais tes quatre jours par année, tu croises les mêmes têtes. Là, c’est différent. Je pourrais presque faire une espèce de sociologie, on a tout un panel de la société civile : il y a des avocats, des médecins dont la spécialité n’est pas mobilisée pour le Covid, des boulangers, des ouvriers, etc. A part des gens dont le travail est considéré comme fondamental, on est tous là !

La mobilisation se fait soit par sms, soit par email, pour ne pas être tributaire du ralentissement du courrier, parce qu’il y a une partie du personnel de la poste qui ne travaille pas en ce moment. Donc tu es affecté en fonction de l’emplacement géographique de ton domicile, car la protection civile est répartie plus ou moins en communes et selon les effectifs, on est volontaire ou pas… Comme la partie du canton où je suis rattaché ne disposait pas d’assez de personnes, j’ai reçu une convocation quelques jours après cette première lettre. J’ai été affecté dans les unités qui appuient le personnel médical dans le cadre du dépistage Covid-19. Là pour le coup, tu sens quand même que ce n’est pas quelque chose d’inutile. Alors le fait que tu sois convoqué n’est pas un problème. Moi je comprends pourquoi j’ai été appelé. Il faut appuyer le personnel soignant, ça fait partie du truc ; on sait qu’il y a potentiellement des sous-effectifs, donc on peut comprendre. C’est presque normal. Durant cette période, la protection civile fait toute une série de choses : elle appuie les activités de dépistage, elle aide aux soins intensifs, elle aide les ambulanciers et les services de livraisons au domicile des personnes âgées… Mais lorsque tu apprends par les autres personnes astreintes à la protection civile quelles sont leurs tâches, alors tu te rends compte qu’en parallèle, toute une série de personnes ont été et sont appelées pour faire des tâches qu’on ne peut pas considérer comme étant au service de la communauté.

Être mobilisé pour la patrie et… « faire le larbin de tel ou tel supermarché »

Toute une partie des astreints est au service de certaines entreprises privées qui sont contentes d’avoir trouvé de la main-d’œuvre gratuite. J’ai trois exemples. Lequel est le plus ridicule ou violent socialement ? Le premier concerne une clinique privée fermée pour tout ce qui n’est pas primordial, comme un accouchement prévu ou des examens importants déjà agendés. Le directeur de cette clinique privée a demandé à la protection civile d’avoir deux personnes à disposition pour faire le tri à l’entrée du parking. Une fonction qui pourrait très bien être remplie par n’importe quelle personne qui travaille là-bas, un agent de sécurité ou quelqu’un du personnel. Alors que les affectés de la protection civile, c’est du personnel gratuit ! La clinique n’a pas à les payer. Donc elle peut mettre toute une partie de son personnel au chômage technique, parce qu’ils ne sont pas occupés en ce moment, mais en même temps elle profite d’une main d’œuvre gratuite et de personnes qui n’ont pas eu le choix d’être là.

« En fait, on remplace le personnel qui aurait pu continuer à travailler si on leur avait confié cette tâche de vérification et ainsi être payé à 100 % par leur entreprise. »

Le deuxième exemple concerne les supermarchés alimentaires. Toute une série de magasins, que ce soit les grands ou les petits, ont demandé le soutien de la protection civile, uniquement, pour vérifier que les gens respectent les distances sociales et pour contrôler les attroupements dans les rayons des magasins. La plus caricaturale des réquisitions que j’ai vue concerne un grand supermarché de gros, où il y a un gars de la protection civile qui récupère les chariots à la sortie du magasin quand les clients sortent, qui les désinfecte et qui les donne aux clients qui entrent. Alors qu’à l’intérieur, la moitié des caisses sont fermées, ce qui signifie concrètement que la moitié des employés n’ont pas été appelés à venir travailler. Dans une des plus grandes chaînes de supermarchés suisses, c’est la même chose : les gens de la protection civile posent régulièrement des scotchs par terre pour maintenir les distances interpersonnelles et ensuite, ils sont postés devant le magasin toute la journée pour voir si elles sont respectées. En fait, on remplace le personnel qui aurait pu continuer à travailler si on leur avait confié cette tâche de vérification et ainsi être payé à 100 % par leur entreprise. Devant une grande enseigne du centre-ville, la queue étant très longue parfois, elle fait même tout le tour du pâté de maisons, les astreints de la protection civile doivent faire le tour de la queue pour contrôler que les clients respectent bien les distances sociales. Une autre de leurs tâches, que n’importe quel employé de ce grand magasin aurait aussi pu faire, c’est de veiller à ce que les personnes âgées soient directement accompagnées à l’entrée pour qu’elles n’aient pas à attendre.

Dans le même temps, le personnel des autres rayons de ce magasin a été mis au chômage technique. Donc l’entreprise n’a pas à verser le salaire de ces gens-là. Cette enseigne fait fonctionner son commerce, juste le minimum autorisé, l’alimentation. Elle exploite du personnel qui est fourni gratuitement par l’État. Il y a un article sorti dans la presse qui parlait des militaires et qui allait dans le même sens, expliquant que des militaires avaient été affectés à l’hôpital et qu’ils remplaçaient du personnel mis au chômage technique ou en vacances forcées. D’ailleurs, on ne sait pas encore combien de personnes ont été obligées à prendre des vacances durant cette période…

Ces entreprises privées, cliniques privées ou supermarchés se plaignent des restrictions, alors qu’en fait, elles font des économies puisqu’avec le chômage technique, c’est la caisse cantonale qui paye le salaire réduit à 80% des personnes qui ne sont plus à disposition des entreprises et de surcroît, ces magasins disposent de main d’œuvre gratuite.

Un troisième exemple assez caricatural : dans une clinique privée, il y a deux gars de la protection civile qui s’assurent que personne ne vienne sur la propriété privée de la clinique et, en échange, ils reçoivent un plat du jour à midi. Entre le coût de ce plat d’environ 14 CHF ou le salaire d’un mois, c’est tout bénéfice. C’est affligeant ! Parce que oui la protection civile remplit des tâches louables, je pourrais encore citer le réaménagement de la caserne des Vernets en centre d’accueil pour les personnes sans-abris. Les gars de la protection civile ont bossé cinq jours de suite pour pouvoir réaffecter les lieux en un espace presque vivable. C’est un travail plus ou moins utile, puisqu’il permet à des gens d’avoir un espace de vie ; quelquefois, les astreints nettoient les habits des personnes sans-abris… Mais, à l’opposé, tu peux te retrouver à faire le larbin de tel ou tel supermarché. Ce n’est pas la protection civile qui décide ça, ce n’est pas la hiérarchie non plus, c’est le canton de Genève. L’État et les communes lui donnent des missions. Il suffit que des supermarchés le demandent. Le moment le plus problématique a été le week-end de Pâques. Comme il y avait la crainte d’un afflux sur les supermarchés, je pense que pas loin de 80 % des supermarchés du canton ont demandé de l’aide à la protection civile. Et du coup, il y avait des astreints dans quasi tous les supermarchés de quartier. J’ai vu un centre commercial de Plainpalais qui lui, a eu recours aux agents de sécurité déjà engagés en temps normal pour faire le tri à l’entrée, afin de vérifier qu’il n’y ait pas trop de monde qui entrait dans le centre. Sinon, partout ailleurs, tu voyais des gens de la protection civile faire ce boulot. Devant un supermarché de la Jonction, les gars de la protection civile sont venus parce qu’il y avait trop de monde qui faisait la queue et ils ont organisé un labyrinthe. Ça fait peur mais c’est ça !

« Est-ce que les gens de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? »

Durant le week-end de Pâques, la protection civile devait également vérifier dans les espaces publics que les distances sociales étaient respectées, pas de rassemblement de plus de cinq personnes. Mais, elle n’avait aucun pouvoir. Elle pouvait dire quoi, à part : « Vous ne devriez pas être cinq. » Le but de cette présence est clairement dissuasif, en suivant cette logique que si les gens voient quelqu’un en uniforme, ils vont respecter la règle. Quand tu es à la protection civile, tu dois porter un uniforme. Et c’est le cas aussi des sapeurs-pompiers qui devaient se balader, non pas en civil, mais en uniforme. La protection civile est vêtue de vert olive. Vert, c’est la couleur de l’armée dans l’ordre du symbolique. Quand tu vois des gens qui sont habillés tous pareils, dans des codes de couleurs hyper précis – le bleu, le vert olive – ça ne te fait pas vraiment penser à un truc de dissuasion, mais plutôt à un truc autoritaire. Ces gars de la protection civile sont aussi conscients qu’ils sont là pour des mauvaises raisons : surveiller… Ils sont là, à se balader dans les parcs et ils ne vont pas aller engueuler les gens, ils se disent que ce n’est pas leur rôle.

« Est-ce que les astreints de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? La question se pose de plus en plus. Parce que pour ceux qui surveillent les parcs, c’est ça ! »

Quand on est astreint à la protection civile, on reçoit une formation de base. Avec cette formation de base, on est apte à aider en cas de catastrophe. Le Covid-19, c’est une catastrophe. Et donc, en ce moment, il y a une équipe qui est dans les locaux des ambulanciers et qui les aide à désinfecter les ambulances tous les soirs. D’habitude, il n’y a pas autant d’ambulances qui circulent dans les rues de Genève. Il y a tellement de demandes en ce moment qu’il faut accélérer le rythme, il faut que ce soit désinfecté le plus vite possible. Dans ce cas, notre rôle se justifie. C’était aussi le cas quand, pour soulager le personnel d’une clinique privée et réquisitionnée ; la protection civile a monté une tente hôpital d’appoint pour recevoir les personnes susceptibles d’avoir le coronavirus. Les mêmes tentes ont été montées devant d’autres cliniques privées, devant l’hôpital et des centres médicaux. On est formés à ce genre de choses. En cas de catastrophe, on est censés pouvoir suppléer des sapeurs-pompiers, des médecins, des cantonniers, tous les gens qui sont en première ligne. Alors que surveiller les gens dans les supermarchés ou aller faire la morale aux promeneurs dans les parcs ou au bord du lac, ce n’est clairement pas ce pourquoi les astreints ont été formés jusqu’à aujourd’hui. Si ça devient la norme…. On ne sait pas de quoi demain sera fait. On ne sait pas si, à partir de l’année prochaine, on ne nous dira pas que maintenant, ça entre dans nos compétences. Est-ce que les astreints de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? La question se pose de plus en plus. Parce que pour ceux qui surveillent les parcs, c’est ça ! En fait, ils ont intégré l’ordre répressif – ou comme Weber le disait, la capacité coercitive de l’État – sans l’avoir voulu.

Des affectations aux limites floues…

Devant le foyer Frank-Thomas, j’ai vu un astreint de la protection civile et je me suis demandé ce qu’il y faisait. Déjà en temps normal l’agent de sécurité devant, c’est choquant, mais tristement pour un foyer, on s’y est habitué. Qu’est-ce que le gars de la protection civile vient apporter là-bas ? On s’est demandé si on allait être postés devant les foyers de migrants… C’était une interrogation, car on a vu des astreints vers des foyers. Autre exemple : Des scouts font les livraisons pour les personnes âgées. Il y a des gens de la protection civile qui les aident matériellement. Pour que les livraisons ne se fassent plus à vélo, ne durent pas 45 minutes… dans les zones plus reculées, à la campagne.

Il y a encore un domaine où la protection civile intervient, mais je ne sais pas à quel point il est représentatif. La protection civile a des camionnettes prévues pour ce genre d’urgence. En ce moment, certaines d’entre elles servent à livrer les repas à domicile aux personnes vulnérables. Mais on a aussi vu des camionnettes de la protection civile transporter des militaires à la douane pour qu’ils prennent leur poste et qu’ils s’assurent que personne ne franchisse la frontière. Il semblerait que l’armée n’a pas assez de véhicules, ce qui est quand même assez troublant vu le fric qu’on lui file chaque année. Les gens de la protection civile ne sont pas, eux, postés aux frontières. Peut-être pas encore ? On ne sait pas encore l’évolution du Covid, donc tout peut changer tous les jours en termes d’affectation…

Au moment où l’on a reçu la première lettre datée du 18 mars, on nous a dit qu’on serait mobilisables jusqu’à la fin avril, selon le calendrier prévu. Puis le 5 avril, la mobilisation a été prolongée au 31 mai. Et ensuite le 17 avril, on a compris qu’on serait peut-être mobilisables jusqu’au 30 juin.

Les conditions d’affectation : horaires, salaire, assurance…

En cette période de crise, les astreints à la protection civile, on nous prévient de semaine en semaine. On est réquisitionnés trois à quatre jours par semaine. Soit du lundi au jeudi, soit du vendredi au dimanche. Au début de cette crise sanitaire, il fallait être à 7h30 aux abris PC*** où se trouvent les centres de commandement. Le paradoxe étant que, tout à coup, ces abris PC ont été réaffectés à ce pour quoi ils ont été conçus. Car l’anomalie, c’est qu’en Suisse il y a des migrants logés dedans. Heureusement nous, nous n’avons pas à dormir dedans ! On est convoqués soit à 7h30, soit à 14h30 à l’abri. On est censés être disponibles de 7h30 à 23h30, mais répartis en deux groupes, celui du matin, puis celui de l’après-midi. Dans une journée, on travaille entre sept et huit heures. On a une pause à midi pour manger la nourriture qu’ils nous donnent.

Les chefs de la protection civile, contrairement à nous, sont mobilisés six à sept jours par semaine pour un jour de pause. Ils peuvent enchaîner huit jours de suite. Et ils ont les horaires les plus pourris. Ils doivent arriver avant nous et partir après nous. En ce moment, ils sont responsables de faire les plannings. Ils reçoivent d’abord une affectation et ils doivent faire des calculs et décider combien de personnes sont nécessaires et à quels horaires. Ils gèrent les ressources humaines et font de la planification en quelque sorte. Ils doivent s’occuper de l’accueil de chaque astreint, leur expliquer les tâches, être là pour s’assurer que la relève est bien arrivée. En général, il y a deux chefs pour une journée donc l’un fait 6h30-15h et l’autre 15h30-24h pour s’assurer que tout s’est bien passé durant la journée.

Le salaire, c’est pervers. Quand tu es à la protection civile comme à l’armée, ton salaire est compensé par l’assurance perte de gain APG. Elle couvre 80 % de ton salaire. Ton employeur est responsable. Est-ce qu’il doit continuer à te verser les 20% manquants ? C’est au libre choix de l’employeur. Pour les indépendants, c’est tout bénéfice, car ça passe directement sur leur compte et si tu fais l’équivalent d’un temps plein, c’est 5’800 CHF par mois. Pour les employés, il y a toute une série d’employeurs qui ne payent pas les 20% et toi tu tournes à 80% durant cette période. Un autre truc pervers : chaque jour qu’on passe à la protection civile, en fait on est couverts par l’assurance militaire. Le département de la défense paie l’assureur SUVA pour toutes les personnes astreintes à la protection civile et les militaires. Mais on ne peut pas suspendre notre assurance maladie personnelle durant cette période. Tu as donc deux assurances. Les jours où je suis à la protection civile, je paie mon assurance personnelle mais en même temps la Confédération suisse me paie une autre assurance. C’est absurde ! Pour les caisses d’assurance maladie par contre, assurer toutes les personnes qui sont astreintes à la protection civile ou à l’armée, c’est double bénéfice. Si tu tombes malade pendant le cadre de ton service, ça va se répercuter sur l’assurance militaire, mais tu auras payé deux primes indirectement. Le système est beau ! Il y a un article de la loi qui dit qu’on a le droit de ne plus payer notre assurance à partir d’un certain nombre de jours de service. Sauf que personne ne sait combien ! Personne ne nous l’a jamais dit. Je pense que c’est suffisamment élevé pour que ce ne soit pas possible, même en ce moment. La beauté du système suisse, elle s’incarne maintenant.

« Mais les gars en poste devant les supermarchés n’ont pas de masques eux ! »

Tous ceux qui, comme moi, sont affectés en renfort dans les endroits de soins et de dépistage, aux soins à domicile, aux ambulances, à l’aide de personnes sans-abris, on a tout un matos disponible et on le met à disposition des autres. Les gels désinfectants, les masques, … l’État et une grande entreprise chimique suisse nous fournissent ça. Parce qu’on a considéré que c’était important qu’on en ait. Et c’est vrai. On a tout ce qu’il faut pour éviter d’être contaminés. On nous a dit que les masques, on ne pouvait les utiliser que pendant quatre heures sur une journée de huit heures ; on a le droit d’en porter deux, d’avoir des fioles de gel hydroalcoolique qu’on remplit avec les stocks. Et on nous lave nos vêtements. Ils nous font changer d’uniforme tous les jours. Ils nous le nettoient et le désinfectent. Il y a des gens de la protection civile qui s’occupent de ça la nuit. Mais les gars en poste devant les supermarchés n’ont pas de masques eux !

Pour les astreints dans le domaine des soins, les distances sociales ont été respectées. Mais pour les autres en général, non. Et ça s’applique à tous les lieux, pas qu’aux abris PC, mais aussi aux pompiers, etc. Dans ces lieux-là, il n’ y a pas d’espace prévu pour la distanciation sociale ! Le seul avantage, c’est qu’on prend ta température le matin pour s’assurer que tu n’es pas contaminé. Mais dans les réunions briefing du matin à l’abri PC, le local n’est pas assez grand pour opérer la distanciation sociale. Il y a eu un article à ce propos dans la presse genevoise.

« L’armée et la protection civile prétendent être prêtes à parer à toute éventualité, en fait non. Tu as l’impression qu’ils se préparent les trois quarts de l’année à vivre un bombardement de l’armée allemande, qui n’est jamais encore arrivé jusqu’à aujourd’hui. Mais une pandémie, visiblement, ils ne savent pas la gérer. »

Le cas le plus problématique, c’était la protection civile de la Ville de Genève parce qu’en termes d’effectifs absolus, la Ville a beaucoup plus d’astreints que les communes périphériques. Dans ces dernières, respecter les distances interpersonnelles, ça pouvait être compliqué mais faisable ; tandis qu’en Ville, c’était impossible, ils étaient entre 70 et 80 à arriver le matin dans un abri PC ! Non seulement la distanciation sociale n’était pas respectée, mais on prenait le risque de contaminer 80 personnes par jour. Du coup, le Canton a suspendu la protection civile de la Ville de Genève pour son incapacité à assurer la distanciation sociale entre astreints. Actuellement, la protection civile des communes opère seule. Du coup, elle doit à présent se charger aussi de toutes les tâches qu’effectuait avant la protection civile de la Ville de Genève qui avait l’effectif d’astreint le plus important. On ne sait pas s’ils ont pris des nouvelles mesures, comme convoquer les gens par groupes de dix ou autres. La question se pose…

Tu pourrais très bien mieux répartir les gens. Une équipe arriverait à l’abri PC à 7h30 et repartirait à 7h40 à son affectation, puis arriverait la suivante, etc. On pourrait très bien organiser cela autrement. Il y a une part d’incompétence totale. L’armée et la protection civile prétendent être prêtes à parer à toute éventualité, en fait non. Tu as l’impression qu’ils se préparent les trois quarts de l’année à vivre un bombardement de l’armée allemande, qui n’est jamais encore arrivé jusqu’à aujourd’hui. Mais une pandémie, visiblement, ils ne savent pas la gérer, que cela concerne la population ou les gens contraints de devoir s’occuper de la pandémie. Un exemple me fait rire, c’est celui de sapeurs-pompiers qu’on a formés à faire le dépistage. Ils ont été autorisés à le faire. Ça veut dire qu’un sapeur-pompier volontaire habitué à certaines tâches de base, que ce soit prendre tes constantes (pouls, température, tension,…) ou t’évacuer d’un feu, se retrouve du jour au lendemain avec une consigne du style : « Vas-y, mets un coton-tige dans la gorge ou le nez de quelqu’un pour récupérer son frottis et faire un test Covid. » Dans une commune ils ont essayé de le proposer à des gars, m’a raconté un ami. Et on leur a demandé : « Est-ce que ça vous dérangerait de faire ça ? ». Il paraît qu’il y a eu une espèce de grève générale en réaction !

« La protection civile quelque part reproduit les schémas de la société. »

Si on me demande si je me suis senti mis en danger, je dirais que oui. C’est-à-dire que, dans une période où tout le monde est censé rester chez soi un maximum, ne sortir que pour faire l’essentiel… C’est ça le mot : l’essentiel. Les courses et aller à la pharmacie. Oui, on est clairement plus exposés que les autres. D’ailleurs, il y a un gars de la protection civile qui a chopé le Covid. C’est officiel. Pour le coup, lui c’est un chef. Et il a plus de 60 ans. Ça veut dire qu’on a mobilisé une personne de cet âge-là, à risque. C’est quand même assez grave. Les chefs n’ont pas d’âge limite pour être mobilisés, contrairement à nous. Nous, on est censés être au service de la patrie entre 18 et 40 ans. Pour être chef, c’est du volontariat. Mais, pendant très longtemps, ça ne correspondait à rien d’être chef, puisqu’il n’y avait rien qui se passait. Quand tu es astreint à la protection civile en gros tu ne fais pas l’armée, mais tu es quand même soumis à la taxe militaire. Et chaque jour que tu fais à la protection civile te permet de diminuer de 4 % ta taxe militaire. C’est quatre jours par année. Mais si tu es chef, la décote sur la taxe est de 8 %. D’après moi, il y a une raison économique à devenir chef. La plupart des chefs ne sont pas des diplômés universitaires qui gagnent plein de fric. Ce sont des gars qui ont des formations techniques, qui ont fait des apprentissages, qui ont un CFC. Payer la taxe militaire quand tu as un salaire de diplômé universitaire, ce n’est pas génial mais tu arriveras toujours à t’en sortir. Alors que si tu as fait un apprentissage, c’est pas dit. Les apprentis aussi sont taxés plus que les étudiants. Donc il y a une discrimination sociale immense ! La taxe militaire, c’est clair qu’il y a un truc de classe là-dedans. C’est un peu comme l’impôt fédéral direct : tout le monde est imposé au même taux, alors que personne ne gagne le même salaire. Donc, en terme de classe, il y a un truc très bizarre qui se passe. La protection civile, quelque part, reproduit les schémas de la société. Ces personnes, qui ont cherché à réduire au maximum leur taxe militaire, en devenant chefs se retrouvent au front, exposées comme les caissières des supermarchés, les aide-soignantes, les infirmières, les nettoyeuses des hôpitaux, etc.

Journal de bord d’agentes d’escale à Genève

Journal de bord d’agentes d’escale à Genève

Anne : Je travaille à l’aéroport comme agente d’escale dans une entreprise d’assistance au sol pour une compagnie d’aviation. Je travaille au check-in de cette compagnie. Je suis en CDD. J’ai commencé en hiver et mon contrat s’achève ce printemps. Je travaille pour cette entreprise, parce que je ne trouvais pas de boulot à la suite de ma formation. Ce n’est pas là où je me voyais évoluer, mais voilà, c’est le travail que je fais en ce moment.

Caroline : Je travaille comme Anne pour une entreprise d’assistance au sol à l’aéroport de Genève. J’ai un contrat en CDI, mais je suis payée à l’heure.

Témoignages recueillis dans la deuxième quinzaine du mois de mars 2020, à quelques jours d’intervalle.

« J’ai fait un sondage parmi mes potes en leur demandant de répondre à la question : la santé ou l’argent ? »

Menace coronavirus : journal de bord d’une agente d’escale

 

Caroline : En janvier, on a commencé à parler dans les médias d’une épidémie en Chine. Ce n’était pas très important, c’était lointain. Sauf que pour nous, qui travaillions à l’aéroport avec des vols internationaux, assez rapidement les directions des différentes entreprises actives sur la plateforme aéroportuaire de Genève ont commencé à faire des communications de crise. En disant au départ que le Covid-19, c’était en Chine, qu’il n’y avait pas besoin de s’inquiéter. Par la suite, certaines compagnies ont commencé à se poser la question de l’annulation des connexions avec la Chine, notamment Air France. Mais depuis Genève, sauf erreur, c’est Air China qui opère la liaison directe. Et eux sont partis du principe qu’ils n’annulaient pas leurs vols. A ce moment-là, des agents ont commencé à s’inquiéter et à porter des masques. C’était en janvier. Et quand je parlais de cela en dehors de l’aéroport, aux amis et à la famille, c’était exotique. Plutôt en plaisantant, on me disait que j’étais « la pestiférée ».

Certains collègues travaillant pour Air China portaient des masques, mais ceux travaillant pour d’autres compagnies n’en portaient pas. Les entreprises ont continué à communiquer en disant que ce n’était pas grave, que le virus ne résistait pas sur les passeports, les valises, les surfaces lisses, etc. Alors que fin janvier, les syndicats actifs à l’aéroport avaient dit aux directions et aux collaboratrices et collaborateurs qu’il fallait du matériel de protection. Et qu’en parallèle, l’OMS parlait d’épidémie, appelant à prendre des précautions sanitaires.

Il s’est passé une chose marquante fin janvier, qui est aussi sortie dans la presse : un Britannique ayant transité par l’aéroport de Genève de retour de Singapour s’était rendu en Haute-Savoie. Porteur du virus, il avait contaminé des personnes en Haute-Savoie, puis en Grande-Bretagne en rentrant chez lui. Mais les directions des différentes entreprises de l’aéroport continuaient à dire qu’il n’y avait pas de soucis à se faire ! Pourtant, elles ont admis le fait que cet Anglais, malade du coronavirus, avait transité par l’aéroport de Genève.

En février, les communications étaient encore régulières… mais on parlait toujours du virus « asiatique ». Les syndicats persistaient à demander du matériel pour protéger les travailleuses et les travailleurs. Fin février, je me suis payé un gel hydro-alcoolique parce que, même si, comme tout le monde, je n’y croyais pas complètement et que ce virus restait encore pour moi quelque chose de très lointain, j’ai quand même commencé à m’inquiéter me sachant au contact de beaucoup de personnes… D’ailleurs, même en temps normal, ça me dégoûte de toucher toutes ces affaires, de voir tous ces gens et je me lave souvent les mains. Mais là, je me suis dit qu’on était passé à une étape supérieure.

Fin février, les autorités ont annoncé qu’elles interdisaient les rassemblements de plus de 1000 personnes… À l’aéroport, dans le hall, 1000 personnes on y arrive vite ! Et il y avait juste les recommandations qui avaient été affichées : « ne pas serrer des mains, éternuer dans les coudes,… » Il restait qu’en Suisse il n’y avait que quelques cas isolés. Puis, c’est allé très vite. Début mars, la direction a évoqué la question du chômage partiel. Et paradoxalement, elle ne prenait toujours pas de mesures d’hygiène ni de sécurité !

En parallèle, depuis début mars, des collègues et moi avons développé des techniques pour essayer d’être moins en contact avec les passagers. On essayait d’éviter de toucher tout ce qu’on pouvait. Mais rien n’a été mis en place par la direction. Et je sais que c’est pareil dans différents services et dans différentes entreprises. Chez nous, on avait un peu de gel hydroalcoolique mis à disposition, mais clairement pas assez pour tout le monde.

Dès le mercredi 11 mars, Genève a interdit les réunions de plus de 100 personnes. Pourtant, nous, on n’a vu aucun changement à l’aéroport ! Rien n’a été mis en place. Parfois il y avait des gants à disposition, mais évidemment, pas assez ! Moi, je n’en avais pas.

La direction a discuté du chômage technique avec les partenaires sociaux, mais elle n’a rien communiqué officiellement à tout le personnel. Même si on voyait bien que depuis début mars, plus grand monde ne prenait l’avion. Il y a eu clairement une baisse au niveau de la fréquentation. On se retrouvait à préparer des vols à moitié vides. Cela s’est accentué jusqu’au catastrophique week-end du 14-15 mars. Et ce week-end a été médiatisé parce que le Conseil fédéral venait d’annoncer la fermeture des écoles, l’interdiction des rassemblements, l’obligation de respecter une distance sociale (distance interpersonnelle de 2m), etc. Et à l’aéroport, rien n’était mis en place pour protéger du coronavirus ! Pourtant la direction parlait de chômage partiel. On avait donc d’un côté, le stress économique « ça sent mauvais les gars », de l’autre la conscience de la nécessité de se protéger en travaillant, parce que là ça devenait dangereux partout. Sachant que dans le reste de la ville les gens faisaient vite des courses pour se préparer à un confinement, ce week-end-là à l’aéroport, j’avais l’impression d’être dans un autre monde.

Dès le lundi 16 mars, des mesures sérieuses sont progressivement instaurées. Un peu tard puisque depuis deux semaines, de moins en moins de gens transitaient par l’aéroport et prenaient des vols. Un peu tard aussi puisque le week-end précédent, il y avait eu beaucoup de passagers. Les stations de ski ayant fermé, les gens voulaient rapidement rentrer chez eux. Mais les mesures qui auraient dû être mises en place depuis longtemps ne l’ont été qu’après ce fameux week-end, au fur et à mesure, selon les services et les lieux.

Le 19 mars, le syndicat SSP-section aéroport appelait à la grève si l’aéroport ne fermait pas le lendemain, en tout cas au trafic passagers. Ensuite, ils se sont rétractés en disant que des mesures avaient été mises en place pour préserver la santé des employées et employés sur le lieu de travail. C’est vrai que là, ils avaient finalement mis en place des mesures utiles, mais c’était bien trop tard ! Il y a eu un contrôle au niveau de l’entrée du bâtiment qui a plus ou moins bien marché, on filtrait les entrées et on demandait de voir une carte d’embarquement du jour, pour diminuer le nombre de personnes présentes dans le hall. Il y a eu des marques au sol dans les files. Dans les salles d’attentes, un siège sur deux a été condamné.

Le vendredi 20 mars, il y avait des vols vides, maintenant il n’y a presque plus rien. Il reste environ 9 vols par jour et le taux de remplissage est dérisoire. Pourtant il y a toujours des vols et, ce qui est bizarre, même avec Rome. En fait, ça n’a jamais été ni les autorités cantonales ou fédérales, ni la direction de l’aéroport ni les entreprises actives sur sa plateforme qui ont pris la décision d’annuler les vols ou de fermer l’aéroport. Ce sont les compagnies qui ont décidé de diminuer leurs vols. Donc, ce n’est pas ici que se prennent les décisions, mais aux sièges des compagnies. Et ce n’est pas la santé des collaboratrices et collaborateurs ou encore celle des passagères et passagers qui motivent leurs décisions, mais des questions économiques et de fermeture de frontières.

Dans le détail, la réactivité du personnel et des passagers face à la très lente mise en place de mesures de protection

 

Anne : Ça a pris beaucoup de temps pour que l’aéroport et les compagnies se mobilisent pour mettre en place des mesures de sécurité. Ce qui s’est passé, c’est qu’on n’a eu aucuns gants, ni masques délivrés par notre employeur alors qu’on était en première ligne, en face à face avec la clientèle. A un moment donné, j’ai reçu un message comme quoi il y avait des gants. Je suis allée au bureau le lendemain, mais personne n’avait l’air de savoir s’il y avait eu des gants dans le bureau même, pour vous dire. En tout cas, il n’y en avait plus. Finalement une boite de gants est apparue. Je ne sais même pas qui l’avait amenée. Une collègue ? Du coup une moitié des gens qui travaillaient avec moi en avait, l’autre pas. Parce que les gants, ce sont des frais personnels. Et quand bien même, sur le marché, en pharmacie, on en trouvait déjà plus.

Après, le problème des gants, c’est qu’ils se trouent. Parce qu’on bosse avec des étiquettes, donc ça colle, donc ça se troue, donc tu changes de gants. Par conséquent, il en faut une grande quantité. Quant aux gels désinfectants, c’est aussi un problème. On en a eu, une fois, un petit gel collectif au bureau… Nous amenions nos gels et certaines personnes, leurs propres gants. Au début de cette épidémie, je ne mettais pas de gants et puis à force d’entendre les nouvelles, de voir les consignes, j’ai fini par me dire : « ça ne va plus, il faut que j’en mette ». Je suis allée en chercher à la pharmacie, mais à ce moment-là, il n’y en avait plus. De manière générale dans ce boulot, à la fin de la journée nos mains sont dégueulasses parce qu’on touche tout. C’est comme les caissières et les caissiers. Les emplois où tu touches des papiers, où tu touches ce que d’autres touchent, des documents, des produits, etc. Nous, nos mains, elles ont vite une couche de crasse. En quelques minutes seulement, tu la sens cette couche. Tu ne te touches pas les yeux, ni le nez, ni la bouche. C’est dégueulasse. On a vraiment un rapport direct avec plein de choses.

Le week-end du 14-15 mars, il y avait encore des files d’attente où les gens étaient collés. On ne disait pas aux gens de respecter les distances d’un ou deux mètres. Tout le monde était entassé dans la queue comme d’habitude ! Il n’y avait encore aucunes mesures. Ni plexiglas, ni gants, ni rien du tout ! Il n’y a pas eu de ligne rouge au scotch par terre avant le lundi 16 mars. Et ce n’est qu’au début de la semaine du 16 au 22 mars, qu’ils ont enfin installé des vitres en plexiglas. Des gens parfois s’accoudent sur les guichets, se mettent hyper proches, et toi tu es en-dessous. Donc si tu reçois un postillon ou autre, tu es en ligne de mire.

Caroline : Ce qu’ils ont installé trop tardivement, ce sont les vitres en plexiglas. À l’enregistrement, ils ont fini par les mettre, à l’embarquement même pas. Et le personnel volant a continué à faire les vols jusqu’à très tard, sans protections. Sachant que plusieurs fois, sur certains vols, il y a eu des suspicions de coronavirus, voire des confirmations de cas. Certaines directions disaient que le port du masque n’était pas recommandé.

En travaillant au guichet, je ne me suis pas sentie en sécurité. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement angoissé. Mais j’ai pris des dispositions personnelles pour me rassurer. En fait, chacun y est allé de sa petite technique. Un jour, des gants ont été mis à disposition. Mais c’était vraiment pas pratique pour faire notre travail : coller des étiquettes, taper sur un clavier … J’ai continué à me protéger en me lavant très souvent les mains et en ne me touchant pas le visage. J’ai aussi décidé de ne plus toucher de passeports. Je demandais au passagers de me les montrer et de scanner eux-mêmes leurs cartes d’embarquement. Ça prenait du temps pour que les passagers comprennent. Ce n’est pas venu de la direction, c’est nous qui avons décidé de toucher le moins possible. Fin mars, des gants et des masques ont été mis à disposition. Mais comme moi, des collègues avaient déjà mis en place des tactiques. Par exemple, habituellement, pour procéder à l’embarquement plus vite, pour une question de rentabilité, les collègues scannent tous les passagers et les font attendre dans une zone bien délimitée. Quand l’avion est prêt, les collègues ouvrent la porte et les passagers sont autorisés à entrer dans l’avion. Ce qui fait que les passagers se retrouvaient serrés comme des sardines dans un périmètre très restreint. Et sur ça pareil, il n’y a jamais eu de communication officielle, ce sont les collègues qui ont décidées elles-mêmes de cesser de le faire dès début mars. D’ailleurs pour dire vrai, l’angoisse du virus est d’abord venue des passagers car le personnel continuait à faire comme d’habitude, n’ayant reçu aucune nouvelle réglementation. À ce moment-là des gens disaient : « Vraiment on doit aller attendre là-bas ? ». Même problème avec les bus pour les embarquements et les arrivées. Puis c’est devenu le souci des collaboratrices et collaborateurs qui se sont demandé s’ils pouvaient continuer à entasser des gens dans des bus. Pourtant, selon les directives de la direction et des managers, on devait continuer à opérer comme en temps normal.

« La hiérarchie fait du télétravail depuis un certain temps. »

Caroline : Le directeur de l’aéroport, lui, témoignait depuis son domicile. La hiérarchie fait du télétravail depuis un certain temps. On voit cela dans beaucoup de domaines et de professions liées aux services. Comme la hiérarchie dans les supermarchés. Ils sont bien au chaud chez eux et les caissières sont au supermarché !

À part les emails que notre direction nous transférait à propos des conditions sanitaires, et des communications non officielles, c’est-à-dire des communications sorties dans des articles de presse ou sur les réseaux sociaux, on n’avait pas de nouvelles. Mais par contre on découvrait : le fitness fermé, le bureau des uniformes fermé, le bureau des RH fermé. « Écrivez dorénavant à ces adresses mail, le bureau est FERMÉ. » Et nous, on continuait à travailler car dans certaines professions, impossible de faire du télétravail ! Voilà pourquoi s’impose la nécessité de la fermeture de l’aéroport ou tout du moins de son service passagers !

Volera, volera pas ? Des raisons d’arrêter la machine

 

Caroline : À partir du lundi 23 mars, certaines compagnies n’opéraient plus de vol, tandis que d’autres en planifiaient encore une dizaine par jour. Et il y a des compagnies qui opèrent encore ! Ils auraient dû faire le choix de s’arrêter bien avant. On a vu dans d’autres pays, des compagnies qui avaient interrompu leur connexion avec la Chine ou avec l’Italie, mais en tout cas à Genève, j’insiste, encore aujourd’hui, des vols partent pour Rome. Ils disent qu’ils font des vols de rapatriement. Et il y a les vols de fret pour les marchandises. Mais ils pourraient fermer la partie passagers. Qui voyage encore entre Genève et Rome aujourd’hui ? Je me demande… Il y a aussi beaucoup de vols entre Genève et Londres. Je ne sais pas ce qui se passe.

Début mars, on avait encore tous les vols habituels. Sauf qu’ils ont pris note qu’il y avait moins de personnes qui partaient en vacances ou se déplaçaient pour le travail, que la fréquentation diminuait. On peut aussi remarquer que cela n’a pas été une décision économique ou sanitaire mais simplement légale : quand les pays ont commencé à fermer leurs frontières, les premiers vols ont été annulés. Les pays de l’Est ont été dans les premiers à fermer leurs frontières, impliquant l’arrêt immédiat des vols. On n’en a pas du tout parlé dans les médias. La première décision qui a provoqué l’annulation de vols, c’est la fermeture des frontières; ça n’a pas été une décision de la compagnie. Par contre face à la situation italienne, certaines compagnies ont communiqué début mars pour dire qu’à partir de mi-mars, les vols avec l’Italie seraient annulés. Elles ont anticipé un peu. Cela s’est reproduit avec l’Espagne. En revanche, certaines compagnies n’ont jamais invoqué d’arguments sanitaires.

Contrats : ce n’est plus un aéroport, c’est une épicerie…

 

Caroline : À l’aéroport, très peu de gens travaillent en contrat fixe et ce sont un peu les privilégiés avec un 13e salaire. Mais par rapport au coût de la vie à Genève, ce salaire reste dérisoire. Mes collègues et moi sommes en CDI, mais payés à l’heure. Nous n’avons pas un salaire mensuel établi, mais un salaire qui varie selon les heures qu’on a effectuées. Et il y a une troisième catégorie de salarié.e.s, celle des personnes placées par une boîte temporaire, elles sont les plus mal loties, comme partout.

Anne : Le coronavirus a commencé à se répandre et à faire parler de lui, au moment où les auxiliaires en CDD devaient annoncer leur souhait pour la suite.

La grande majorité des auxiliaires a demandé un CDI. La plupart de mes collègues sont étudiant.e.s. Ils embauchent en décembre, parce qu’il y a beaucoup de passagers qui atterrissent à l’aéroport de Genève pour aller faire du ski. Je fais partie d’une équipe qui vient en renfort, en hiver. Ça s’appelle la période « charter ». Parce qu’il y a des milliers de voyageurs, provenant surtout d’Angleterre, qui viennent skier dans les stations environnantes et qui repartent quelques jours plus tard. Début mars, on n’avait toujours pas de réponse. Ce qui signifiait que si notre contrat n’était pas prolongé, on devait trouver un nouveau travail en peu de temps… La réponse a fini par tomber, disant qu’au vu de la situation, avec le coronavirus, aucun CDI ne serait possible, peut-être quelques CDD. Coup dur pour pas mal de gens ! Il fallait trouver un autre job…

Avec cette crise, on entend beaucoup de choses par rapport à nos droits, mais on a des doutes. Le chômage technique a été accordé aux travailleuses et travailleurs en CDI. Mais nous, les CDD qui terminons au printemps, nous n’avons droit à rien pour l’instant.

Il y a un moment où j’ai beaucoup hésité à me rendre au travail. Je ne voulais pas, en y allant, risquer de contaminer d’autres personnes ensuite. Un dilemme entre santé et argent. Faire le choix de ne pas aller travailler lorsqu’on est payé à l’heure serait revenu à ne pas avoir de salaire. Le bruit qui court en ce moment est qu’en avril, on n’aura presque pas d’heures. Je ne suis pas certaine que le nombre d’heures inscrit sur mon contrat sera respecté. Il n’y a presque plus de vols. Nos horaires nous seront communiqués fin mars pour le mois d’avril, donc quelques jours avant la fin du mois, c’est chaud pour s’organiser ! Nous n’avons pas de protection, de même que les personnes en stage. Il y a une liste de la direction qui indique toutes celles et tous ceux qui ne sont pas concerné.e.s par les mesures de chômage technique.

Caroline : Le chômage technique partiel avait été évoqué tôt mais les communications étaient évasives, c’était flou et ça le reste encore. On se questionne. La première communication semblait assez claire puisque cela disait que les personnes en CDI et payées au mois, recevraient 80 % de leur salaire mensuel. Mais pour les employés en CDI, payés à l’heure effectuée, cela n’était pas précisé ; on a donc écrit à la direction, les syndicats aussi.

Les problèmes inhérents à certains types de contrats ne sont pas nouveaux. L’année passée, on avait déjà fait remonter à la direction ce problème des CDI payés à l’heure. Ce type de contrat peut être établi pour 15 heures, 20 heures ou 24 heures en moyenne par semaine, mais il y a également une petite mention sur nos contrats qui indique « selon le besoin opérationnel ». Et il n’y a aucun minimum d’heures effectuées garanti par le contrat. Ça arrive régulièrement d’avoir très peu d’heures effectuées, par exemple en novembre qui est un mois creux. La convention collective s’arrêtait fin 2019, donc on était justement en renégociation mais la direction ne voulait rien entendre. On leur avait déjà dit que pour les personnes payées à l’heure, ça n’allait pas de ne pas respecter les heures contractuelles. L’année dernière, on avait fait remonter que pour certaines personnes, il manquait des centaines d’heures. Par rapport à leur contrat, cela équivaut à trois ou quatre mois d’heures non payées par année. Le chômage dédommage 80% du salaire. Mais, contrairement à d’autres entreprises, les dirigeants de notre entreprise ont clairement dit qu’ils n’allaient pas compléter les 20 % restant. Par ailleurs, on aurait voulu que les personnes payées à l’heure, le soient par rapport à leurs heures contractuelles. Et mauvaise surprise, la dernière communication de la direction, même si elle n’est pas très claire, donne à comprendre qu’ils vont calculer le pourcentage de travail mensuel sur la moyenne des heures effectuées l’année dernière. C’est injuste ! Parce que les gens qui ont eu plus d’heures l’année dernière seront mieux servis que ceux qui ont déjà été lésés ! Il faut aussi voir qu’une part non négligeable de notre salaire provient du fait que le dimanche, ainsi que les jours où l’on commence très tôt et où l’on finit très tard, on a une majoration de salaire horaire. Cette majoration représente des centaines de francs en plus pour nous chaque mois. Sur ce point, par exemple, ils n’ont jamais communiqué alors que ça change pas mal nos salaires. La grosse question est de savoir si le chômage partiel sera calculé sur nos salaires effectifs avec ces points et majorations ou pas.

Il n’y a pas un grand engagement syndical au sein de notre entreprise. Je pense que cela s’explique par le tournus important, le nombre de contrats à l’heure ou à temps partiel, et par le nombre d’étudiant.e.s recruté.e.s. Et malheureusement, alors qu’on pourrait penser que les étudiant.e.s ont le temps pour la réflexion et l’engagement, ces personnes-là sont moins soucieuses des conditions de travail. Elles/Ils sont chez papa et maman et, au pire, à la fin du mois ils sortiront un peu moins. De toute manière en ce moment, la question ne se pose pas puisqu’elles/ils ne peuvent pas sortir !

Il y a des gens très précaires aussi qui n’osent pas trop s’engager, parce qu’ils sont déjà bien contents d’avoir ce travail et se disent : « Si j’ouvre ma gueule, je risque de perdre mon emploi ». Parmi ces étudiant.e.s et ces personnes précaires, beaucoup ne comprennent pas le système, ne savent pas où consulter leur fiche de paie, ne comprennent pas le système des primes pour les heures du dimanche… Mais là, avec la crise, il y a eu un regain d’intérêt pour les syndicats et leurs propositions.

« Je te raccourcis ton shift » : diminution abusive des horaires de travail

 

Anne : Début mars, ils ont commencé à envoyer des emails concernant les horaires pour nous enlever la moitié de la journée de travail. On t’annonce ça quelques jours avant. Tu n’es pas payé. Ce n’est pas légal. Ils ont aussi proposé par exemple, qu’au lieu de faire les huit heures prévues, tu n’en fasses plus que quatre ce jour-là et que tes autres heures soient remplacées très tôt un autre jour. Ils te font travailler 4h tôt le matin et 4h tard dans la soirée, avec 5h de pause au milieu ! Plus tard dans le mois, ils ont aussi commencé à appeler le matin ou la veille, j’imagine pour que les gens viennent travailler plus tard que prévu, avec une perte de salaire là aussi : « Oui, en fait, on n’a pas besoin de toi. Est-ce que tu peux venir à 13h30 au lieu de 11h30 ? ». Un collègue a décidé de ne pas répondre et d’y aller pour ne pas perdre ses heures.

Caroline : J’ai eu la chance d’avoir des collègues qui m’ont mis la puce à l’oreille en me racontant ce qui se faisait. Mais le plus fourbe, c’est la manière qu’ils ont utilisée. En temps normal, on nous demande : « Je t’ai rajouté un shift, dis-moi si ok ? » C’est l’habitude. Et tu réponds automatiquement : « Merci d’avoir pensé à moi ». En utilisant le même mode, personne n’a compris qu’en acceptant ainsi, ils acceptaient une diminution d’heures de travail et donc de salaire. Le problème, c’est qu’ils te demandaient ton accord. En fait, personne n’a dit non. Pourtant ces collègues auraient pu refuser. Et maintenant, les personnes qui ont accepté ces réductions d’horaire ne peuvent pas récupérer ces heures parce qu’elles ont « accepté ».

Début mars, ils ont dit : « On va vers une période difficile, posez des congés non payés, récupérez vos heures supplémentaires dans les mois qui viennent » Plein de collègues ont répondu et la direction a dû revenir en arrière, car la loi a changé et ils n’ont plus le droit. C’est juste parce qu’ils ont été obligés par la loi…

Une anecdote cocasse illustre la communication de notre employeur. Depuis le début de la crise, il n’a jamais fait sa propre communication. Notre entreprise n’a jamais écrit quoique ce soit à propos du coronavirus. Il n’a fait que relayer les informations qui avaient été rédigées par Genève Aéroport. Ce qui a récemment donné une communication mythique, puisque dans un email que notre entreprise a simplement transféré à ses employés, il était dit : « voici les dernières mises à jour sanitaires concernant le coronavirus » et « nous avons le plaisir de vous annoncer qu’en ces temps de chômage partiel vous serez payés à 100 % ». Sauf que c’était Genève Aéroport qui écrivait à ses employés ! Notre employeur a transféré cet email à tous ses collaborateurs, alors que cette mesure de dédommagement ne s’applique justement pas à nous.

« Là en gestion de crise, c’est zéro. Mais il faut dire que c’est délirant comme entreprise en temps normal. »

Anne : En temps normal, en tant que CDD, notre pause, on l’a après 5h à 5h30 de travail. Quand tu es programmé pour faire 5h, tu n’as pas de pause. C’est hyper pénible. C’est un travail machinal, à la chaîne, qui ne s’arrête jamais quand tu as un flux de passagers. Un peu comme une caissière ou un caissier. C’est extrêmement pénible comme travail. Tu répètes le même discours pendant 5h sans pause. On ne soulève pas les valises nous-mêmes. Tu as le tapis où le passager pose sa valise. Après avoir contrôlé les documents, tu enregistres la valise et tu mets l’étiquette. Le tapis est toujours au même endroit, donc tu te cambres pour attacher l’étiquette d’un côté plusieurs heures d’affilée. J’ai entendu des collègues se plaindre d’avoir très mal à force de se pencher ainsi du même côté. Et les pauses ne durent que 30 minutes. Même si tu fais 8h d’affilée. En 30 minutes, tu n’as pas le temps de te poser vraiment. Il faut manger, boire, aller aux toilettes, fumer si tu fumes… Ta pause, tu la passes à courir. La salle de pause est loin, donc on n’y va jamais. Ça ne sert à rien de prendre un tupperware pour le faire chauffer au micro-ondes, parce que tu n’as pas le temps. À traverser l’aéroport, on en perd du temps, alors finalement on ne bouffe pas de la nourriture de chez nous et on dépense de l’argent au MacDo ou au Starbucks en haut. C’est tout un circuit interne. C’est du foutage de gueule !

Ils sont stricts sur des conneries. Genre, tu ne peux pas avoir les cheveux longs et détachés. Dès que des cheveux mi-longs touchent les épaules, si le patron débarque, les collègues concernées se prennent une remarque. Donc elles se coupent les cheveux juste au-dessus des épaules ou doivent les attacher. Ça n’a aucun sens parce que quand tu as les cheveux longs et que tu attaches ta queue de cheval, elle tombe aussi de toute façon sur tes épaules… c’est ridicule !

Il y a un système au travail où on t’accorde un point rouge si tu fais des grosses erreurs, et des points verts si tu fais des choses en plus, si tu prends des initiatives en faveur de l’entreprise, par exemple, un accueil exemplaire. On a des consignes pour l’accueil standard : un sourire, un truc, un machin… un merci, un au revoir. Si tu fais plus que ça, avec encore plus de sourires, tu peux avoir un point vert. Mais c’est arbitraire comme système, parce que c’est seulement si un chef passe que ça se voit. Il y a un portail où tu peux aller voir tes points verts et tes points rouges. Je déteste ce système, donc je ne vais jamais vérifier si j’en ai. Je ne veux pas le savoir !

Santé ou argent ? Telle est bien la question

 

Anne : Je n’ai pas d’économies. Face à la menace du coronavirus, je me suis sentie coincée, sans savoir quoi faire. Ça m’a tellement tendue qu’ils ne prennent pas de mesures de sécurité pour nous protéger. On est scandalisé par ce qui se passe. Pour me décider si je devais continuer à travailler dans ces conditions, j’ai fait un sondage parmi mes potes en leur demandant de répondre à la question : santé ou argent ? Ils disaient : « Santé ! Et on t’aidera, on sera solidaire ! »

« Personne ne devait aller absolument à Pula avant qu’une compagnie lowcost ne propose cette destination. »

Caroline : Je pense que les entreprises actives dans l’aviation vont être très impactées par la crise. Et on ne se rend pas encore compte jusqu’à quel point. C’est intéressant parce qu’à court et à moyen terme, ce secteur va devoir se poser des questions. Surtout les compagnies lowcost. Elles ont créé un désir qui n’existait pas avant. Vendre ce désir comme un besoin, celui d’aller passer un week-end entre amis dans telle ou telle ville. Par ces compagnies, j’ai découvert des destinations que je ne connaissais pas. Et personne ne devait aller absolument à Pula avant qu’une compagnie lowcost ne propose cette destination. Et les prix aussi ! Les prix qui sont devenus dérisoires. Quand j’étais petite, on se posait mille fois la question avant de voyager. Alors qu’aujourd’hui, vous pouvez aller à New York pour 500.- Quand j’étais petite, ce n’était pas envisageable d’aller un week-end à Londres en avion.

Pour moi, une entreprise qui en temps normal prend soin de ses collaboratrices et collaborateurs, sera plus attentive en temps de crise aux problèmes de santé publique et aux salaires. Nous, on savait déjà qu’en temps normal, notre entreprise nous traitait bien mal, qu’on était en sous-effectif chronique, qu’au niveau salarial, c’était complètement hallucinant. La crise venue, ça ne fait que confirmer nos craintes. C’est l’illustration de la basse estime qu’ils ont pour nous.

En ce moment, je suis absolument pour que tout ce qui n’est pas nécessaire à la survie de l’humanité soit fermé ! Et l’aviation en fait partie.

Ensuite ma réflexion est plus générale. C’est mon travail, mais je suis assez critique : pourquoi tout à coup c’est la crise du coronavirus qui arrive à arrêter les vols passagers ? Pourquoi toutes les revendications et les cris d’alerte au niveau de l’environnement n’ont pas été entendus ? C’est aberrant ! Même les gens qui appréciaient des week-ends en Espagne toutes les deux semaines, se disent à présent : « Là, il faut peut-être arrêter tous les vols et fermer l’aéroport ». Maintenant tout le monde est tout à coup d’accord. Alors qu’en temps normal, quand des gens disent « il faut réduire le trafic », ils ne sont pas entendus. Que ce soit les habitants de Vernier ou de Cointrin qui souffrent du bruit et de la pollution ou Extinction Rébellion qui fait des sit-in, personne ne les écoute… Je pense que la majeure partie de l’opinion publique est assez d’accord pour dire qu’une partie non-négligeable du trafic passagers dans l’aviation n’est pas nécessaire. Mais il n’y a qu’aujourd’hui que ça saute aux yeux !