La santĂ© publique en rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral : l’exemple du CoVid-19

La santĂ© publique en rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral : l’exemple du CoVid-19

Les maniĂšres de voir, de penser et de pratiquer la santĂ© publique sous le rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral engendrent de nombreux problĂšmes. Si nous subissons leurs consĂ©quences depuis longtemps, aujourd’hui, elles se donnent Ă  voir plus clairement en pleine crise du CoVid-19. Elles nous affectent ici et maintenant. Si, en tant que collectif, nous nous y intĂ©ressons, c’est dans l’optique de mieux comprendre ce que ces discours et ces pratiques sanitaires provoquent afin de renforcer l’envie et les moyens de s’en dĂ©faire. La premiĂšre Ă©tape en quelque sorte d’un chemin dont l’objectif n’est pas la critique pour la critique, mais la recherche active d’autres maniĂšres de prendre soin, de soigner et de prĂ©venir.

Par la publication de ces rĂ©flexions en cours, nous dĂ©sirons participer Ă  la construction d’un «commun» sur la santĂ©. Le choix de citer des extraits de tĂ©moignages rĂ©coltĂ©s ou de paroles tirĂ©es d’articles de journaux rĂ©pond Ă  la volontĂ© d’ancrer notre rĂ©flexion sur des expĂ©riences rapportĂ©es sur le moment. A l’avenir, elles pourront Ă©galement servir de traces tant de l’actualitĂ© de cette pĂ©riode, que de maniĂšres d’y donner du sens.

Cette premiĂšre partie part de questionnements sur les cadrages (1) de la santĂ© publique, tout en s’intĂ©ressant aussi aux pratiques nĂ©olibĂ©rales dans le domaine de la santĂ©. C’est ainsi que nous revisitons la pĂ©nurie des masques et des tests qu’a connu la Suisse pour en souligner son caractĂšre construit. Nous nous penchons sur deux cadrages en particulier : la responsabilitĂ© individuelle et l’individualisation des risques, ainsi que la mĂ©taphore guerriĂšre. Concernant cette derniĂšre, nous proposons de renverser la question martiale en une question sociale et de passer de l’acceptation d’un ennemi invisible Ă  celle d’un ennemi trĂšs visible : la classe capitaliste. Nous y dĂ©taillons des inĂ©galitĂ©s d’accĂšs Ă  la prĂ©vention dans la crise sanitaire du CoVid-19 en Suisse.

Partie I. Une amorce : les cadrages de la santé publique qui la dépolitisent

De tout cadrage – c’est-Ă -dire une certaine maniĂšre de regarder et de dĂ©finir un problĂšme social – dĂ©coule des solutions associĂ©es. Ce faisant, un cadrage exclut aussi d’autres façons de penser ce problĂšme et de le rĂ©soudre. Tout en Ă©clairant certaines rĂ©alitĂ©s sociales, il en masque d’autres. Les cadrages ne sont pas de simples pensĂ©es ou idĂ©es dĂ©sincarnĂ©es, ils ont des consĂ©quences sociales trĂšs concrĂštes. Certains cadrages visent Ă  dĂ©politiser les sujets abordĂ©s. La santĂ© publique connaĂźt ce phĂ©nomĂšne et les rĂ©ponses apportĂ©es Ă  la pandĂ©mie du CoVid-19 en constituent un exemple.

Faire la guerre aux microbes (2) ainsi que placer l’individu au centre de la bataille sont des cadrages qui paraissent aussi banals qu’évidents. Alors pourquoi s’y arrĂȘter ? Parce que rien n’est pure description. Le choix de mĂ©taphores ou de focus ne sont pas de purs hasards et ne sont pas sans consĂ©quences. Trois questions nous guident : dans le cadre de la crise du CoVid-19, que viennent justifier les cadrages du dispositif sanitaire ? Que produisent-ils ? Et qu’empĂȘchent-ils de penser ?

Pour commencer, nous revenons sur quelques effets du nĂ©olibĂ©ralisme sur la santĂ© pour pouvoir parler ensuite de deux cadrages en particulier. Il s’agit de partir du global pour arriver ensuite au cas de la Suisse.

Des cadrages dĂ©terminĂ©s par les processus d’accumulation du capital

 

Dans le monde nĂ©olibĂ©ral, les cadrages du domaine de la santĂ© sont fortement dĂ©terminĂ©s par les processus d’accumulation du capital. Comme tous les phĂ©nomĂšnes du monde social, ils subissent une forme de naturalisation qui laisse penser qu’ils sont les seuls possibles, qu’ils ne relĂšvent pas d’autres choix que de ceux dictĂ©s par la raison. La difficultĂ© de la critique est double. D’une part, il s’agit de faire voir les dĂ©terminants politico-Ă©conomiques de choix que tout contribue Ă  prĂ©senter comme techniques et naturels. D’autre part, il s’agit de ne pas s’enfermer dans la construction de modĂšles exemplaires qui, s’ils permettent d’apercevoir des alternatives aux options dominantes naturalisĂ©es et donc de comprendre celles-ci pour ce qu’elles sont, finissent par ne constituer que des segments du marchĂ© de la santĂ© renforçant l’individualisation du rapport Ă  la santĂ©.

Les cadrages que nous relevons ici semblent s’articuler pour donner une image de la santĂ© publique – et nous pouvons nous demander si cette expression a encore un sens – en rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral. Ils ne sont pas seulement des dispositifs idĂ©ologiques (des maniĂšres de reprĂ©senter le rĂ©el et d’orienter l’action). Ils sont aussi des consĂ©quences du rĂ©gime prĂ©sent d’accumulation du capital.

La dĂ©claration d’Alma Ata (3) de 1978, rappelle Alison R. Katz, reprĂ©sentait un « projet rĂ©volutionnaire de justice sociale dont le slogan Ă©tait La santĂ© pour Tous en l’an 2000. Le projet identifiait la pauvretĂ© et l’inĂ©galitĂ© comme dĂ©terminants majeurs des maladies et des morts prĂ©maturĂ©es et Ă©vitables (qu’elles soient Ă©pidĂ©miques ou endĂ©miques) » (4). Les autoritĂ©s internationales de la santĂ© publique ont radicalement modifiĂ© le cadrage de la santĂ© en passant de la santĂ© pour tout le monde Ă  la santĂ© marchandise (5).

Le cadrage de la santĂ© comme marchandise s’accompagne de diffĂ©rentes pratiques dont le sous-financement des systĂšmes de santĂ© publique reprĂ©sente un exemple criant. L’historien des sciences Guillaume Lachenal propose de tirer quelques leçons de l’expĂ©rience des pays du Sud en mettant en avant qu’ils « ont expĂ©rimentĂ©, avec vingt ou vingt-cinq ans d’avance, les politiques d’austĂ©ritĂ© sous des formes radicales. Le nĂ©olibĂ©ralisme prĂ©coce s’est dĂ©ployĂ© au Sud, notamment dans les politiques de santĂ©. Il est Ă  l’arriĂšre-plan des Ă©pidĂ©mies de sida et d’Ebola. [
] Au Sud, les États se sont vu contraints de couper dans leurs dĂ©penses de santĂ© publique au profit du privĂ© et de la philanthropie. » (6) La crise du CoVid-19 rend le sous-financement des systĂšmes de santĂ© publique flagrant pour un plus grand nombre de personnes dans les pays du Nord. En revanche, son orchestration, le fait que ce ne soit pas le fruit d’un malheureux hasard, d’une simple erreur de gestion, demeure peut-ĂȘtre moins lisible.

Or, le CoVid-19 a rendu particuliĂšrement visible le manque de ce qui, selon les spĂ©cialistes de santĂ© publique, constitue l’essentiel pour gĂ©rer une Ă©pidĂ©mie : le matĂ©riel mĂ©dical et le personnel de santĂ©. Le caractĂšre façonnĂ© de la pĂ©nurie de matĂ©riel mĂ©dical a mis quelques semaines Ă  devenir un fait difficilement rĂ©futable en Suisse et aujourd’hui dĂ©noncĂ© de maniĂšre transversale. Cet exemple permet de comprendre les liens entre des pratiques d’accumulation du capital et certains cadrages de la santĂ©.

Une pĂ©nurie façonnĂ©e : l’exemple des masques et des tests

 

En Suisse, comme dans d’autres pays, un objet aussi banal et crucial que le masque a dramatiquement manquĂ© dans les premiĂšres semaines de la pandĂ©mie. Au dĂ©but de la crise du CoVid-19, la Suisse exportait encore des masques, avant de devoir en acheter Ă  un prix nettement plus Ă©levĂ©. Alors que le pays manquait de masques, mĂȘme pour le personnel de la santĂ©, les autoritĂ©s de santĂ© publique en Suisse (Office fĂ©dĂ©ral de la santĂ© publique – OFSP) ont appelĂ© qui le pouvait Ă  donner ses masques. Au mĂȘme moment, des masques FFP2 et FFP3 – ceux munis d’un filtre, utilisĂ©s par le personnel de santĂ© – continuaient de quitter la Suisse, principalement Ă  destination de la Chine, de Hong Kong, de l’Allemagne et de l’Italie. Ce n’est pas moins de 25 tonnes, rien que pour les premiers mois de l’annĂ©e 2020 qui ont Ă©tĂ© exportĂ©s. Une augmentation colossale comparĂ©e au 13 kilos exportĂ©s durant toute l’annĂ©e 2019. Le vice-prĂ©sident de PharmaSuisse livre sans dĂ©tour les raisons : « Des intermĂ©diaires ont achetĂ© beaucoup de masques juste avant le dĂ©clenchement de la crise. Puis, ils les ont revendus lĂ  oĂč il y avait la meilleure offre » (7). Une manƓuvre typique de la logique du marchĂ© d’un rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral, qui a rapportĂ© beaucoup d’argent Ă  des entreprises privĂ©es. Les chiffres de l’Administration fĂ©dĂ©rale des douanes (AFD) nous apprennent que les masques vendus en moyenne Ă  20 francs/kg au mois de janvier, ont trois mois aprĂšs, Ă©tĂ© vendus en moyenne pour 205 francs/kg.

Mais il y a plus ironique encore. S’appuyant sur les donnĂ©es de l’AFD, des journalistes notent que « la Suisse a achetĂ© 108 tonnes de masques FFP2 et FFP3 lors du premier trimestre 2020. C’est sept fois plus que durant la mĂȘme pĂ©riode en 2019. Les pays d’origine de ces produits sont la Chine, le Japon, l’Allemagne et Hong Kong. Soit les mĂȘmes États qui ont reçu le matĂ©riel helvĂ©tique » (8).

En parallĂšle, quels sont les discours et les recommandations sur le port du masque en Suisse ? Courant mars 2020, alors que les masques manquent en Suisse, le Conseil fĂ©dĂ©ral soutient que le port gĂ©nĂ©ralisĂ© de ceux-ci n’est pas utile. Nous aurions naĂŻvement pu penser que les autoritĂ©s politiques se basent sur les connaissances scientifiques en leur possession pour penser une action de santĂ© publique et non sur leurs capacitĂ©s Ă  la mettre en Ɠuvre. Il n’en est rien. AprĂšs avoir tenu le propos inverse, les autoritĂ©s politiques admettent le 6 avril 2020 que le port du masque n’est pas inutile. Le mĂ©decin-chef des soins intensifs de l’hĂŽpital public de GenĂšve (HUG) le disait dĂ©jĂ  Ă  demi-mots en Ă©voquant, Ă  l’antenne de la tĂ©lĂ©vision RTS, que mĂȘme un foulard valait mieux que rien (9). Pourquoi ce changement de discours du gouvernement suisse ? Parce qu’à prĂ©sent, le stock de masques disponibles le leur permet. En effet, un avion parti de Shanghai en a dĂ©posĂ© quelques 2,5 millions Ă  GenĂšve.

« Désormais, les autorités affirment que le masque ne suffit pas. Tout est dans la nuance »

ironise une journaliste du Courrier. Mais l’affaire ne s’arrĂȘte pas lĂ .

« Faire figurer le port du masque dans les recommandations de l’OFSP aurait, du fait de la pĂ©nurie, obligĂ© un certain nombre d’entreprises et d’industries non essentielles Ă  fermer. »

explique encore celle-ci. Et de rappeler comment les deux géants de la grande distribution en Suisse, Coop et Migros, ont tout simplement, dans un premier temps, interdit le port du masque à leurs caissiÚres. (10)

Le rapport de l’Office fĂ©dĂ©ral pour l’approvisionnement Ă©conomique (OFAE) de 2019 donne un Ă©clairage sur le stock stratĂ©gique de la Suisse : le pays disposait de 186 000 masques FFP2 et FFP3 alors qu’on en aurait eu besoin de 745 000 pendant les trois premiers mois, s’il avait fallu faire face Ă  un nouvel agent pathogĂšne. Mais ce rapport de l’OFAE conclut par une invitation Ă  ne rien changer : les Ă©conomies priment! Notons au passage que d’aprĂšs Rudolf Strahm, le responsable des mĂ©dicaments de cet office est directeur chez ViforPharma11. La dĂ©couverte de ce rapport a choquĂ©, du Collectif GrĂšve du Climat suisse Ă  une conseillĂšre nationale du Parti Ă©cologiste suisse qui affirme :

« On considĂšre dans ce pays que la santĂ© est une charge et nous analyse donc les besoins presque uniquement en fonction de ce qu’ils pourraient coĂ»ter. [
] on ne se permettrait jamais autant de lĂ©gĂšretĂ© avec les Ă©quipements militaires. » (12)

Deux ans auparavant, en 2017, l’OFAE renonçait Ă  donner des consignes aux hĂŽpitaux et aux cantons en matiĂšre de stockage, chacun fait comme il veut car « les acteurs de la santĂ© craignaient les coĂ»ts Ă©levĂ©s du stockage » (13). La logique capitaliste : stocker en fonction des Ă©conomies dĂ©sirĂ©es (qui profitent Ă  certains) et non en fonction des besoins estimĂ©s (qui auraient profitĂ© Ă  tout le monde). Rappelons l’impact qu’a eu cette pĂ©nurie de masques au dĂ©but de cette crise sanitaire : du personnel de santĂ© travaillant sans masque ou devant rĂ©utiliser un masque Ă  usage unique (notamment dans les EMS (14) et les soins Ă  domicile), les autoritĂ©s sanitaires communiquant que le port du masque par la population n’Ă©tait pas nĂ©cessaire avant de revenir en arriĂšre, un gouvernement qui n’en distribue pas (faute d’en avoir) et enfin des employeurs autorisĂ©s Ă  forcer leurs employé·e·s Ă  travailler sans protection.

En Suisse, les masques ne sont pas l’unique matĂ©riel mĂ©dical qui ait manquĂ© dĂšs le dĂ©but de la crise du CoVid-19. Des produits nĂ©cessaires pour fabriquer des tests de dĂ©pistage, des rĂ©actifs, ont Ă©galement fait dĂ©faut. Ceux-ci Ă©taient importĂ©s notamment des États-Unis et d’Allemagne. Or, avec l’avancement de la pandĂ©mie, ces pays ont rĂ©duit leurs exportations de rĂ©actifs. Le gouvernement, craignant de manquer de tests, n’a pas optĂ© pour un dĂ©pistage massif et a rĂ©servĂ© ceux-ci au personnel de santĂ© et aux personnes ĂągĂ©es et vulnĂ©rables. Au dĂ©but du mois de mars, le problĂšme d’approvisionnement en tests rĂ©solu, la stratĂ©gie du Conseil fĂ©dĂ©ral est modifiĂ©e et des tests sont effectuĂ©s, jusqu’à 10’000 par jour. Seulement, voilĂ  qu’une fois le problĂšme du manque de produits rĂ©actifs rĂ©glĂ©, un autre surgit. Cette fois-, ce sont les Ă©couvillons qui manquent, ces longs bĂątonnets qui servent Ă  prĂ©lever les sĂ©crĂ©tions dans la gorge. L’amplitude de la population que le gouvernement dĂ©cide de tester Ă©tant dĂ©pendante du stock de bĂątonnets, la carence de ces derniers a reprĂ©sentĂ© un frein Ă  un dĂ©pistage plus large. Ce sont donc Ă  nouveau les stocks de matĂ©riel qui dictent les recommandations et les pratiques de santĂ© publique. De plus, encore une fois, le gouvernement, lorsqu’il arrive enfin Ă  obtenir ce matĂ©riel mĂ©dical, se retrouve Ă  devoir le payer au prix fort (15).

En somme, ne disposant pas de tests en nombre suffisant, le Conseil fĂ©dĂ©ral n’a pas pu prendre l’option de tester massivement sur un temps consĂ©quent. Ainsi le dĂ©pistage, une stratĂ©gie centrale du dispositif de prĂ©vention du CoVid-19 selon les scientifiques (16), n’a pas pu ĂȘtre menĂ© largement. Les logiques de marchĂ© sont l’une des principales causes de cette pĂ©nurie de tests. Il en existe d’autres, comme le fait que le plan pandĂ©mie de la Suisse a Ă©tĂ© basĂ© sur un scĂ©nario de grippe qui ne nĂ©cessite pas de tels test. Cette pĂ©nurie n’a donc pas Ă©tĂ© anticipĂ©e (17). Dans un rapport datĂ© de 2018, l’ancien chef de l’OFSP annonçait « dĂ©jĂ  le problĂšme majeur qu’a rĂ©vĂ©lĂ© la crise : la forte dĂ©pendance de la Suisse par rapport Ă  l’étranger concernant l’approvisionnement en biens mĂ©dicaux. En quittant l’ùre de la guerre froide, l’on est passĂ© en Suisse d’une politique de stock Ă  une logique d’achats en flux tendu. C’est celle-ci qu’il faudra remettre en question. » (18)

Alors que la Suisse est Ă  court de masques, de tests de dĂ©pistage et de personnel de santĂ©, au point de rappeler des retraité·e·s, d’engager des Ă©tudiant·e·s et de faire intervenir l’armĂ©e et la protection civile, deux cadrages classiques de la santĂ© publique suisse se dĂ©ploient : l’individualisation du risque et la responsabilisation des individus couplĂ©es Ă  la mĂ©taphore guerriĂšre.

Risques et responsabilité sanitaires : un problÚme individuel

 

Tout en reproduisant, dans certaines situations de travail et de logement, les conditions idĂ©ales de propagation du CoVid-19 et en les imposant Ă  une partie de la population, le Conseil fĂ©dĂ©ral n’a de cesse d’enjoindre les citoyen·ne·s Ă  ĂȘtre responsable, c’est Ă  dire suivre les rĂšgles de semi-confinement qu’il dicte. Au point de donner l’impression que tout repose sur le comportements et les gestes responsables des individus. Cette tendance dĂ©passe Ă©videmment l’État. C’est ainsi que la SociĂ©tĂ© suisse des entrepreneurs (SSE) tente de reporter la responsabilitĂ© du respect des normes sanitaires sur les travailleurs et les travailleuses en les obligeant Ă  signer une « auto-dĂ©claration » selon laquelle c’est Ă  elles et eux « d’appliquer les mesures de protection » (19).

L’individualisation du risque est une caractĂ©ristique centrale de diffĂ©rents dispositifs de prĂ©vention et de soins de maladies transmissibles, comme le VIH, la tuberculose et maintenant le CoVid-19. Les actions publiques leur Ă©tant dĂ©volues, souvent conceptualisĂ©es et communiquĂ©es comme des guerres ciblant des microbes, se mĂšnent Ă  au niveau de l’individu et plus prĂ©cisĂ©ment de son corps, vu comme une potentielle forteresse Ă  microbes. Ce cadrage transforme le risque en menace logĂ©e au sein mĂȘme de la personne. Cette maniĂšre de voir dissimule souvent les phĂ©nomĂšnes extĂ©rieurs, consĂ©quences des politiques nĂ©olibĂ©rales : inĂ©galitĂ©s d’accĂšs aux soins et Ă  la prĂ©vention, promiscuitĂ© des logements, risques au travail, prĂ©caritĂ© sous diverses formes. Ce cadrage exhibe les causes individuelles et simultanĂ©ment gomme les causes systĂ©miques et sociales de la maladie.

L’individualisation du risque s’accompagne de la responsabilisation de l’individu. En rĂ©ponse au vieux dilemme de la santĂ© publique: la responsabilitĂ© de la santĂ© incombe-t-elle Ă  l’individu ou Ă  la sociĂ©tĂ©? – la santĂ© publique actuelle en rĂ©gime nĂ©olibĂ©ral penche davantage pour la responsabilitĂ© individuelle.

L’individualisation du risque ouvre par ailleurs le champ au contrĂŽle des individus : dans le cas du CoVid-19, surveillance des regroupements par la police et des camĂ©ras, par la mobilisation de la protection civile dans les parcs, par la surveillance de nos dĂ©placements via nos tĂ©lĂ©phones ou le contrĂŽle de nos statuts sanitaires par des tests peut-ĂȘtre Ă  venir…

Métaphores et comparaisons guerriÚres

 

Dans son Ordonnance 2 sur les mesures destinĂ©es Ă  lutter contre le coronavirus (COVID-19) datĂ©e du 13 mars 2020, le Conseil fĂ©dĂ©ral Ă©crit que cette derniĂšre « ordonne des mesures visant la population, les organisations, les institutions et les cantons dans le but de diminuer le risque de transmission du coronavirus (COVID-19) et de lutter contre lui ». S’en suivront diffĂ©rents usages du cadrage guerrier en Suisse, dans la presse, par des journalistes et des personnes interrogĂ©es (20), et dans des communications Ă©crites, par l’industrie et le patronat (21). Ailleurs Ă©galement. Le 16 mars, Macron Ă©nonce :

« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armĂ©e ni contre une autre nation, mais l’ennemi est lĂ , invisible, insaisissable, et qui progresse. »

Il n’y a rien de nouveau. Les mĂ©dias, les autoritĂ©s nationales et internationales de la santĂ© publique, tout autant que les scientifiques et le personnel de santĂ© (22) font usage d’un champ lexical guerrier pour dĂ©crire les actions publiques mises en place en rĂ©ponse Ă  diffĂ©rentes maladies transmissibles telles que le HIV, la tuberculose, le virus d’Ebola, le H1N1 ou le CoVid-19. Le cadrage transversal de « la lutte contre » constitue une façon de rĂ©agir collectivement aux problĂšmes qu’engendrent ces Ă©pidĂ©mies.

Dans les productions scientifiques mĂ©dicales, le corps est dĂ©crit comme un champ de bataille et le systĂšme immunitaire comme un systĂšme de dĂ©fense contre des agents, une sorte d’envahisseurs Ă©trangers. Le corps est reprĂ©sentĂ© Ă  l’image d’un Ă©tat-nation qui poste Ă  ses frontiĂšres un systĂšme de surveillance pour se protĂ©ger des envahisseurs Ă©trangers (23). Dans le monde mĂ©dical, il est d’usage d’employer des mĂ©taphores militaires : « C’est l’imaginaire de la guerre et du combat qui sous-tend quotidiennement la relation entretenue avec la maladie et la thĂ©rapeutique. » (24) Les cadrages sont sujets Ă  modification et ne sont pas identiques partout. Rien ne permet de penser que la conception occidentale d’un corps comme zone de combat soit universelle ou naturelle. De surcroĂźt l’image d’un combat , Ă  l’intĂ©rieur du corps n’a pas existĂ© de tout temps (25). Cependant, l’histoire de l’immunologie et de l’épidĂ©miologie sont « parfaitement en phase avec l’idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale, pour laquelle la vie sociale est de toute façon une lutte permanente » (26). La sociologue Marie-Christine Pouchelle posait une question qui demeure ouverte :

« Quant au « combat » contre la maladie, qui dans son principe implique parfois la victoire Ă  tout prix, et donc la production de pathologies iatrogĂšnes (27), peut-on imaginer qu’il cesse ? » (28)

Hors du champ mĂ©dical, on retrouve les mĂ©taphores guerriĂšres, par exemple dans le travail de la police. Tant aux États-Unis qu’en France, le cadrage du « contrĂŽle de la criminalitĂ© » a Ă©tĂ© remplacĂ© par celui de la « guerre contre le crime ». DĂ©fendant l’idĂ©e que la « rhĂ©torique guerriĂšre a un coĂ»t », l’anthropologue Didier Fassin met en avant l’une des consĂ©quences du cadrage guerrier : « par un effet de rhĂ©torique qui Ă©lude les enjeux de sĂ©grĂ©gation et d’inĂ©galitĂ©s pour se focaliser sur les seuls problĂšmes de dĂ©sordres et de violences, la question sociale se transforme en question martiale » (29).

Pour un renversement de la question martiale en une question sociale

 

Par le cadrage guerrier, les gouvernements crĂ©ent artificiellement un « Nous » contre un « ennemi ». Il est intĂ©ressant de noter qu’existe simultanĂ©ment une individualisation des responsabilitĂ©s et une exhortation Ă  ĂȘtre une communautĂ© nationale au combat. En Suisse, la mobilisation de l’armĂ©e mais surtout de la protection civile participe Ă  cela. Ces dispositifs renforcent l’idĂ©e « d’union sanitaire nationale ». Une union sanitaire nationale qui face aux inĂ©galitĂ©s dĂ©tourne le regard refusant de prĂȘter attention aux diffĂ©rences dans l’accĂšs aux soins ainsi qu’aux diffĂ©rences quant aux consĂ©quences Ă©conomiques de la crise. Il sera en effet d’autant plus facile de faire payer Ă  tout le monde, indiffĂ©remment du revenu de chacun, le coĂ»t de la crise puisque que nous sommes tou·te·s ensemble dans cette guerre.

L’idĂ©e que nous serions toutes et tous, ensemble, dans cette guerre masque de nombreuses inĂ©galitĂ©s. A commencer par qui est au front, qui n’a d’autre choix que d’aller travailler dans des conditions risquĂ©es, qui est plus exposĂ© aux risques, qui meurt ? Mais encore, quelles sont les diffĂ©rences dans les conditions de confinement et dans les consĂ©quences Ă©conomiques de la crise. En temps ordinaire, le travail des soins Ă  la personne est peu valorisĂ© qu’il soit rĂ©munĂ©rĂ© ou non. Le CoVid-19 fait davantage apparaĂźtre ceux et celles qui sont au front et exercent des mĂ©tiers essentiels. Ce sont des femmes, des personnes mal payĂ©es et souvent racisĂ©es. Elles travaillent dans les soins, la vente, le nettoyage, la livraison, etc. Cependant, cette soudaine visibilitĂ© ne s’accompagne pas de l’objectif de revalorisation de ces mĂ©tiers, ni d’amĂ©liorations des conditions de travail (en terme de pĂ©nibilitĂ©, de manque de personnel ou d’augmentation des bas salaires) qui se pĂ©renniseraient au sortir de la crise.

De nombreux journaux ont insistĂ©, sur le mode de la rĂ©vĂ©lation, en dĂ©voilant des inĂ©galitĂ©s et le rapport inadĂ©quat entre l’utilitĂ© sociale d’un mĂ©tier et sa rĂ©munĂ©ration. Cette insistance mĂ©diatique permettra prĂ©cisĂ©ment d’annuler l’effet durable de cette prĂ©tendue rĂ©vĂ©lation d’un fait largement connu. Les ouvriers, les ressortissants de territoires colonisĂ©s qui ont combattus durant la PremiĂšre guerre mondiale ont Ă©tĂ© applaudis et cĂ©lĂ©brĂ©s aussi longtemps qu’on a eu besoin d’hommes Ă  envoyer au front. La stratification sociale ne devait absolument pas ĂȘtre bouleversĂ©e au sortir de la guerre.

Revenons justement au cadrage guerrier dans le champ de la santĂ©. Si guerre il y a : qui est l’ennemi ? Les microbes sont les premiĂšres cibles des luttes contre les maladies transmissibles. La guerre aux microbes que reprĂ©sentent les luttes contre diffĂ©rentes maladies transmissibles en Suisse se mĂšne principalement Ă  l’échelle de l’individu et plus particuliĂšrement de son corps envisagĂ© comme une citadelle Ă  microbes. Ce cadrage guerrier se combine au cadrage individuel, c’est-Ă -dire Ă  l’incorporation des risques dans les individus et Ă  l’individualisation du risque.

Il y a diffĂ©rents impacts de ce cadrage guerrier dans le champ de la santĂ©. L’un deux, c’est la stigmatisation de personnes ou de groupes d’individus. Lorsque la cible des actions publiques glisse de la maladie aux malades, aux personnes considĂ©rĂ©es Ă  risque ou dĂ©signĂ©es comme responsables de la perpĂ©tuation d’une Ă©pidĂ©mie (par exemple lors des Ă©pidĂ©mies de tuberculose ou sida ce sont les personnes sans abris, les personnes migrant·e·s, les hommes homosexuels qui ont Ă©tĂ© stigmatisĂ©s). La riposte « Fight AIDS not people with AIDS », slogan des militant·e·s d’Act Up, illustre la tentative de groupes dĂ©finis comme Ă  risque de redĂ©finir la cible de la lutte. Concernant le CoVid-19, des personnes identifiĂ©es comme chinoises ont Ă©tĂ© la cible de stigmatisation dans diffĂ©rents pays. Si cela n’a pas dĂ©frayĂ© la chronique en Suisse, les Ă©chos de ce genre de rĂ©actions n’ont pas manquĂ©. Par exemple, le 4 mars 2020 lors d’une formation en langue, les Ă©tudiant·e·s au lieu de s’asseoir aux places habituelles se sont Ă©cartĂ©es d’une personne d’origine chinoise et ont demandĂ© Ă  l’enseignant de faire cours avec la porte et les fenĂȘtres ouvertes (30).

Un autre impact est qu’en ciblant les corps des individus ou des groupes d’individus, ces cadrages guerriers et les dispositifs qu’ils imposent laissent hors-champ d’autres phĂ©nomĂšnes sociaux, Ă©conomiques et politiques. Ces cadrages brouillent les pistes : l’ennemi devient un microbe invisible, une personne ou des groupes (qui sont parfois mĂȘme accusĂ©s d’ĂȘtre partiellement responsable de l’épidĂ©mie) alors que le vĂ©ritable ennemi : le capitalisme et son organisation sociale demeurent hors-champ.

De l’ennemi invisible Ă  l’« ennemi trĂšs visible et actif : la classe capitaliste »

 

Si nous dĂ©cidons de continuer Ă  filer la mĂ©taphore guerriĂšre, faute de mieux pour l’instant, changeons alors la cible. L’anthropologue Charlotte Brives fait une proposition similaire lorsqu’elle Ă©crit :  

« Ce n’est pas contre les virus qu’il faut ĂȘtre en guerre, mais bien davantage contre des systĂšmes politiques et Ă©conomiques qui, loin d’ĂȘtre conçus pour remĂ©dier Ă  la prĂ©caritĂ© (trĂšs diffĂ©renciĂ©e !) des vies humaines et non-humaines, l’instrumentalisent et l’accentuent parce qu’elle est inhĂ©rente et indispensable au bon fonctionnement de la domination nĂ©olibĂ©rale. Alors mĂȘme que ces systĂšmes accĂ©lĂšrent la production d’agents pathogĂšnes, avec l’élevage et l’agriculture industrialisĂ©s, et leur dissĂ©mination, avec la grande intensitĂ© des Ă©changes dans l’interconnexion gĂ©nĂ©ralisĂ©e des espaces. » (31)

Luttons contre les mĂ©canismes ayant menĂ© Ă  cette crise sanitaire (et Ă  celles du siĂšcle passĂ©) : la prĂ©carisation d’une partie de la population, les conditions de travail et de logement inadĂ©quates (exiguĂŻtĂ©, promiscuitĂ©, insalubritĂ©, stress,…); les coupes budgĂ©taires et les logiques du marchĂ© (manque de matĂ©riel mĂ©dical et de personnel, 
); les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques de l’industrie pharmaceutique (choix de ne pas investir dans des secteurs qui ne leur rapportent pas ou pas assez), etc. ! En somme, nous voilĂ  face Ă  un « ennemi trĂšs visible et actif : la classe capitaliste » pour reprendre l’expression d’un camarade anonyme (32).

Inégalités face à la prévention

 

Comme le relĂšve David Harvey, il subsiste un imaginaire Ă©pidĂ©mique selon lequel la sociĂ©tĂ© serait touchĂ©e de façon transversale, mais cela ne correspond plus Ă  ce que nous pouvons observer aujourd’hui. La cĂ©lĂšbre citation de Thucydide sur la peste d’AthĂšnes est remarquable Ă  cet Ă©gard :

« A la vue de ces brusques changements, des riches qui mouraient subitement et des pauvres qui s’enrichissaient tout Ă  coup des biens des morts, on chercha des profits et des jouissances rapides, puisque la vie et les richesses Ă©taient Ă©galement Ă©phĂ©mĂšres. […] Nul n’Ă©tait retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines: on ne faisait pas plus de cas de la piĂ©tĂ© que de l’impiĂ©tĂ©, depuis que l’on voyait tout le monde pĂ©rir indistinctement. » (33)

Tel n’est pas, loin s’en faut, le scĂ©nario que nous connaissons aujourd’hui. L’agencement gĂ©nĂ©ral de la sociĂ©tĂ© n’a pas Ă©tĂ© – et ne sera pas – Ă©branlĂ© par la pandĂ©mie. Comme le reste du temps, les pauvres meurent plus et plus tĂŽt du CoVid-19 : parce qu’ils et elles y sont plus exposé·e·s (impossibilitĂ© de se retirer de sa place de travail et promiscuitĂ© dans un logement surpeuplĂ©), parce qu’ils et elles souffrent des comorbiditĂ©s associĂ©es Ă  la pauvretĂ©, parce qu’ils et elles accĂšdent plus difficilement aux soins. Plus nous montons dans l’Ă©chelle sociale plus les possibilitĂ©s de se protĂ©ger augmentent.  

MĂȘme au journal tĂ©lĂ©visĂ©, il est dit que « le coronavirus exacerbe les inĂ©galitĂ©s sociales » (34). Il s’agit d’un constat partagĂ©, en effet la pandĂ©mie du CoVid-19 rend plus visibles certaines inĂ©galitĂ©s sociales et les augmente. En revanche, les façons de voir les causes de cette pandĂ©mie et les impacts de sa gestion divergent. Par exemple, lĂ  oĂč la RTS voit des oublié·e·s des politiques publiques, nous y voyons des exclu·e·s, c’est-Ă -dire que nous comprenons que leurs situations sont le fruit de dĂ©cisions politiques volontaires. La naĂŻvetĂ© de circonstance des journalistes qui semblent dĂ©couvrir ces inĂ©galitĂ©s sociales est surprenante de la part de celles et ceux qui rĂ©clament des preuves pour des phĂ©nomĂšnes qui sont largement prouvĂ©s par ailleurs et dont il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne se produisent pas s’agissant du CoVid-19. A ce sujet, la rĂ©ponse du gĂ©ographe Ola Söderström Ă  un journaliste du Temps qui l’interroge sur la rĂ©alitĂ© de l’augmentation du risque en fonction de facteurs de classe est aussi cinglante que vraie : « La rĂ©ponse on l’a dĂ©jĂ  […] On sait que globalement les personnes les moins aisĂ©es sont plus exposĂ©es au risques» (35).

Certaines personnes ont plus de risques d’ĂȘtre infectĂ©es puisqu’elles sont moins protĂ©gĂ©es que d’autres en raison de leurs conditions de vie (travail, logement, …), fruits de choix politiques passĂ©s et de la gestion de la crise actuelle par le gouvernement. En somme, face au risque d’ĂȘtre infectĂ©-es, nous ne sommes pas toutes Ă©gales et Ă©gaux et l’État aux ordres des capitalistes y est pour beaucoup.

Durant la crise du CoVid-19, pendant qu’une partie de la sociĂ©tĂ©, avant tout les riches, la hiĂ©rarchie, les cadres intermĂ©diaires, les managers et une partie de la classe moyenne, est en situation de tĂ©lĂ©-travail depuis mars 2020, un autre pan de la sociĂ©tĂ©, les pauvres, le plus souvent des femmes, des bas salaires, des personnes prĂ©caires, des immigrĂ©-es travaillent Ă  leurs postes habituels. Parmi ces travailleuses et travailleurs des supermarchĂ©s, des EMS, des chantiers, des hĂŽpitaux, de l’aĂ©roport, des institutions mĂ©dico-sociales, certaines personnes mal protĂ©gĂ©es voire pas protĂ©gĂ©es du tout ont tĂ©moignĂ© du manque de matĂ©riel et de procĂ©dures de protection (masque, gels hydro-alcoolique, de procĂ©dĂ©s permettant de tenir les distances sociales requises, etc.). Un maçon rĂ©sume ce constat : « notre santĂ© et celle de nos familles valent moins que celle d’autres parties de la sociĂ©tĂ© » (36). Au sein d’entreprises et d’institutions, les employé·e·s au «front» observent bien souvent que« la hiĂ©rarchie fait du tĂ©lĂ©travail depuis un certain temps » Ă  l’instar d’une agente Ă  l’aĂ©roport (37) ou d’une Ă©ducatrice sociale : « les psychiatres sont en tĂ©lĂ©travail et les hĂŽpitaux psychiatriques sont dĂ©bordĂ©s» (38). Dans tous ces secteurs, des travailleurs et travailleuses en premiĂšre ligne tombent malades et certain·e·s en meurent, en France, des soignant·e·s et aux États-Unis, des employé·e·s de l’industrie de la viande.

Le fait d’ĂȘtre plus exposĂ© au risque d’infection peut non seulement affecter la santĂ© d’une personne mais Ă©galement celle de ses proches et, par extension, de sa communautĂ©. Parfois il s’agit mĂȘme de collectifs de circonstances (39), plus ou moins temporaires, créés par l’État. Ce dernier impose Ă  une partie de la population des lieux d’hĂ©bergements surpeuplĂ©s impliquant une promiscuitĂ© Ă©levĂ©e, et de cette maniĂšre il produit les conditions mĂȘmes de la propagation de maladies transmissibles comme le CoVid-19. Pour les personnes sans-papiers, c’est leur exclusion du marchĂ© officiel du travail et du logement qui rend leur situation prĂ©caire. Certain·e·s, ne trouvant pas Ă  se loger, se retrouvent dans des chambres surpeuplĂ©es louĂ©es par des marchands de sommeil. A ces diffĂ©rentes personnes, la promiscuitĂ© et les risques sanitaires qui en dĂ©coulent sont imposĂ©s de maniĂšre directe (obligation d’y vivre) ou indirecte (non-accĂšs un autre logement). Enfin certaines autres personnes sont soit livrĂ©es Ă  elles-mĂȘmes, comme un homme en auto-quarantaine dans sa voiture ou des jeunes mineur·e·s non accompagné·e·s (MNA) qui ont faim dans un des pays les plus riches du monde (40). Ou encore comme les milliers de sans-papiers qui en temps normal travaillent mais qui ont perdu leur emploi Ă  cause du CoVid 19. Ceux-ci sont exclus de tout dispositif de protection sociale et se retrouvent Ă  faire des heures de queue pour l’Ă©quivalent de 20.- de denrĂ©es alimentaires pendant que celles et ceux qui les emploient sont en tĂ©lĂ©travail ou retiré·e·s dans leur chalet (41).

Hormis quelques rĂ©amĂ©nagements dans les foyers (transferts de personnes des abris sous-terrain Ă  des foyers «sur-sol» ou Ă  la caserne dĂ©saffectĂ©e des Vernets Ă  GenĂšve ; tentatives d’isoler Ă  l’intĂ©rieur des foyers, des individus malades) et dans les prisons, l’option de vie en collectivitĂ© avec promiscuitĂ© et risque augmentĂ© d’ĂȘtre infecté·e est globalement maintenue. D’autres options, comme celle de rĂ©quisitionner ou d’avoir recours Ă  des chambres d’hĂŽtel vides (42) ou des appartements vacants pour les personnes sans domicile fixe, les personnes en exil etc, n’ont pas Ă©tĂ© retenues Ă  GenĂšve, ni mĂȘme celle de libĂ©rer des prisonnier·e·s.

Ces diffĂ©rentes situations soulignent l’accĂšs inĂ©gal Ă  la prĂ©vention de certains groupes en comparaison avec le reste de la population. Elles ne sont pas nouvelles mais aujourd’hui plus visibles, donc encore plus Ă©videntes Ă  dĂ©noncer.

Des cadrages alternatifs et de la difficulté de formuler autre chose

 

En dĂ©signant ces cadrages, nous affrontons une double difficultĂ©. PremiĂšre difficultĂ©, puisqu’ils dĂ©crivent la rĂ©alitĂ© dans laquelle nous baignons, ils ont toutes les chances d’ĂȘtre pris pour des Ă©vidences qui dĂšs lors mĂ©ritent Ă  peine qu’on les mentionne. Seconde difficultĂ©, ces cadrages ne sont plus perçus comme des choix construits, mais comme la seule voie rationnelle. Les acquis des sciences sociales en matiĂšre de santĂ© accumulĂ©s ces 50 derniĂšres annĂ©es permettent de tracer un chemin critique trĂšs clair pourtant ils semblent presque impossibles Ă  mobiliser pour construire un programme qui puisse faire concurrence au programme nĂ©olibĂ©ral.

Les propositions qui Ă©mergent des partis politiques progressistes europĂ©ens en matiĂšre de santĂ© publique ne consistent plus qu’en des tentatives dĂ©sespĂ©rĂ©es de rĂ©parer les dĂ©gĂąts du nĂ©olibĂ©ralisme, essentiellement en injectant de l’argent partout oĂč cela leur semble possible. Or, c’est un changement radical de perspective qui est nĂ©cessaire, non seulement parce que le systĂšme capitaliste ne fonctionne pas, mais surtout parce que nous ne voulons ni de l’individualisation ni des formes guerriĂšres qu’il promeut.

Au-delĂ  du constat que nous venons de dresser, nous voudrions nous donner les moyens de prolonger le discours critique par une rĂ©flexion sur le changement que nous dĂ©sirons. Ce sera sans doute l’objet de textes Ă  venir.

 

Notes de bas de page

 

(1) Comme un cadre de photographie, le cadrage capte l’attention « en mettant entre parenthĂšses ce qui, dans notre champ sensuel, est « dans le cadre » et ce qui est « hors cadre » ». Le cadrage participe Ă  raconter une histoire plutĂŽt qu’une autre. Snow, Soule, Kriesi (ed), _The Blackwell Companion to Social Movements_, Blackwell, 2004.

(2) Microbes dans ce texte : mot-valise comprenant tous les agents pathogÚnes tels que virus, bactéries et compagnie.

(3) DĂ©claration d’Alma Ata

(4) Alison Rosamund Katz, « ContrĂŽle des Ă©pidĂ©mies? L’OMS avait la solution il y a 40 ans », CETIM, 16 avril 2020.

(5) L’annĂ©e derniĂšre, le directeur gĂ©nĂ©ral de l’OMS lors du sommet mondial de la santĂ© Ă  Berlin s’exprimait avec ces mots : « L’investissement initial de US$14,1 milliards pour la pĂ©riode 2019-2023 reprĂ©sente un excellent rapport qualitĂ© prix et va engendrer un retour sur investissement de 2-4 % de croissance Ă©conomique. Aucune marchandise au monde n’est plus prĂ©cieuse », citĂ© par Katz.

(6) Entretien avec Guillaume Lachenal, « Le Nigeria est mieux préparé que nous aux épidémies », Mediapart, 20 avril 2020.

(7) « Des Suisses vendent cher leurs masques Ă  l’étranger, Tribune de GenĂšve, 25 avril 2020.

(8) « Des Suisses vendent cher leurs masques Ă  l’étranger », Tribune de GenĂšve, 25 avril 2020.

(9) 19h30, RTS 1, 5 avril 2020.

(10) « Bas les masques », Le Courrier, 7 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(11) « La préparation à une pandémie a été négligée de façon irresponsable », Le Matin Dimanche, 26 avril 2020.

(12) « La Suisse n’avançait pas masquĂ©e », Le Courrier, 7 avril 2020, partagĂ© dans le Suivi du Silure.

(13) « Comment en est-on arrivé à manquer de masques de protection ? », La Tribune de GenÚve, 13 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(14) Établissements mĂ©dico-sociaux (EMS) : lieux de vie accueillant des personnes ĂągĂ©es nĂ©cessitant des soins et un accompagnement de longue durĂ©e. Les EPADH en Suisse.

(15) « Face au virus, les dĂ©fenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020.

(16) «Il est clair qu’il y a eu des goulets d’étranglement dans les tests, confirme [le] prĂ©sident de la task force scientifique nationale sur le coronavirus. Or je suis d’avis qu’il faut tester trĂšs largement. D’abord parce que ça permet de mieux comprendre l’épidĂ©mie, mais surtout parce qu’on dĂ©couvre de nouvelles infections, que cela permet de faire du contact tracing, de mettre les gens en quarantaine et de mieux endiguer la maladie.» (« Face au virus, les dĂ©fenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020).

(17) « Face au virus, les dĂ©fenses de la Suisse ont pris l’eau », Le Matin Dimanche, 3 mai 2020.

(18) « Sur le papier, la Suisse Ă©tait prĂȘte », Le Temps, 13 avril 2020.

(19) CommuniquĂ© de presse de la CommunautĂ© genevoise d’action syndicale (CGAS), 30 mars 2020, partagĂ© dans le Suivi du Silure.

(20) « Soins, transmission, hygiĂšne: comment lutter contre le CoVid-19: Prof de HUG et expert de l’OMS, l’épidĂ©miologiste Didier Pittet est sur le pied de guerre pour faire face Ă  une situation sans prĂ©cĂ©dent. » titre L’illustrĂ©. La Tribune de GenĂšve propose une galerie de photo avec le descriptif suivant : « La pandĂ©mie met le territoire helvĂ©tique au pas. Écoles fermĂ©es, confinements, rĂ©organisations des soins: chronologie d’une guerre d’un nouveau genre. » (16 avril 20). Dans la Matinale, une journaliste prĂ©sente une presque centenaire : « Depuis le dĂ©but de la crise sanitaire, elle pense beaucoup Ă  la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale, qu’elle a vĂ©cue au dĂ©but de sa vingtaine ». Cette femme des Diablerets dit Ă  l’antenne: « La guerre au microbe, c’est un peu comme la guerre, sauf qu’avant on voyait les gens, on s’aidait, on s’embrassait… Tandis que maintenant, on se fuit! C’est une autre guerre parce que lĂ  on sait tout, tandis qu’Ă  l’Ă©poque on ne savait que ce qui se passait au village.» (6 avril 2020).

(21) « Aujourd’hui, Novartis met gratuitement Ă  disposition des hĂŽpitaux une quantitĂ© importante d’hydroxychloroquine afin de traiter les patients atteints du CoVid-19 en Suisse. Ceci va permettre aux patients d’avoir accĂšs Ă  un traitement potentiellement efficace tout en faisant avancer la recherche clinique en matiĂšre de lutte contre le virus. » (site internet Novartis). Tandis qu’Avenir Suisse titre: « Accorder plus de libertĂ© aux entreprises pour lutter contre le coronavirus » (Site internet Avenir Suisse, publication, 2 avril 2020).

(22) « Dans une guerre comme celle-ci, on ne peut se permettre de s’exposer Ă  l’apparition de nouveaux foyers de contagion qui risquent de transformer ces centres de convalescence en ‘bombes virales’ qui diffusent le virus », a mis en garde (le) prĂ©sident de la SociĂ©tĂ© de gĂ©riatrie italienne. » Le Nouvelliste

(23) Emily Martin, « Toward an Anthropology of Immunology: The Body as Nation State », Medical Anthropology Quarterly, Vol4. N°2, décembre 1990, 410-426.

(24) Marie-Christine Pouchelle, « Pour une histoire et une anthropologie des effets iatrogÚnes du «combat» contre la maladie », Asclepio, 2002, vol. 54, no 1, p.38.

(25) Martin Emily, _Flexible Bodies: Tracking Immunity in American Culture-from the Days of Polio to the Age of AIDS_, Boston, Beacon Presse, 1994.

(26) Charlotte Brives, « Politiques de l’amphibiose : la guerre contre les virus n’aura pas lieu », Le MĂ©dia, 31 mars 2020.

(27) IatrogÚne : trouble ou maladie provoqués par un·e médecin, un acte médical ou la prise de médicaments, que ce soit ou non dû à une erreur médicale.

(28) Marie-Christine Pouchelle, « Pour une histoire et une anthropologie des effets iatrogÚnes du «combat» contre la maladie », Asclepio, 2002, vol. 54, no 1, p.49.

(29) Fassin Didier, La force de l’ordre: une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Éd. du Seuil, 2011, pp.70-71.

(30) Communication personnelle, GenĂšve.

(31) Charlotte Brives, « Politiques de l’amphibiose : la guerre contre les virus n’aura pas lieu », Le MĂ©dia, 31 mars 2020.

(32) FD, « CONJONCTURE ÉPIDÉMIQUE crise Ă©cologique, crise Ă©conomique et communisation », Des nouvelles du front, 17 avril 2020.

(33) David Harvey, « Covid-19 : oĂč va le capitalisme ? Une analyse marxiste », Contretemps, 7 avril 2020.

(34) 19h30, _RTS 1_, 9 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(35) « Qui sont les victimes suisses du coronavirus? », Le Temps, 15 avril 2020.

(36) Notre traduction de l’« Interview: «Baustellen sollten geschlossen werden, bei gleichzeitigem Lohnausgleich» », Aufbau, 29 mars 2020, partagĂ© dans le Suivi du Silure.

(37) « J’ai fait un sondage parmi mes potes en leur demandant de rĂ©pondre Ă  la question : santĂ© ou argent ? » : tĂ©moignage de deux agentes d’escale Ă  l’aĂ©roport de GenĂšve, avril 2020.

(38) 19h30, RTS 1, 10 avril 2020, partagé dans le Suivi du Silure.

(39) Par exemple, des personnes en exil logées dans des foyers, des abris PCi (bunkers) dans certains cantons, et des centres de détention ou encore des détenu·e·s en prison.

(40) « Ils m’ont juste dit : « Restez chez vous et restez seul » » : tĂ©moignage d’un homme en quarantaine dans sa voiture, mars 2020 ; « Parmi les professionnels, trĂšs peu percevaient que ces jeunes souffraient. » : tĂ©moignage d’une infirmiĂšre, mars 2020.

(41) « A GenĂšve, des heures d’attente pour un sac de nourriture », Le Temps, 3 mai 2020.

(42) Si trente et une chambres ont Ă©tĂ© mises Ă  disposition par le directeur d’un hĂŽtel de GenĂšve, il s’agit lĂ  d’un phĂ©nomĂšne marginal. « À GenĂšve, des sans-abri logĂ©s dans un hĂŽtel Ă©toilĂ© », 24 heures, 21 avril 2020.

Victor Polay, confinement sur la base navale du Pérou

Victor Polay, confinement sur la base navale du Pérou

Parmi les 100 000 prisonniers des 68 prisons pĂ©ruviennes, qui ont une capacitĂ© de 38 000 personnes, le dĂ©sespoir est total. Sans que les chiffres ne fassent l’unanimitĂ©, on parle d’une dizaine de dĂ©cĂšs par covid-19 et de centaines de personnes infectĂ©es. À la prison de Castro Castro, les rĂ©centes protestations, pour obtenir des mesures de sĂ©curitĂ© face Ă  la maladie et des mĂ©dicaments, ont donnĂ© lieu Ă  une rĂ©pression que nous avons pu voir sur des images dures et choquantes. Le bilan de 9 morts et de dizaines de blessĂ©s fait peser une atmosphĂšre trĂšs lourde. L’annonce de la libĂ©ration de prisonniers, pour remĂ©dier Ă  la situation, reste en suspens. Par ailleurs, Ă  Lima, il existe encore une autre prison avec des conditions spĂ©ciales. SituĂ©e sur la base navale du Callao, elle ne compte que six personnes : cinq prisonniers politiques et Vladimir Montesinos, un ancien chef du renseignement sous Fujimori, qui avait lui-mĂȘme ordonnĂ© la construction de cette prison. PlacĂ© Ă  l’isolement depuis des annĂ©es, VĂ­ctor Polay Campos est l’un des prisonniers politiques de Callao.

Cet article est le deuxiÚme de la série « criminalisation et punition en prison, sous Covid 19 ». Par Emilia Igreda.

« Pendant des annĂ©es, quand je ne te voyais pas Ă  cause de la captivitĂ©, j’avais la certitude que nos regards se croiseraient Ă  nouveau, maintenant je vis en sursis cet enfermement et seul l’appel hebdomadaire me calme. Entendre ta voix de l’autre cĂŽtĂ©.« 

NĂ©mĂ©sis, la dĂ©esse de la vengeance, est le nom que l’on donne Ă  la prison de la base navale du Callao oĂč Victor Polay, commandant en chef du Mouvement rĂ©volutionnaire Tupac Amaru (MRTA) – une organisation politico-militaire qui a menĂ© une insurrection armĂ©e dans le pays dans les annĂ©es 1980 – a Ă©tĂ© dĂ©tenu 25 ans, sur les 28 ans qu’il a passĂ©s en prison. Dans cette base de la cĂŽte Pacifique, les prisonniers se comptent sur les doigts de la main et les visites sont minutieusement contrĂŽlĂ©es.

Une proche : « … j’arrive dans la prĂ©cipitation des soucis quotidiens, la voiture a traversĂ© Ă  toute vitesse les quartiers les plus pauvres et les plus violents du port du Callao. Au bout de quarante-cinq minutes, je suis devant un poste de contrĂŽle tenu par deux marins qui portent des armes de guerre et ne laissent entrer personne. À partir de lĂ , il y a une grande tension de la part des agents de la marine en uniforme, certains armĂ©s ; je dois me prĂ©senter et expliquer la raison de ma prĂ©sence Ă  tout le personnel que je rencontre, en plusieurs points de contrĂŽle le long du chemin. Silencieuse, calme, acceptant tout, sachant qu’aprĂšs cela je verrai Victor
 »

NĂ© Ă  Callao le 6 avril 1951, Victor Polay Campos est issu d’une Ă©minente famille apriste (n.d.t. : l’APRA est l’Alliance populaire rĂ©volutionnaire amĂ©ricaine), fondatrice de l’un des plus anciens partis du PĂ©rou, au sein duquel il a militĂ© durant son enfance et sa jeunesse. En 1972, il est arrĂȘtĂ© pour la premiĂšre fois et accusĂ© par la police de participer Ă  des activitĂ©s contre la dictature militaire. À cette occasion, il est dĂ©tenu plusieurs mois Ă  la prison de Lurigancho, situĂ©e dans l’un des quartiers les plus denses d’AmĂ©rique latine avec prĂšs d’un million et demi d’habitants. Aujourd’hui, cette prison, situĂ©e Ă  un kilomĂštre Ă  peine de Castro Castro, est la plus surpeuplĂ©e du pays. Les prisonniers, du haut des pavillons, protestent pacifiquement en rĂ©clamant le droit Ă  la vie. « Nous ne voulons pas mourir », « Nous voulons des tests covid ». Le PĂ©rou est aujourd’hui le pays qui compte le plus grand nombre d’infections dans la rĂ©gion, derriĂšre le BrĂ©sil.

À sa libĂ©ration, Victor se rend en Espagne et en France pour Ă©tudier la sociologie et l’Ă©conomie politique Ă  l’UniversitĂ© Complutense de Madrid et Ă  La Sorbonne Ă  Paris. En Europe, il quitte l’APRA et rejoint le Mouvement de la gauche rĂ©volutionnaire (MIR). Cinq ans plus tard, lors de son retour au PĂ©rou, son engagement et son militantisme politique rĂ©volutionnaire le conduisent Ă  rejoindre le MRTA.

En 1989, il est arrĂȘtĂ© dans la ville andine de Huancayo, oĂč il rejoint le contingent de prisonniers du MRTA et entre dans la prison de Canto Grande, considĂ©rĂ©e comme la premiĂšre prison moderne de sĂ©curitĂ© maximale du pays. DĂšs la premiĂšre minute d’enfermement, les prisonniers du MRTA organisent une Ă©vasion. A l’image des cĂ©lĂšbres Ă©vasions des Tupamaros Ă  Montevideo et de la prison de San Carlos au Venezuela, avec 47 camarades ils rĂ©ussissent, en 1990, Ă  s’échapper par un tunnel construit de l’extĂ©rieur vers l’intĂ©rieur, pour poursuivre les activitĂ©s du mouvement. Deux ans plus tard, Victor est capturĂ© Ă  nouveau et dĂ©tenu dans la prison de Yanamayo, dans les hautes terres, Ă  plus de 4000 mĂštres d’altitude. Cette arrestation coĂŻncide avec l’auto-coup d’État de Fujimori, qui a dissous le CongrĂšs pour intervenir sur le pouvoir judiciaire et Ă©tablir une dictature qui viole tous les droits de l’homme.

Victor Polay : « Avant de quitter la prison de Yanamayo, nous avons Ă©tĂ© torturĂ©s (pour nous faire baisser la tĂȘte, comme on le fait avec les taureaux avant qu’ils entrent dans l’arĂšne) et ils nous ont mis des uniformes rayĂ©s. Pendant le voyage, ils ont menacĂ© de me jeter de l’avion sur ordre de Fujimori, mais nous n’avons jamais cessĂ© de rĂ©sister et de protester.
Une fois Ă  la base navale, ils nous ont pris toutes nos affaires. Ils nous ont donnĂ© une combinaison, avec deux paires de chaussettes et deux caleçons, comme seuls vĂȘtements. Nous n’avions de contact avec personne et ils ne nous nourrissaient qu’Ă  travers une petite fenĂȘtre. Ils nous traitaient de façon agressive, Ă©crasante. Le personnel Ă©tait cagoulĂ©. »

Pendant plus d’un an, Victor est complĂštement isolĂ©, il est dĂ©tenu sans voir ni parler Ă  personne. Sa famille a pu lui rendre visite en mai 1994. Il vit alors dans la crainte constante d’ĂȘtre emmenĂ© un matin Ă  l’aube pour ĂȘtre abattu.

VP : « Le rĂ©gime de Nemesis pour les dirigeants du MRTA Ă©tait un rĂ©gime de « silence et de rĂ©flexion », jusqu’Ă  la chute de la dictature Ă  la fin de l’annĂ©e 2000. C’était cruel et inhumain. Contrairement aux dirigeants du Sentier lumineux, qui passaient la journĂ©e ensemble et qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une sĂ©rie d’avantages soi-disant grĂące aux « accords de paix », nous, nous Ă©tions isolĂ©s, nous ne pouvions sortir dans la cour seuls que pendant 10 minutes et nous ne pouvions pas nous voir. Nous faisions toutes nos activitĂ©s seuls, nous n’avions pas accĂšs aux livres, aux magazines ou aux journaux, ni Ă  la radio ou Ă  la tĂ©lĂ©vision, ni Ă  un miroir pour nous regarder, ni Ă  une horloge pour savoir l’heure, ni Ă  un calendrier pour savoir quel jour nous Ă©tions. Les visites des familles Ă©taient de trente minutes par mois, et avec le commandant Ă  cĂŽtĂ©. »

Jusqu’au retour de la dĂ©mocratie, le rĂ©gime qui gouverne « la dĂ©esse de la vengeance » n’a pas changĂ©. Pendant plus de 10 ans, des conditions de dĂ©tention abjectes ont Ă©tĂ© maintenues. Aujourd’hui, les parents directs de Victor peuvent partager trois heures par semaine avec lui. Mais le rĂ©gime d’isolement dans lequel il vit n’a pas changĂ©. Une sorte d’Ă©ternitĂ© monstrueuse.

Une proche : « 
 je suis dans ce qu’ils appellent le CEREC, le Centre de rĂ©clusion du Callao. Un bĂątiment avec de hauts murs et des clĂŽtures, entourĂ© de fils barbelĂ©s au milieu de nulle part, Ă  l’intĂ©rieur de la base navale du Callao. Personne ne sait exactement oĂč elle se trouve, parce que tous les visiteurs y sont amenĂ©s dans un vĂ©hicule complĂštement fermĂ©. DĂšs que je sors du vĂ©hicule, je me moque des heures d’attente, de l’ambulance dans laquelle nous sommes transfĂ©rĂ©s, totalement hermĂ©tique et Ă©touffante, du traitement hautain des agents, puis de la fouille minutieuse. Rien de tout cela n’a d’importance si c’est pour te voir, si c’est pour te parler trois heures par semaine. Si c’est pour tenter le bonheur dans ce temps infini, dans ces deux mĂštres carrĂ©s sans fenĂȘtres, sans air et avec des geĂŽliers Ă©coutant tout. »

Avec tant de silences accumulĂ©s et tant de temps incrustĂ©s dans les plis de la peau, Nemesis cherche Ă  ce que les prisonniers se perdent eux-mĂȘmes. Il est surprenant de voir Ă  quel point les ĂȘtres humains sont capables de rĂ©sister.

VP : « Nous, les dirigeants du MRTA qui nous trouvions dans ces conditions, ne nous sommes jamais inclinĂ©s, et n’avons jamais Ă©tĂ© prĂȘts Ă  signer un quelconque soutien Ă  la dictature. Lorsque, en 1998, nous avons appris que les jeunes avaient rompu avec la peur et s’étaient mobilisĂ©s dans les rues, nous avons entamĂ© une grĂšve de la faim de 30 jours, dans le but de faire passer le message que, depuis l’endroit le plus contrĂŽlĂ© par la rĂ©pression, il Ă©tait possible de rĂ©sister et de lutter. »

Dans le contexte actuel, la crise de covid-19 aggrave encore la situation de vulnĂ©rabilitĂ© du corps social carcĂ©ral de milliers d’Ăąmes au PĂ©rou et dans le monde.

Avec toutes les visites suspendues, sur la base la solitude est totale. L’ancien temps revient dans le nouveau. Depuis le 16 mars, date du dĂ©but de la quarantaine, la peur fait trembler les familles des prisonniers.

Une proche : « Maintenant, la mort est si proche. Chaque jour nous parviennent des informations sur les quartiers, les hĂŽpitaux et les prisons oĂč les victimes de la pandĂ©mie sont de plus en plus nombreuses. L’anxiĂ©tĂ© et l’angoisse me parcourent et je me demande comment tu te sens dans ce lieu froid et lointain, oĂč un jour ils ont menacĂ© de te tuer en plaçant deux cercueils devant la porte de ta cellule. Comment la vie se passe-t-elle pour toi ces jours-ci ? Es-tu vraiment en sĂ»retĂ© ? Pendant des annĂ©es, quand je ne te voyais pas Ă  cause de la captivitĂ©, j’avais la certitude que nos regards se croiseraient Ă  nouveau, maintenant je vis en sursis cet enfermement et seul l’appel hebdomadaire me calme. Entendre ta voix de l’autre cĂŽtĂ©. »

L’Ă©pĂ©e de DamoclĂšs sera toujours lĂ , sachant qu’Ă  plusieurs reprises Victor a Ă©chappĂ© Ă  la mort. Maintenant que ce virus parcourt le monde, il faut espĂ©rer que les dĂ©tenu.e.s de Nemesis soit Ă©pargnĂ©e.

DerriĂšre les barreaux sous le coronavirus en Colombie

DerriĂšre les barreaux sous le coronavirus en Colombie

Deux leaders sociaux colombiens en dĂ©tention prĂ©ventive, JosĂ© Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño, racontent comment la crise carcĂ©rale causĂ©e par la pandĂ©mie de coronavirus les affecte. Depuis les froides cellules en bĂ©ton d’une prison de haute sĂ©curitĂ© Ă  Bogota, ils passent en revue les revendications et les luttes historiques du dĂ©partement de l’Arauca ; ils racontent pourquoi et comment ils ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et transfĂ©rĂ©s dans cette prison situĂ©e Ă  plus de 600 km de leur domicile.

Cet article est le premier de la série « criminalisation et punition en prison, sous Covid 19 ». Témoignage recueilli par Mario de los Santos.

« À Bogota, dans la prison de la Modelo, 83 personnes dĂ©tenues ont Ă©tĂ© blessĂ©es et 23 autres assassinĂ©es, aprĂšs que les gardiens ont ouvert le feu en prĂ©textant une tentative d’Ă©vasion. »

Les prisonniers du complexe pĂ©nitentiaire « La Picota », Ă  Bogota, ont participĂ© Ă  diffĂ©rentes actions de protestation contre le risque de propagation du coronavirus en prison : cacerolazos (manifestation bruyante), grĂšves de la faim, messages Ă  l’opinion publique… Leurs revendications sont rĂ©digĂ©es en cinq points, mais se rĂ©sument Ă  une seule : ĂȘtre traitĂ©s comme n’importe quelle autre personne en ces temps de Covid 19. Ils demandent du matĂ©riel de protection, des gels, des moyens de dĂ©sinfection, des soins, de l’assistance mĂ©dicale. Ils veulent une administration Ă  l’écoute de leurs difficultĂ©s et de leurs craintes, qui accepte de dialoguer pour trouver des solutions. Ils n’oublient pas que le 21 mars dernier des protestations, qui visaient Ă  rendre visibles ces revendications, ont eu lieu dans plus de 24 prisons du pays. À Bogota, dans la prison de la Modelo, 83 personnes dĂ©tenues ont Ă©tĂ© blessĂ©es et 23 autres assassinĂ©es, aprĂšs que les gardiens ont ouvert le feu en prĂ©textant une tentative d’Ă©vasion.

Parmi les dĂ©tenus se trouvent JosĂ© Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño. Leur histoire commence bien plus tĂŽt, Ă  Saravena, dans le dĂ©partement d’Arauca, Ă  la frontiĂšre du Venezuela, en octobre de l’annĂ©e derniĂšre.

Pour les comprendre, il faut peut-ĂȘtre remonter plusieurs dĂ©cennies en arriĂšre. À l’époque, les terres oĂč vivent JosĂ© et Jorge Ă©taient apprivoisĂ©es par de simples « colons » portant ponchos et chapeaux. Ces terres qui se trouvent dans les plaines de Sarare, une rĂ©gion encastrĂ©e dans les immenses paysages des Ă©paules de l’AmĂ©rique latine, ont Ă©tĂ© abandonnĂ©es par l’Etat colombien.

Ce n’est qu’en faisant ce rappel historique que nous pourrons identifier un territoire qui s’est créé par lui-mĂȘme. Il se trouve Ă  la frontiĂšre lointaine de deux États, la Colombie et le Venezuela ; Ă©tats qui par manque d’intĂ©rĂȘt sont incapables de rĂ©pondre aux besoins de ce territoire. Un territoire dans lequel de nombreuses personnes persĂ©cutĂ©es par la politique de Bogota ont fini par aller chercher une autre vie. Mais l’opposition politique et armĂ©e y est aussi arrivĂ©e : d’abord les guĂ©rillas libĂ©rales dans les annĂ©es 50, puis les insurgĂ©s des ex Forces ArmĂ©es RĂ©volutionnaires Colombiennes (FARC), aussi bien que ceux de l’ArmĂ©e de LibĂ©ration Nationale (ELN).

Le Sarare a Ă©tĂ© bĂąti grĂące Ă  l’effort collectif de ses habitants. Les Ă©coles, les hĂŽpitaux, les voies de communication, les entreprises communautaires de gestion de l’eau et des dĂ©chets, tout a Ă©tĂ© construit par ses habitants. Lorsque l’État colombien y est finalement apparu dans les annĂ©es 70, suite Ă  la dĂ©couverte de rĂ©serves de pĂ©trole, il a choisi la stratĂ©gie de la peur, et a militarisĂ© la zone pour procĂ©der Ă  l’extraction du pĂ©trole brut. L’investissement social de l’état a Ă©tĂ© minime et les habitantes et les habitants ont Ă©tĂ© accusĂ©s d’ĂȘtre des guĂ©rilleros. Au lieu de nĂ©gocier avec celles et ceux qui avaient fait vivre la rĂ©gion en participant Ă  rĂ©gler les vieilles querelles gĂ©ographiques et politiques, l’Etat a dĂ©cidĂ© d’occuper militairement la rĂ©gion et de laisser aux compagnies pĂ©troliĂšres le soin d’en assurer le dĂ©veloppement socio-Ă©conomique.

Jorge Niño : Leader social dans le village de Las Bancas, Ă  Arauquita, je subis de fait la persĂ©cution de l’État et certainement aussi des compagnies pĂ©troliĂšres. Nous avons eu des problĂšmes avec la compagnie pĂ©troliĂšre nationale Ecopetrol et avec une de ses filiales, la sociĂ©tĂ© Cenit, Ă  laquelle elle a cĂ©dĂ© le contrat d’exploitation. Cette cession a permis de rĂ©duire les salaires des travailleurs et de ne plus payer les redevances qu’Ecopetrol avait signĂ©es avec les communautĂ©s oĂč passent les olĂ©oducs et oĂč se trouvent les champs d’extraction… Selon l’État colombien, Ecopetrol devrait attĂ©nuer les dommages sociaux et Ă©cologiques qu’elle cause par son activitĂ© dans les communautĂ©s. Elle aurait dĂ» construire des Ă©coles, des hĂŽpitaux, des routes
 Nous n’avons rien vu de tout cela. Vous ne verrez pas d’Ă©cole avec une plaque au nom d’Ecopetrol, et les routes sont les pires que vous puissiez imaginer. Le pĂ©trole d’Arauca n’apporte aucun changement positif dans notre dĂ©partement. Nous avons Ă©tĂ© totalement abandonnĂ©s et nous avons donc protestĂ©. La seule rĂ©ponse Ă  nos revendications a Ă©tĂ© la pression accrue des forces de l’ordre, celles-lĂ  mĂȘme qui avaient militarisĂ© l’ensemble de la ligne de l’olĂ©oduc Caño LimĂłn-Coveñas. Nous avons connu de bons militaires, des passables et des mauvais, impliquĂ©s dans les meurtres de nombreux camarades paysans. Pourtant, lorsque les militaires viennent dans nos maisons nous leur donnons de l’eau, de la nourriture, de l’ombre. Nous ne comprenons pas pourquoi ils nous frappent, nous traitent comme des guĂ©rilleros. C’est incomprĂ©hensible car les militaires vivent avec nous 24 heures sur 24 ; ils savent ce que nous faisons, et oĂč nous sommes. C’est avec les compagnies pĂ©troliĂšres que la violence est vraiment arrivĂ©e.

Le Sarare, aujourd’hui dĂ©partement d’Arauca, a reçu un hĂ©ritage historique. JosĂ© Vicente Murillo et Jorge Enrique Niño ne sont pas Ă©trangers Ă  une dialectique de lutte et de revendication, seule façon d’obtenir les droits les plus fondamentaux.

 

« Nous ne comprenons pas pourquoi ils nous frappent, nous traitent comme des guĂ©rilleros. C’est incomprĂ©hensible car les militaires vivent avec nous 24 heures sur 24 ; ils savent ce que nous faisons, et oĂč nous sommes. C’est avec les compagnies pĂ©troliĂšres que la violence est vraiment arrivĂ©e. »

Dans ce cadre, face aux revendications sociales, les dĂ©tentions arbitraires ont Ă©tĂ© une constante dans l’action de l’État colombien. Ainsi en 2008, aprĂšs une visite dans le dĂ©partement d’Arauca, un groupe de travail de l’ONU a publiĂ© un rapport sur la dĂ©tention arbitraire. Il y dĂ©clarait que « la pratique des dĂ©tentions massives et l’absence de preuves solides pour procĂ©der aux arrestations sont Ă©galement observĂ©es, en particulier lorsque les seuls Ă©lĂ©ments de preuve sont les accusations des repentis. Le groupe recommande au gouvernement de supprimer les arrestations massives et de la dĂ©tention prĂ©ventive administrative (
) » . Murillo s’exprime dans ce mĂȘme sens :

JosĂ© Vicente Murillo : « Il faut comprendre que le rĂ©gime pĂ©nitentiaire du pays est obsolĂšte dans la mesure oĂč, d’une part il ne suffit pas pour contenir la population carcĂ©rale actuelle, et d’autre part la politique de traitement du crime ne vise qu’Ă  mettre les gens en prison pour n’importe quelle bĂȘtise. En outre, le systĂšme judiciaire est tellement lent qu’il est courant qu’aprĂšs trois ou quatre ans de dĂ©tention, des personnes soient libĂ©rĂ©es, soit en raison de la prescription du dĂ©lit, soit parce qu’elles sont innocentes. De maniĂšre Ă©vidente, nous pensons que ces incarcĂ©rations sont une maniĂšre de persĂ©cuter les leaders sociaux, ce qui rĂ©pond Ă  l’idĂ©ologie du modĂšle Ă©conomique dominant ».

La construction sociale dans la rĂ©gion de Sarare a une longue tradition. Comme dans le reste du pays, les paysans s’organisent en Conseils d’action communautaire et en coopĂ©ratives de production. La ville de Saravena dispose mĂȘme d’une entreprise communautaire qui gĂšre les services publics, notamment la collecte des ordures, l’assainissement et la purification de l’eau, ainsi que le recyclage et le compostage des dĂ©chets solides. Murillo a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© prĂ©cisĂ©ment Ă  la suite d’une rĂ©union de formation oĂč la communautĂ© paysanne Ă©laborait un plan pour la production d’engrais Ă©cologiques, tandis que Jorge l’a Ă©tĂ© dans sa ferme, devant sa famille.

JosĂ© Vicente Murillo : « Depuis deux ans nous dĂ©veloppons des engrais biologiques en rĂ©ponse et en alternative Ă  la pollution que les engrais toxiques rĂ©pandent, tant dans la nature que chez les humains. ConformĂ©ment Ă  notre tradition de dĂ©fense de la vie, nous avons lancĂ© la construction d’un gĂ©nĂ©rateur d’engrais bio pour que les paysans puissent petit Ă  petit faire une transition dans leur mode de production. En sortant d’une formation dispensĂ©e par des compagnons brĂ©siliens, j’ai senti une prĂ©sence dans mon dos et peu aprĂšs, j’ai vu des camionnettes des forces publiques. Et des Des hommes avec des armes d’assaut m’ont alors arrĂȘtĂ©.

Jorge Niño : « Moi j’étais dans ma ferme, avec ma famille, ma femme, mes enfants, mon beau-frĂšre, ses trois enfants en bas Ăąge, un ouvrier et un maĂźtre d’oeuvre. Quand l’hĂ©licoptĂšre s’est approchĂ©, je dois reconnaitre que j’ai eu peur. Je n’ai pensĂ© Ă  rien d’autre que courir. Ils avaient dĂ©jĂ  menacĂ© de m’arrĂȘter pour rĂ©pondre aux exigences d’Ecopetrol. J’ai rĂ©ussi Ă  courir cent mĂštres, ils m’ont tirĂ© dessus depuis l’hĂ©licoptĂšre et je me suis arrĂȘtĂ© parce que finalement, je ne devais rien Ă  personne. Je n’avais pas d’autre arme que des ciseaux de taille. Ils m’ont jetĂ© au sol, m’ont donnĂ© des coups de pieds et m’ont traitĂ© de chien ; ils ont dit qu’ils auraient mieux fait de me tuer. Ce Ă  quoi j’ai rĂ©pondu que s’ils me tuaient, ils auraient juste tuĂ© un paysan de plus ».

L’assassinat de reprĂ©sentants ou leaders sociaux en Colombie est une constante dans la politique du pays. Depuis 2016 et la signature des accords de paix avec les FARC-EP Ă  2019, il y a eu 800 assassinats, selon l’Institut d’études pour le dĂ©veloppement et la paix. Pourtant pour ces 800 assassinats, il y a eu seulement 22 condamnations effectives. Dans les trois premiers mois de 2020, on compte 91 assassinats de reprĂ©sentants sociaux et dĂ©mobilisĂ©s de la FARC-EP. Un des cas les plus macabres de l’histoire rĂ©cente de Colombie, est celui des “faux positifs”. Cette pratique courante des forces armĂ©es Ă©tatiques consistait Ă  assassiner des civils et Ă  les faire passer pour des guĂ©rilleros. Elle s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©e avec un systĂšme de rĂ©compenses, que recevaient les unitĂ©s militaires, selon les rĂ©sultats obtenus dans la lutte contre insurrectionnelle. Les rĂ©sultats Ă©taient mesurĂ©s en fonction du nombre de “guĂ©rilleros” abattus et les rĂ©compenses variaient entre des jours de vacances, Ă  de l’argent ou des promotions. Selon les sources, entre 1000 et 4000 personnes ont Ă©tĂ© sommairement assassinĂ©es par les forces publiques. Le MOVICE (Mouvement National des Crimes d’Etat) dĂ©nonce une stratĂ©gie d’Etat dans laquelle s’inscrivent Ă©galement “les faux positifs judiciaires”. Dans ce cas-lĂ , des personnes sont emprisonnĂ©es, sans charges solides, le but Ă©tant de faire cesser leurs activitĂ©s politiques et de gĂ©nĂ©rer la peur dans le mouvement social. Les reprĂ©sentants sociaux sont accusĂ©s de faire partie de la guĂ©rilla et maintenus en dĂ©tention pendant des annĂ©es, sans qu’il n’y ait f de jugement au final ; ou alors on leur intente un procĂšs, sans preuves ni Ă©lĂ©ments Ă  charge. Il est important de souligner que des compagnies comme Ecopetrol financent le ministĂšre de la dĂ©fense et les procureurs. D’un cĂŽtĂ©, l’entreprise est une victime prĂ©sumĂ©e en procĂ©dure judiciaire et de l‘autre, elle donne de grandes sommes d’argent aux parties chargĂ©es de l’enquĂȘte, contre les leaders sociaux. Ce qui crĂ©e une asymĂ©trie et une inĂ©galitĂ© de conditions juridiques et de garanties.

 

« MĂȘme s’il est certain que nous sommes innocents de ce dont on nous accuse, le rĂ©gime colombien n’hĂ©site pas Ă  assassiner pour faire taire l’opposition politique. Nous savons qu’ils n’hĂ©siteront pas Ă  nous tuer. »

JosĂ© Vicente Murillo : « Entre 2003 et 2006, j’avais dĂ©jĂ  fait l’expĂ©rience de la persĂ©cution et du terrorisme d’Etat, j’ai Ă©tĂ© dĂ©tenu 3 ans et demi, pendant lesquels ils m’ont organisĂ© une tournĂ©e carcĂ©rale dans plusieurs prisons de haute sĂ©curitĂ©. En 18 mois, j’ai frĂ©quentĂ© 6 Ă©tablissements diffĂ©rents. Je connaissais donc dĂ©jĂ  la dynamique de la prison, sa culture et la cohabitation. Je savais que matelas, couverture, rien n’était fourni et que la famille doit s’occuper de tout. De l’expĂ©rience dĂ©pend la maniĂšre dont on aborde les choses.

MĂȘme s’il est certain que nous sommes innocents de ce dont on nous accuse, le rĂ©gime colombien n’hĂ©site pas Ă  assassiner pour faire taire l’opposition politique. Nous savons qu’ils n’hĂ©siteront pas Ă  nous tuer. Nous, on est ici, vivants ; d’autres compagnons et compagnonnes n’ont pas eu cette chance ».

Jorge Niño : « Je n’ai jamais eu autant de gens armĂ©s pour me surveiller. Ils m’ont cataloguĂ© comme une personne trĂšs dangereuse. Ils m’accusent d’ĂȘtre un guĂ©rillero de l’ELN, mais nous sommes juste des personnes « communes ». Notre Junta de AcciĂłn Comunal existe juridiquement depuis 1975. Mon dĂ©lit a Ă©tĂ© d’ĂȘtre leader communautaire et de rĂ©clamer le dĂ» de ma communautĂ© Ă  Ecopetrol. Je n’ai jamais Ă©tĂ© vu avec une arme, ni avec des habits militaires ; je n’ai jamais exercĂ© de chantage, ni n’ai eu de problĂšmes avec quiconque.

Les prisons colombiennes connaissent une surpopulation chronique qui est aujourd’hui de 54%, avec 80 000 places pour 130 000 personnes. L’utilisation constante de la dĂ©tention prĂ©ventive, par les juges, est un des facteurs dĂ©terminants de cette saturation. Cette situation a provoquĂ©, en octobre 2019, la sentence STP-142832019 (104983) de la cour suprĂȘme de justice, rappelant aux juges le caractĂšre exceptionnel que doit avoir cet outil. Les personnes en dĂ©tention prĂ©ventives reprĂ©sentent 33,5% du total des gens incarcĂ©rĂ©s selon les donnĂ©es de l’INPEC (Institut national pĂ©nitencier et carcĂ©ral).

Par ailleurs, dans les centres de dĂ©tention, en plus de l’espace rĂ©duit, les Ă©lĂ©ments sanitaires de base manquent. Il nous manque aussi des vĂȘtements chauds et souvent de la nourriture que les proches des dĂ©tenu-es doivent apporter. Face Ă  ce qui devient un mĂ©canisme de punition arbitraire, nous revendiquons de meilleures conditions de dĂ©tention ».

JosĂ© Vicente Murillo : « Dans ce contexte carcĂ©ral et politique, nous nous trouvons maintenant menacĂ©s par le COVID19, menace face Ă  laquelle le gouvernement et le rĂ©gime pĂ©nitentiaire placent les prisons du pays en quarantaine. Une dĂ©cision que les prisonnier.es approuvent, mais qui doit ĂȘtre intĂ©grale : ce qui implique de non seulement interdire les visites aux dĂ©tenu.es, mais aussi d’appliquer d’autres mesures efficaces pour empĂȘcher la propagation de la pandĂ©mie. Il faut par exemple que la section des gardiens soit Ă©galement cantonnĂ©e, sans contact avec le monde extĂ©rieur. Il faut aussi que des mesures hygiĂ©no-sanitaires soient prises, de maniĂšre Ă  ce que le personnel administratif ne transmette pas la maladie. Il faut Ă©galement constituer un contingent dans le service de santĂ© pour rĂ©pondre aux situations liĂ©es au coronavirus. Au milieu de tout ça, la population carcĂ©rale demeure consciente de la menace du COVID19 et a pris des {ses propres} mesures sanitaires d’autoprotection pour Ă©liminer les facteurs de contamination, mais nous savons qu’elles demeurent insuffisantes. Une urgence carcĂ©rale a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e, proposant un ensemble de mesures et de rĂšgles dont les plus coercitives et rĂ©pressives ont Ă©tĂ© appliquĂ©es immĂ©diatement Ă  la population pĂ©nitentiaire, mais dont aucune n’est suffisante pour dĂ©congestionner vĂ©ritablement les prisons, ni ne fournit d’outils concrets, tels que des masques ou des gels antiseptiques. En soi, le dĂ©cret 546 s’avĂšre insuffisante puisqu’il ne s’applique qu’à une infime partie de la population carcĂ©rale. Nous savons que mĂȘme avec cette pandĂ©mie, le gouvernement ne va pas se prĂ©occuper des problĂšmes structurels les plus criants dont souffre la population pĂ©nitentiaire ».

Jorge Niño : Avec ce virus, l’éloignement de la famille est vĂ©cu avec plus d’angoisse. La communication avec nos proches est difficile et trop distanciĂ©e. Ici, il y a quelques tĂ©lĂ©phones de l’INPEC qui sont coĂ»teux, et qui souvent ne fonctionnent pas. Non seulement, il n’y a pas d’intimitĂ© avec la famille mais de plus, le personnel intervient durant les appels. Ce contrĂŽle de l’INPEC dĂ©range beaucoup et viole les droits humains fondamentaux. Ça me met mal car en prison on n’a pas de poids, et on dĂ©pend de l’appui et des encouragements de la famille Ă  l’extĂ©rieur. Il est difficile de survivre dans les prisons colombiennes mais avec le coronavirus, les gens sont encore plus nerveux dans les patios et les couloirs ; alors les conflits arrivent plus facilement. L’état doit revoir les injustices qui m’ont Ă©tĂ© faites. Qui sait combien de personnes se trouvent dans la mĂȘme situation et traversent ces difficultĂ©s, parce que, en tant que leader social, elles revendiquent les droits d’une communautĂ©, avec l’aval de l’État lui-mĂȘme en thĂ©orie.

La pandĂ©mie du COVID19 est un test de rĂ©sistance au niveau politique, sociologique, Ă©conomique et aussi personnel. Les coutures d’une sociĂ©tĂ©, plongĂ©e dans la logique de consommer et de jeter, craquent. Beaucoup des mesures prises, bien que nĂ©cessaires, sont fatales aux collectivitĂ©s les plus socialement punies. La systĂ©matisation de la persĂ©cution et l’assassinat des reprĂ©sentants sociaux est Ă©vidente, autant dans les chiffres bruts comptabilisant les personnes dĂ©cĂ©dĂ©es, que dans ceux comptabilisant les personnes privĂ©es de libertĂ© et en dĂ©tention provisoire. Un nombre trop Ă©levĂ© pour qu’on y voie une mesure exceptionnelle. Ces persĂ©cutions condamnent au silence des voix critiques qui travaillent dans les rĂ©gions, dans les actions communautaires ou dans les quartiers. Tandis que le pays poursuit son confinement, les prisonnier.es continuent d’ĂȘtre entassĂ©.es et les prisons bondĂ©es ; ils sont soumis Ă  une angoisse d’autant plus justifiĂ©e que la pandĂ©mie s’étend jusqu’à l’intĂ©rieur des prisons avec des premiers cas d’infectĂ©s et des dĂ©cĂšs. Les dĂ©nonciations du mois dernier qui anticipaient cette situation, sont tombĂ©es dans l’oreille d’un sourd. Le gouvernement a optĂ© pour la rĂ©pression et le rĂ©cent dĂ©cret de libĂ©ration n’amĂ©liorera pas la situation humanitaire, car de trĂšs nombreuses personnes seront exclues de cette mesure. Par ailleurs, des dĂ©cisions irresponsables ont Ă©tĂ© prises, comme celle de transfĂ©rer des prisonnier.es de la prison de Villavilencio, oĂč a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© le premier foyer d’infection, Ă  une autre prison. Ce transfert a conduit Ă  la propagation de la maladie. Le Mouvement National PĂ©nitencier continue de demander une solidaritĂ© avec ceux qui sont privĂ©s de libertĂ© pour faire face Ă  cette situation et obtenir une libĂ©ration humanitaire pendant qu’il est encore temps de protĂ©ger des milliers d’ĂȘtres humains ».

La boutique Ă  Giorgio Agamben

La boutique Ă  Giorgio Agamben

Ce texte a Ă©tĂ© proposĂ©, sous un nom d’emprunt, pour publication au site lundi matin en rĂ©ponse Ă  la traduction d’un texte du philosophe italien. Les rĂ©dacteurs du site l’ont jugĂ© « peu sĂ©rieux » et manquant « de prĂ©cision et de rigueur. » On vous laisse voir.

 

«  (
) le besoin de simplification est naturellement d’autant plus impĂ©rieux qu’il est plus impossible Ă  satisfaire. Et ce que le public attend en premier lieu de la philosophie est, aujourd’hui plus que jamais, le soulagement indispensable que reprĂ©sente la possession d’une vĂ©ritĂ© simple, Ă  commencer, bien entendu, par une vĂ©ritĂ© simple concernant l’impossibilitĂ© de parvenir Ă  la vĂ©ritĂ©. « 

Jacques Bouveresse, Le philosophe chez les autophages

La pandĂ©mie en cours nous offre tout de mĂȘme quelques occasions de rigoler. Ainsi ce texte de Giorgio Agamben, sobrement (une fois n’est pas coutume) intitulĂ© « Une question », et publiĂ© sur le carnet que les Ă©ditions Quodlibet offrent au philosophe, puis, pour la version française, sur le site lundi.am (Ă©dition du 20 avril 2020). Dans « Une question », le philosophe nous enjoint Ă  reprendre le cours de nos relations sociales habituelles – celles-lĂ  mĂȘmes qu’il exĂšcre en temps normal, d’oĂč la franche rigolade – quoi qu’il en coĂ»te, car la libertĂ© ne se nĂ©gocie pas. On ne cĂšde pas devant un pauvre virus, on fait front.

Voici bientĂŽt quarante ans que Giorgio Agamben rĂ©pand son obscure doctrine et qu’il connaĂźt un certain succĂšs dans des milieux gauchistes, bien au-delĂ  du public de spĂ©cialistes qu’elle pourrait lui assurer.

En fait, Agamben sert le projet nĂ©olibĂ©ral. Sa doctrine tient pour l’essentiel en un appel constant au repli, Ă  la fuite, Ă  la dĂ©sertion et Ă  la destitution. Il est aussi opposĂ© Ă  l’idĂ©e de sociĂ©tĂ© que Margaret Thatcher elle-mĂȘme. Mais lĂ  oĂč celle-ci dĂ©fendait les intĂ©rĂȘts bien compris des capitalistes, Agamben, lui ne dĂ©fend que sa minuscule boutique. Pour Agamben, nous aurions connu un effondrement « Ă©thique et politique » qui nous a conduit Ă  accepter les consignes de confinement quand il aurait fallu rĂ©sister Ă  cette injonction « biopolitique ». Il voit dans cet Ă©pisode pandĂ©mique la confirmation de sa thĂšse de toujours, Ă  savoir l’existence d’une similaritĂ© de nature et d’une continuitĂ© entre le IIIe Reich et les dĂ©mocraties libĂ©rales contemporaines. Car pour Agamben, si un systĂšme politique ne nous donne pas la libertĂ© absolue, la libertĂ© thĂ©orique serait-on tentĂ© de dire, il n’est qu’un nazisme adouci.

À propos de cette posture, Jacques Bouveresse a pu Ă©crire avec raison que les annĂ©es 1970 furent « l’époque oĂč l’opĂ©ration dĂ©cisive sur le plan politique consistait Ă  rĂ©vĂ©ler les « contradictions » internes du systĂšme et, en particulier, Ă  dĂ©montrer concrĂštement une chose que tout le monde sait, Ă  savoir qu’un rĂ©gime libĂ©ral n’est jamais libĂ©ral au point de pouvoir tolĂ©rer absolument n’importe quoi sans rĂ©agir ». (1)

Dans de nombreux secteurs de la sociĂ©tĂ©, le discours destituant a pu prendre le pas sur toute autre forme de rĂ©flexion. À tel point que le refus de toute institution a pu amener certain·e·s Ă  penser qu’il y aurait une forme de libertĂ© supĂ©rieure dans l’ésotĂ©risme et l’irrationalitĂ©. À tel point que ce refus a pu faire diversion de la rĂ©alitĂ© de l’offensive nĂ©olibĂ©rale et de ses consĂ©quences. Sous l’influence d’une sorte d’agambennisme spontanĂ©, nous avons parfois lĂąchĂ© la proie pour l’ombre.
Bouveresse poursuit Ă  ce sujet : « la rĂ©volte de l’imagination et de la spĂ©culation philosophiques contre l’ordre doit ĂȘtre inspirĂ©e par le dĂ©sir de modifier rĂ©ellement l’état de chose existant dans ce qu’il a d’insatisfaisant ou d’intolĂ©rable, et non pas de se contenter simplement d’exploiter avec un succĂšs facile et prĂ©visible le fait qu’un ordre quelconque est naturellement ressenti par l’individu comme une contrainte et une gĂȘne dont le premier philosophe venu peut aisĂ©ment faire ressortir le caractĂšre injustifiĂ©, arbitraire et absurde ». (2)

Il ne s’agit pas ici de nier que l’État et les possĂ©dants tirent un profit stratĂ©gique majeur de la crise en cours sur le plan de la surveillance, de l’intensification du travail, de la financiarisation de l’économie. Ce que nous contestons, c’est qu’on puisse saisir utilement ces processus dans les catĂ©gories fumeuses d’Agamben. Et nous allons plus loin encore en affirmant que ces catĂ©gories entravent – et depuis longtemps – toute action contre ces processus.

La question qui devrait occuper dĂ©sormais les fractions radicales du camp progressiste est celle de la dĂ©finition du contenu effectif de la libertĂ© et des moyens de son Ă©quitable rĂ©partition parmi nos semblables. Car la dĂ©fense de la libertĂ© Ă  quoi nous enjoint Agamben, comment se prĂ©sente-t-elle ? Il s’agit avant tout de dĂ©fendre la libertĂ© des riches qui ont dispersĂ© le virus en Europe depuis les dancings de Verbier ou en jouant au beer-pong Ă  Ischgl. Les caissiĂšres, les aides-soignantes, les paysannes, elles, n’ont eu que la petite libertĂ© de continuer Ă  bosser au mĂ©pris du danger (dont Agamben nie la rĂ©alitĂ©) pour assurer le retour le plus rapide possible de la grande libertĂ© des managers qui intensifient leur travail, des patrons qui les sous-paient. Cette libertĂ© thĂ©orique et totalement asymĂ©trique, de moins en moins de gens voudront la dĂ©fendre, et ils auront raison.

La devise « Bien-ĂȘtre & libertĂ© » fut longtemps en vogue dans le mouvement ouvrier.(3) La libertĂ©, en tant que telle, n’était la chose que des bourgeois. Quiconque avait son corps rĂ©ellement engagĂ© dans la lutte quotidienne pour la survie matĂ©rielle savait que la libertĂ© n’était rien sans le bien-ĂȘtre, c’est-Ă -dire sans la condition de sa jouissance. Il y a lĂ  sans doute, au contraire de l’alternative dans laquelle le texte d’Agamben essaie de nous enfermer (bien-ĂȘtre vs. libertĂ©), une piste sĂ©rieuse pour Ă©laborer des programmes dont la radicalitĂ© n’aurait rien Ă  envier aux doctrines en vogue.

Que, Didier Raoult (4), professeur d’universitĂ©, directeur d’institut, proche du chef de l’État français, dise son admiration pour l’anarchiste autoproclamĂ© Paul Feyerabend et sa thĂ©orie de destruction de la science (5) montre Ă  quel point les thĂ©ories obscurantistes se sont rĂ©pandues beaucoup plus largement qu’elles n’auraient dĂ» et servent actuellement les positions politiques les plus nausĂ©abondes. L’ampleur de leur diffusion fait que la nĂ©cessitĂ© de rompre avec elles n’est pas que l’enjeu d’un dĂ©bat fratricide au sein de l’extrĂȘme-gauche.

Et c’est pourquoi, comme les Ă©tudiants chinois rĂ©voltĂ©s de 1919 avaient choisi le slogan « À bas la boutique Ă  Confucius ! » (6) pour dĂ©signer la rupture qu’ils entendaient opĂ©rer avec la vieille pensĂ©e obscurantiste, nous disons aujourd’hui : À bas la boutique Ă  Agamben ! Bien-ĂȘtre & libertĂ© !

(1) Jacques Bouveresse, _Le philosophe chez les autophages_, éd. de Minuit, 1984, p. 31.

(2) _Idem_, p. 36.

(3) Elle a Ă©tĂ© une des devises de la CGT, souvent reprĂ©sentĂ©e avec des mains croisĂ©es. Plusieurs groupes anarchistes et anarcho-syndicalistes en ont fait leur nom ou leur devise, par exemple le Groupe d’études sociales d’Alphonse Tricheux, membre de la CGT-SR.

(4) Au moment oĂč nous Ă©crivions ce texte, le lien Agamben – Raoult n’était qu’une intuition (mais oui, nous aussi nous en avons). Elle devait ĂȘtre confirmĂ©e par les derniĂšres publications du philosophe sur quodlibet, puis lundi.am (Ă©dition du 27 avril 2020).

(5) Paul Feyerabend, _Contre la méthode_, 1975.

(6) Jean François Billeter, _Pourquoi l’Europe : rĂ©flexions d’un sinologue_, Allia, 2019, p. 52.

 

Coronavirus et rĂ©sistances – suivi en continu : 1er mai  – 13 mai 2020

Coronavirus et rĂ©sistances – suivi en continu : 1er mai – 13 mai 2020

Le Suivi en continu va se terminer ici. AprĂšs un peu plus d’un mois de travail, il aura tentĂ© de mettre en avant les nouvelles du front social et d’éviter une « dĂ©connection » militante avec le cours des Ă©vĂ©nements des derniĂšres semaines. Nous n’arrĂȘtons pas car tout va mieux et que la premiĂšre vague est derriĂšre nous, mais par manque de ressources et notamment la plus prĂ©cieuse, la variable temps. Avec la rĂ©ouverture prochaine du Silure vendredi prochain, une pesĂ©e d’intĂ©rĂȘts implique l’arrĂȘt de certaines activitĂ©s chronophages.

Ce flux d’infos aura, nous l’espĂ©rons, permis de lutter contre un certain localisme politique qui perd de vue la situation d’ensemble, consĂ©quence malheureuse du systĂšme fĂ©dĂ©ral de ce pays. Un regret est de ne pas avoir pu davantage parler du Tessin et des zones frontaliĂšres, par manque de temps et de contacts sur place. Le travail rĂ©alisĂ© par les camarades français d’Acta.zone a Ă©tĂ© une inspiration directe et leur activitĂ© a Ă©tĂ© trĂšs soutenue durant ces deux mois. En comparant les deux rendus, un Ă©lĂ©ment saute aux yeux: il y a eu bien moins de grĂšves, de rĂ©voltes carcĂ©rales et d’actions protestataires en Suisse. Des raisons historiques en sont la cause, mais plutĂŽt que de se limiter aux moments les plus visibles, nous avons fait le choix de consigner aussi les prises de parole subalternes relayĂ©es dans la presse car l’expression est aussi une Ă©tape nĂ©cessaire Ă  la construction d’une action commune. L’idĂ©e exprimĂ©e par George Jackson (1941-1971) lorsqu’il parle d’ĂȘtre « carnet et crayon Ă  la main, pour essayer pĂ©niblement de dĂ©terminer ce que chacun peut faire pour la construction de la commune » (citĂ© dans L’Assassinat de George Jackson, Groupe information prisons, Paris: Gallimard, 1971, p. 19) est toujours d’actualitĂ©. Mais elle devient plus exigeante Ă  l’heure oĂč la parenthĂšse de « journalisme social » dans (une partie de) la presse bourgeoise se referme, et que les appels aux sacrifices regagnent en visibilitĂ©. Enfin, prĂ©cisons qu’il n’y a pas encore eu de travail de compilation systĂ©matique et complet des rĂ©sistances sur le territoire suisse durant cette pĂ©riode, mais nous espĂ©rons que ce Suivi a pu donner quelques indications en ce sens.

Mercredi 13 mai

16h: Dans un article intitulĂ© « La prĂ©caritĂ© accroĂźt l’exposition au virus », la Tribune de GenĂšve Ă©crit : « Les personnes prĂ©caires sont ainsi 3,5 Ă  4,5 fois plus exposĂ©es au virus que la population globale du fait notamment de la promiscuitĂ©, mais aussi parce qu’elles accĂšdent difficilement au dĂ©pistage et qu’elles parviennent pĂ©niblement Ă  respecter les rĂšgles d’isolement et de protection sanitaire. » S’il n’est pas inutile que le journal relaye ce type d’informations, ni que MSF et les HUG produisent des donnĂ©es sur le cas du Covid-19, rappelons qu’il ne s’agit pas lĂ  d’un scoop. Les mĂ©canismes Ă©taient dĂ©jĂ  connus : dans diverses situations (logement, travail, accĂšs Ă  la santĂ©), les personnes prĂ©caires en Suisse se voient imposer une promiscuitĂ©, doivent renoncer aux soins et subissent des inĂ©galitĂ©s d’accĂšs Ă  la prĂ©vention. A quand un changement de paradigme : on « dĂ©couvre » Ă  chaque fois la partie immergĂ©e de l’iceberg, la prĂ©caritĂ© et ses funestes consĂ©quences, mais Ă  quand une dĂ©nonciation des mĂ©canismes qui les engendrent en vue d’y mettre fin ? (Source : Tribune de GenĂšve)

9h: L’interdiction de se rassembler Ă  plus de 5 personnes est-elle comptĂ©e? Alors qu’hier Ă  GenĂšve, un mineur s’est fait coffrer pour une action « 4m2 » (cf Le Courrier), des voix se font entendre dans les mĂ©dias alĂ©maniques pour la fin de cette interdiction. À Berne, Der Bund fait sa une et son Ă©dito sur le sujet. Le journal pense qu’il faut mieux avoir des manifs encadrĂ©es et nĂ©gociĂ©es avec la police qu’une interdiction intenable sur le long terme. Le chef de la police Reto Nause est critiquĂ© pour son zĂšle particulier Ă  rĂ©primer les rassemblements progressistes (1er mai et grĂšve du climat). MĂȘme chose dans la NZZ qui prend aussi position contre l’interdiction des manifestations, tout arrive (lorsqu’on est mis sous pression) ! (source: La presse RTS La 1Ăšre, Der Bund, Le Courrier, NZZ)

8h30: La plupart des prisons romandes Ă  l’exception de celle de CrĂȘtelongue en Valais ont rouvert leurs parloirs lundi dernier. L’association REPR (ex-Carrefour Prison) a fait un tableau sur son site internet avec les conditions qui varient d’une prison Ă  l’autre (durĂ©e maximum, nombre de personnes admises, enfant ou pas, etc) (Source: REPR)

8h: Dans le journal Vivre Ensemble du mois de mai, un exemple concret de la politique de la conseillĂšre fĂ©dĂ©rale K. Keller-Sutter (PLR) qui a choisi la poursuite des procĂ©dures d’asile, et donc des refus. On y lit le tĂ©moignage d’un requĂ©rant d’asile de 20 ans dĂ©sespĂ©rĂ© aprĂšs avoir reçu une dĂ©cision Dublin de renvoi vers la France alors qu’il Ă©tait en quarantaine. Son compagnon de chambre a Ă©tĂ© testĂ© positif au Covid-19. (Source: Asile(point)ch)

Mardi 12 mai

8h30: Comme Ă  Nantes ou Toulouse hier, un rassemblement contre le retour Ă  l’anormal est annoncĂ© le samedi 16 mai Ă  11h devant le Centre hospitalier Arve LĂ©man de Contamine-sur-Arve (Haute-Savoie). « Soutien aux Soignants qu’on applaudit depuis 2 mois, et qui vont maintenant avoir besoin de notre soutien actif pour revendiquer ce qui nous est tous dĂ»: un hĂŽpital public fort, des soins de qualitĂ©, des conditions de travail dĂ©centes, et des vrais salaires. En raison des conditions sanitaires actuelles, les rassemblements de plus de 10 personnes sont interdits. Cet interdit a probablement une vraie justification sanitaire, et par un heureux effet collatĂ©ral, il permet au gouvernement de nous empĂȘcher de manifester. Vous ĂȘtes appelĂ©.e.s Ă  respecter strictement et ostensiblement les gestes barriĂšres et la distanciation sociale. Il est Ă©galement souhaitable que tout le monde porte un masque. » (source: chaĂźne de messages)

8h: Dans la NZZ du jour, un article sur la mauvaise gestion policiĂšre de la manifestation anti-confinement de samedi dernier. Le journaliste pense qu’il aurait fallu leur appliquer la mĂȘme rĂ©pression que lors du 1er mai ou contre la manifestation des « autonomes de gauche » (Linksautonome) en avril. (Source: NZZ)

Lundi 11 mai

13h: Le Temps publiait jeudi un article et un Ă©ditorial sur l’impact de la pandĂ©mie sur le marchĂ© de la santĂ© en Suisse. Le marchĂ© de la santĂ© a Ă©tĂ© construit, en Suisse, Ă  marche forcĂ©e, entre 1980 et le dĂ©but des annĂ©es 2000. Aujourd’hui, l’essentiel des hĂŽpitaux du pays sont des sociĂ©tĂ©s anonymes. Les produits que commercialisent ces sociĂ©tĂ©s consistent en une offre chirurgicale ultra-technique : pose de prothĂšses articulaires (+ 145 % de prothĂšses de genoux en dix ans), bypass gastriques, changement de valves cardiaques, ablation de la prostate, etc. Les robots qui assistent certaines de ces opĂ©rations, les infrastructures dans lesquelles elles se dĂ©roulent doivent ĂȘtre amortis et donc fonctionner Ă  leur rendement maximum. Face Ă  la pandĂ©mie, le Conseil fĂ©dĂ©ral a interdit ces opĂ©rations faisant perdre deux mois d’amortissement aux hĂŽpitaux. Le 5 avril dĂ©jĂ , l’HĂŽpital cantonal des Grisons dĂ©clarait au TagesAnzeiger devoir emprunter pour payer les salaires.
Le Temps prĂ©sente (malgrĂ© le titre [de l’Ă©dito]) la situation comme un problĂšme collectif auquel il s’agirait de trouver une solution rationnelle. Or, il s’agit bien d’une lutte pour conserver les profits des actionnaires et les salaires du management des hĂŽpitaux et des assureurs. C’est la voie choisie par Michel Guillaume, qui n’envisage qu’une piste : la couverture de ces centaines de millions de francs de dĂ©ficit par la collectivitĂ©, via l’impĂŽt ou via les primes d’assurances maladie. Guillaume rĂ©clame, dans l’édito, une baisse des primes et la dissolution des colossales rĂ©serves des caisses. Mais ces rĂ©serves, c’est bien par l’accumulation des primes qu’elles ont Ă©tĂ© constituĂ©es. C’est ainsi qu’aprĂšs avoir vu leur temps maximal augmentĂ© Ă  60 heures par le Conseil fĂ©dĂ©ral, les aides-soignantes hospitaliĂšres contribueront (en proportion de leurs revenus respectifs) en moyenne 100 fois plus au financement des hĂŽpitaux que Pascal Couchepin ou Charles Kleiber. (source: Canal Telegram DĂ©tachĂ© de presse)

12h: Contrairement Ă  ce qu’on entend parfois, le statut de travailleurs·euses saisonniers n’a pas disparu en Suisse. La LibertĂ© de samedi dernier cite une Ă©tude de 2014 selon laquelle « l’agriculture suisse a besoin d’environ 20 000 Ă  25 000 saisonniers Ă©trangers chaque annĂ©e. Ils viennent principalement de Pologne, du Portugal, de Roumanie et de France. » À GenĂšve, un avion venu du Portugal a amenĂ© des saisonniers pour travailler dans les vignes: « 141 travailleurs portugais ont atterri Ă  l’aĂ©roport de GenĂšve en provenance de Porto ». (source: La LibertĂ©, 20 minutes)

10h: Plusieurs manifestations anti-mesures d’urgence ont eu lieu Ă  Berne, Saint-Gall et Zurich samedi dernier. Les photos sont assez Ă©loquentes Ă  Berne (le plus grand rassemblement avec prĂšs de 500 personnes), on y voit des adultes de tout Ăąge, des parents venus avec leurs enfants, des personnes en fauteuil roulant et des hippies qui font de la mĂ©ditation. Sur les panneaux, des messages « non Ă  la dictature de la santé », « vive l’amour et la liberté », ou « les mĂ©dias sont le virus ». Les manifestants ont refusĂ© de se disperser pendant plusieurs heures et ont fait exprĂšs de se tenir proches et de s’embrasser. Aucune arrestation mais beaucoup de contrĂŽles par la police, qui Ă©tait sur les nerfs. Le chef de la police Reto Nause (PDC), artisan bien connu de la rĂ©pression des manifestations Ă  Berne, a dĂ©clarĂ© Ă  la tv « mon cƓur saigne d’un point de vue Ă©pidĂ©miologique ». Plusieurs manifestants Ă©voquaient aussi la dĂ©fense du systĂšme politique suisse (dĂ©mocratie semi-directe) contre le pouvoir sur ordonnance du Conseil fĂ©dĂ©ral. Il s’agit d’une lame de fond germanophone puisqu’il y a eu des manifs anti-confinement le mĂȘme jour en Allemagne. La Berner Zeitung souligne que cela n’avait rien Ă  voir avec une manif habituelle car il n’y avait pas de sonorisation ni de slogans. Pour le 20 Minuten, c’est un certain Alec Gagneux (sorte d’Etienne Chouard alĂ©manique) qui est derriĂšre cette manif, une affirmation sujette Ă  caution car il paraĂźt clair qu’il n’y avait pas d’organisateur au sens oĂč on l’entend habituellement. (Source: Der Bund, Berner Zeitung)

8h: Les CFF ouvrent les toilettes des gares au public, sans systÚme payant. Il aura fallu une pandémie pour que tout le monde puisse se laver les mains gratuitement
 (source: RTS La 1Úre)

Dimanche 10 mai

16h: Dans la WOZ de jeudi dernier, un article sur la rĂ©pression du 1er mai Ă  Berne et Zurich et leurs justifications politiques. Non, le Conseil fĂ©dĂ©ral n’a pas demandĂ© de dissoudre toute manifestation, la preuve la rĂ©pression a Ă©tĂ© diffĂ©rente d’un canton Ă  l’autre; Novartis veut se racheter une image en distribuant des doses d’hydroxychloroquine dans le monde; portrait d’un requĂ©rant d’asile d’origine guinĂ©enne et membre de l’Autonome Schule ZĂŒrich qui coordonne des distributions de nourriture dans les foyers; les aides Ă  domicile venues d’Europe de l’est se retrouvent sans revenu. (source: WOZ)

Samedi 9 mai

18h: Les assurances maladies continuent de se gaver, et mĂȘme plus avec les effets collatĂ©raux de la pandĂ©mie. Dans la TdG de vendredi, un article parle des problĂšmes financiers des jeunes mĂšres qui doivent casquer pour leurs frais mĂ©dicaux post-partum car les cabinets sont fermĂ©s. Normalement, « une couverture complĂšte des soins est assurĂ©e par la LAMal pendant les cinquante-six jours qui suivent l’accouchement. Or les mĂšres qui ont accouchĂ© aux mois de mars et avril se sont retrouvĂ©es devant des cabinets fermĂ©s par la crise sanitaire. Les assureurs, eux, ne veulent rien entendre: pas question de prolonger le dĂ©lai de couverture. » Il n’y a pas de petits profits dans ce systĂšme sans foi ni loi (source: Tribune de GenĂšve)

13h: Encore quelques dĂ©tournements d’affiches « Merci » Ă  GenĂšve. « A la violence du systĂšme carcĂ©ral. A la direction de Champ-Dollon qui envoie au cachot les prisonniers qui manifestent pour des conditions sanitaires dignes », De nous faire dĂ©couvrir la solidaritĂ© collective pour bientĂŽt l’effacer sitĂŽt les magasins ouverts », « Aux dirigeant.e.x.s et aux patron.ne.x.s pour qui nous protĂ©ger restent dans leurs rĂ©sudences secondaire pendant que d’autres continuent Ă  travailler pour leurs profits ».

12h: Les HUG et MSF ont fait une enquĂȘte samedi dernier dans la fille de plus de 2’000 personnes venues pour la distribution de colis alimentaires Ă  la caserne des Vernets (Voir Suivi des 4 et 8 mai). RĂ©sultats : plus de 60 % n’ont pas d’assurance maladie et 52 % sont des personnes sans-papiers. Sur ces derniĂšres, le chef du dĂ©partement de mĂ©decine de premier secours aux HUG dit : « Il y a en effet plusieurs milliers de personnes dans notre canton [
] qui gardent nos enfants, qui font des mĂ©nages Ă  nos domiciles, qui sont engagĂ©es dans la restauration mais sur des contrats extrĂȘmement prĂ©caires [
] elles n’ont aucune rĂ©serve financiĂšre, peut-ĂȘtre pour 2 ou 3 semaines mais pas au-delĂ  ». Sont touchĂ©es, Ă  prĂ©sent, aussi « des personnes avec des permis de sĂ©jour, des personnes parfaitement intĂ©grĂ©es ici, des mĂšres cĂ©libataires, des personnes avec des petits emplois fragiles, Ă  temps partiel qui sont [
] en demande de chĂŽmage partiel ou d’aide sociale. Il y a pas un profil type mais un profil de plus en plus variĂ© Ă  mesure que cette marĂ©e de crise Ă©conomique monte. » « Le mĂ©decin genevois appelle Ă  un sursaut civique devant cette situation. Ceux qui le peuvent et « qui n’ont pas souffert Ă©conomiquement de la crise doivent ressentir un devoir de solidaritĂ© envers ces personnes », dit-il. » Pour sa part, Le Silure appelle Ă  un sursaut politique, mais aussi Ă  une solidaritĂ© de classe, un changement de systĂšme et une rĂ©gularisation de tou.te.s les sans-papiers ! (Source: Fil d’info RTS, Twitter @DariusRochebin)

11h: Alors que Thierry ApothĂ©loz, tourne autour du pot au sujet de l’engagement du canton [de GenĂšve] dans l’aide alimentaire, le gouvernement cantonal propose la semi-Ă©tatisation du
 Salon de l’auto. Dans un entretien complaisant au Courrier, ApothĂ©loz sautille d’arguties en solutions managĂ©riales. Il a fallu une distribution dans des conditions dĂ©testables pour les rĂ©cipiendaires pour que le dĂ©partement de la soi-disant « cohĂ©sion sociale » s’avise que des gens n’avaient plus de revenu et pas d’indemnitĂ©s ? C’est la faute Ă  l’enchevĂȘtrement communes-canton, Ă  la confĂ©dĂ©ration, au cadre lĂ©gal plus strict, couine le pseudo-socialiste. Ses solutions : un groupe de travail et le « pilotage de la question alimentaire de façon globale ». Ni fromage, ni jambon : rien de trĂšs concret, comme dirait le prĂ©sident cocaĂŻnomane de la RĂ©publique française. Pour le Salon de l’auto, en revanche : 17 millions sont dans les starting blocks sans groupe de travail ni comitĂ© de pilotage. (source: Canal Telegram DĂ©tachĂ© de presse)

8h30: Lundi dernier, des citoyens ont publiĂ© un « appel pour un redĂ©marrage humaniste de la Suisse ». Leur idĂ©e Ă©tait de faire des happenings chaque jour Ă  midi dans des grandes places en traçant autour de soi un carrĂ© de 4m2. La police a distribuĂ© des amendes Ă  GenĂšve pour non-respect de l’ordonnance sur les rassemblements et deux personnes ont mĂȘme Ă©tĂ© embarquĂ©es le 6 mai devant la Gare Cornavin. Mardi, des jeunes de la GrĂšve du climat ont Ă©tĂ© aussi arrĂȘtĂ©s Ă  Berne devant la session parlementaire, ils protestaient contre le renflouement massif de la compagnie aĂ©rienne Swiss. Amnesty International proteste. Un journaliste du Courrier Ă  la recherche d’infos se fait mener en bĂąteau: « Le Conseil fĂ©dĂ©ral envisage-t-il de lever l’état d’urgence qui verrouille les libertĂ©s publiques et Ă  quel rythme? A l’Administration fĂ©dĂ©rale, on se refile la patate chaude, du DĂ©partement de l’intĂ©rieur au DĂ©partement de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, puis Ă  la Chancellerie, avant un retour Ă  l’IntĂ©rieur. » (source: Le Courrier, Tribune de GenĂšve, Twitter @ag_bern, Twitter @klimastreik)

8h: Les rĂ©coltes de la Brigade de solidaritĂ© populaire GenĂšve se poursuivent la semaine prochaine, lundi et jeudi 14h-18h devant l’Usine. (source: Page FB Action antifasciste GenĂšve, Page FB Brigades de SolidaritĂ© Populaire)

Vendredi 8 mai

17h: Dans le Courrier du 1er mai dernier, petit article sur l’annonce de la crĂ©ation d’une « nouvelle faĂźtiĂšre syndicale libertaire » nommĂ©e Syndibasa. Ses membres viennent de Suisse romande et alĂ©manique, il s’agit de l’Association Romande des travailleurs/euses de l’Installation Electrique (ART-IE), la FAU Bern, la FĂ©dĂ©ration syndicale SUD, le Gewerkschaft Basis 21, l’Interprofessionelle Gewerkschaft der ArbeiterInnen (IGA) et le Syndicat Autonome des Postier (SAP). Extrait de leur dĂ©claration: « Nous sommes en rupture avec le syndicalisme institutionnel de paix du travail qui empĂȘche le monde du travail de se dĂ©fendre, de se construire comme puissance, d’imposer ses revendications et de faire avancer les choses. [
] L’exemple le plus flagrant de cette dĂ©rive est sans doute la nĂ©gociation de conventions collectives de travail menĂ©e sans mobilisation et sans construction de rapports de force » (source: Le Courrier, Sud-VD)

16h: Dans Le Monde de mercredi dernier, un article sur les distributions de colis alimentaires Ă  la caserne des Vernets de GenĂšve. « Les rĂ©cipiendaires sont ces milliers d’« invisibles », sans-papiers le plus souvent, ou travailleurs prĂ©caires, qui exerçaient dans la restauration, sur les chantiers, comme nounous ou comme femmes de mĂ©nage. La crise du Covid-19 les a laissĂ©s sur le carreau : sans travail, sans ressource et souvent sans soins, en pleine pandĂ©mie, et confinĂ©s dans des logements surpeuplĂ©s. » (source: Le Monde, Le Courrier)

15h: Tag à GenÚve « Nos vies valent plus que leurs crédits » (quartier des Pùquis).

Jeudi 7 mai

18h: La police française serait-elle sur les dents? À Bourg-en-Bresse (dans l’Ain, dĂ©partement voisin de GenĂšve), le RAID a arrĂȘtĂ© le 27 avril une personne « membre de l’ultragauche » (sic) ainsi qu’une de ses connaissances Ă  Corbas (rĂ©gion lyonnaise). Le tout « dans le cadre d’une enquĂȘte prĂ©liminaire pour « association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un dĂ©lit » et « infraction Ă  la lĂ©gislation sur les armes », a indiquĂ© le parquet de Lyon.» » Ils Ă©taient soupçonnĂ©s de « prĂ©parer une action armĂ©e contre les forces de l’ordre », rien que ça ! Comme un petit fumet de fantasme policier dans l’air
 La procĂ©dure a Ă©tĂ© classĂ©e deux jours plus tard par la justice. (Source: Le ProgrĂšs, Lyon Mag)

16h: Retour avec un peu de retard sur le 1er mai zurichois. Pas de cortĂšge lĂ -bas mais de nombreuses actions dĂ©centralisĂ©es dans la ville. De nombreuses photos et vidĂ©os sont disponibles sur Twitter, on peut mentionner un peinturlurage en pleine journĂ©e du siĂšge de Credit Suisse, des banderoles de solidaritĂ© un peu partout et des collages fĂ©ministes. Des serrures d’appartement de luxe louĂ©s sur Airbnb ont aussi Ă©tĂ© bouchĂ©es avec de la colle. Il y a eu plusieurs tentatives de se rassembler en petits groupes avec des banderoles de plus de 2 mĂštres. Le communiquĂ© du RevolutionĂ€res Bundnis dit: « Nous avons [menĂ© ce 1er mai] sous des formes diverses et adaptĂ©es afin de nous protĂ©ger et de protĂ©ger les autres en termes de santĂ©, tout en rendant notre rĂ©sistance visible dans les villes et les quartiers. » CoĂŻncidence ou non, une conseillĂšre d’Etat PS zurichoise rĂ©clame le lundi suivant au Conseil fĂ©dĂ©ral la levĂ©e de l’interdiction de rassemblement de plus de 5 personnes au nom de la reprise de la vie dĂ©mocratique. (source: Twitter @revmob20, @ajour_mag et @sozialismus_ch, RevolutionĂ€res BĂŒndnis ZĂŒrich, Aufbau, Tages Anzeiger)

14h: Sur RenversĂ©, le Collectif de rĂ©quisitions solidaires a postĂ© une vidĂ©o devant un immeuble vide dont il occupe 4 appartements Ă  GenĂšve. SituĂ© au 4 rue des MaraĂźchers Ă  la Jonction, ils sont la propriĂ©tĂ© de l’Hospice gĂ©nĂ©ral qui laisse pas moins de 50 appartements vides ! Extraits du communiquĂ© : « Ces occupations devaient permettre de loger 10 personnes jusqu’à la dĂ©molition des immeubles en question, [qui vivaient] jusque lĂ  entre les lieux d’accueil bas-seuil et la rue. Nous considĂ©rons que la “solution” actuelle avancĂ©e par la Ville de GenĂšve pour loger les personnes les plus prĂ©caires pendant la crise sanitaire du COVID-19, Ă  savoir la rĂ©quisition de la caserne des Vernets, n’en est pas une [
] . Par ces occupations, nous proposons une alternative respectant les droits fondamentaux et la sĂ©curitĂ© des personnes.» Le collectif rapporte que « quelques 337’000 m2 de surfaces commerciales actuellement inoccupĂ©es dans le canton de GenĂšve (chiffres de juin 2019, OCSTAT) et de nombreux appartements et maisons vouĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©truits dans lesquels personne n’habite. Nous trouvons indispensable et lĂ©gitime que des personnes en situation de prĂ©caritĂ© puissent bĂ©nĂ©ficier d’un logement Ă  taille humaine, sans contrĂŽle d’identitĂ©, dispositif de sĂ©curitĂ© et autres contraintes mettant Ă  mal les libertĂ©s fondamentales de chacun·e. . [
] Au vu de la quantitĂ© d’espaces vides et habitables dont l’Hospice GĂ©nĂ©ral dispose ici, nous en appelons au bon sens et demandons leur mise Ă  disposition sans plus attendre. » Dans l’attente, face au vide : rĂ©quisitions solidaires ! (Source : RenversĂ©)

7h30: Dans La Tribune de GenĂšve de lundi dernier, un article sur les mesures des patrons de l’hĂŽtellerie pour dĂ©charger les coĂ»ts du confinement sur leurs employĂ©-e-s. Des hĂŽtels ont forcĂ© les salariĂ©-e-s Ă  prendre des vacances et Unia GenĂšve proteste Ă  ce sujet. Un employĂ© de l’hĂŽtel 5 Ă©toiles Four Seasons HĂŽtel des Bergues tĂ©moigne:  «Si on avait dĂ» sacrifier quelques jours de vacances, j’aurais compris, mais lĂ , ce sont des semaines qu’on nous a prises.» MĂȘmes problĂšmes au Mandarin Oriental et Ă  l’HĂŽtel Mövenpick, une employĂ©e tĂ©moigne qu’elle a vu des « heures supplĂ©mentaires en nĂ©gatif » sur sa fiche de paie. (Source: Tribune de GenĂšve)

7h: La RTS partage les rĂ©sultats d’un sondage publiĂ© aujourd’hui et rĂ©alisĂ© par la sociĂ©tĂ© de conseil Deloitte : « En raison de la crise du coronavirus, prĂšs d’un cinquiĂšme des employĂ©s suisses estime qu’il est probable qu’ils perdent leur emploi et quasiment un quart des indĂ©pendants pensent qu’ils vont faire faillite [
]. La situation au travail depuis la crise du coronavirus s’est dĂ©tĂ©riorĂ©e pour 63% de tous les employĂ©s en Suisse [
]. Plus de la moitiĂ© d’entre eux ont dĂ» rĂ©duire leur temps de travail, 27% dĂ©compter des heures supplĂ©mentaires, un quart poser des congĂ©s par anticipation et 2% des employĂ©s ont mĂȘme Ă©tĂ© licenciĂ©s. » Sans commentaires….(Source : RTS, Fil d’info)

Mercredi 6 mai

17h: La RTS réécrit dĂ©jĂ  l’histoire. Dans La Matinale, un journaliste affirme qu’il n’y a pas eu de mutinerie dans les prisons suisses. « La maladie ne s’est pas propagĂ©e dans les prisons suisses, pas de mutineries non plus, mais une pĂ©riode de confinement difficile Ă  vivre, suspension des visites oblige […] ». Faux, vendredi 3 et samedi 4 mars Ă  la prison surpeuplĂ©e de Champ-Dollon Ă  GenĂšve, des dĂ©tenus ont refusĂ© de retourner en cellule aprĂšs la promenade deux jours de suite (voir Suivi des 3, 4, 6, 8, 13.04 et le tĂ©moignage publiĂ© sur notre site). Par ailleurs, la journaliste introduit le sujet en disant : « «Et le coronavirus, toujours, qui pĂšse sur le moral des dĂ©tenus. » A les Ă©couter, ce n’est pas le coronavirus qui pĂšse sur leur moral mais l’enfermement, l’isolement, la peur d’ĂȘtre infectĂ© et la maltraitance de cette institution rĂ©pressive. C’est le mot « libertĂ© » qu’ils criaient dans la campagne genevoise ces jours d’avril. SolidaritĂ© avec toutes les personnes incarcĂ©rĂ©es ! (Source : RTS La 1Ăšre, La Matinale)

9h: La pauvretĂ© ne tombe pas du ciel ni du Coronavirus : InterrogĂ© sur la proposition d’un «hĂ©licoptĂšre monĂ©taire », des bons de 500.- donnĂ©s par la BNS Ă  chaque citoyen-nes suisses, le directeur de Caritas Vaud rĂ©pond : « Ces aides-lĂ  ne toucheraient pas les personnes que nous aidons aujourd’hui puisque la plupart des gens que nous aidons n’existent pas sur une liste. » Il souligne ensuite l’un des mĂ©canismes de la prĂ©carisation des sans-papiers en Suisse « qui fonctionnent et qui travaillent en dehors du systĂšme mais qui nous permettent, Ă  nous, de travailler dans notre systĂšme. Ce ne sont pas des gens [
] Ă©loignĂ©s. Ils travaillent dans l’économie domestique, ils gardent nos enfants, ils nettoient nos mĂ©nages, etc. Ils soutiennent peut-ĂȘtre nos personnes ĂągĂ©es. Ces gens, certains d’entre nous sont leur patrons, si nous ne leur donnons pas l’enveloppe que nous avons l’habitude de leur donner, ils n’ont tout simplement pas de revenu. [
] Si les patrons que nous sommes pour certains avaient payĂ© ces gens, la fille [de personnes venues pour une distribution de nourriture] vue Ă  GenĂšve serait moins longue. » En rĂ©ponse Ă  la pauvretĂ© organisĂ©e par le systĂšme nĂ©olibĂ©ral, un slogan appropriĂ© : « One solution! Revolution! » (Source : Forum, RTS La 1Ăšre)

8h: De la premiĂšre ligne au licenciement : Alors qu’il s’agit d’un secteur essentiel dans la crise du Covid-19, l’entreprise genevoise TN Technique du Nettoyage SA ne s’est pas gĂȘnĂ©e pour limoger plusieurs employĂ©s : « On n’a jamais arrĂȘtĂ© de travailler, s’indigne [un des employĂ©s]. MĂȘme le samedi et le dimanche, il fallait y aller, effectuer des dĂ©mĂ©nagements ou de la manutention, alors qu’on a un contrat de nettoyage. Et voilĂ  qu’on nous licencie. On ne s’y attendait pas. » Dix jours aprĂšs avoir appris leur licenciement, cinq employĂ©s ont eu vent que leur employeur avait dĂ©posĂ© une demande de chĂŽmage technique, une aide publique dont l’objectif est, en cas de rĂ©duction d’activitĂ©, d’éviter les licenciements. Dans une action menĂ©e ce matin devant cette entreprise, le SIT dĂ©nonce Ă©galement l’entreprise Pronet SA. Pourtant au bĂ©nĂ©fice de la rĂ©duction de l’horaire de travail, celle-ci a obligĂ© ses employĂ©.e.s Ă  poser des vacances au mois de mars. Le syndicat revendique une augmentation salariale ainsi que le payement par l’employeur des 20 % de salaire non perçus durant le chĂŽmage partiel car « la trĂšs grande majoritĂ© du personnel de nettoyage gagne moins de CHF 4’000.- par mois. Ainsi, le personnel mis au chĂŽmage technique n’arrive pas Ă  subvenir Ă  ses besoins les plus Ă©lĂ©mentaires » (Source : Tribune de GenĂšve, SIT)

Mardi 5 mai

16h15: Des banderoles et une affiche, toutes Ă  GenĂšve.

16h: Au tĂ©lĂ©journal, une caissiĂšre parle de son travail dans l’un des « deux gĂ©ants » [de la grande distribution] durant la crise du Covid-19 : « On part au travail avec une crainte d’ĂȘtre contaminĂ©e parce que mes collĂšgues qui sont dans les rayons sont directement exposĂ©s avec les questions des clients. Et nous, Ă  la caisse, aussi, mĂȘme si des mesures de protection ont Ă©tĂ© installĂ©es par la suite, le port de gants, le dĂ©sinfectant, le plexiglas, vous avez toujours des gens qui viennent vers vous, que ce soit de cĂŽtĂ© ou en face, [pour] vous poser une question de trĂšs prĂšs. Cette peur existe toujours malheureusement. [
] Les clients, ça va un peu mieux. Au dĂ©but, je peux les comprendre aussi, c’était trĂšs difficile, trĂšs pĂ©nible. Parce que les gens allaient dans les magasins, ils ne trouvaient pas soit 1kg de sucre, de riz ou de farine, donc ils se sentaient un petit peu frustrĂ©s, un peu Ă©nervĂ©s parce qu’ils ne trouvaient pas cette marchandises. Et c‘est clair que c’était nous, Ă  la fin, Ă  la caisse qui devions accepter ces critiques ou un peu la colĂšre de ces clients parce que justement ils ne trouvaient pas la marchandise. » Le personnel de vente, au front toujours les jours depuis le dĂ©but de la crise, attend encore une prime rĂ©clamĂ©e par l’USS, nous apprend le journaliste. Quid d’une augmentation salariale ? (Source : 19:30, RTS 1)

10h: Action du syndicat Ă©tudiant CUAE vendredi dernier Ă  GenĂšve avec une banderole sur Uni Dufour « Examens maintenus, Ă  quels prix? ». Les affiches placardĂ©es reprennent des tĂ©moignages d’étudiant-e-s en galĂšre avec la pandĂ©mie et pointent du doigt le fait que la prĂ©caritĂ© joue Ă  plein dans la rĂ©ussite ou l’échec aux examens. « J’ai trois enfants de 1, 3 et 6 ans. Avec la fermeture des crĂšches, je les garde Ă  la maison. Impossible de suivre les cours et on me demande de passer les examens, alors que je ne peux me permettre un semestre de plus », « j’ai Ă©tĂ© appelĂ© Ă  la PCi jusqu’à la fin mai. Je travaille les nuits dans un EMS. Dois-je choisir entre dormir ou rĂ©viser pour mes examens? ». Par ailleurs un rĂ©seau intercantonal a Ă©tĂ© formĂ© avec des syndicats et associations d’Ă©tudiant-e-s de Lausanne et NeuchĂątel avec un site web dĂ©diĂ© action-education(point)ch. (source: Page FB CUAE, Silure)

Lundi 4 mai

19h: Retour sur le 1er mai Ă  BĂąle, seule ville suisse oĂč il y a eu un cortĂšge. Le communiquĂ© postĂ© sur Barrikade dit que 800 Ă  1000 personnes ont repris les rues et manifestĂ© par petits groupes. Des contrĂŽles ont eu lieu Ă  la fin. Extrait : « Depuis le dĂ©but de la crise du Corona, des tentatives ont Ă©tĂ© faites pour rĂ©percuter les coĂ»ts de la crise sur les conditions de vie. Nous devons maintenant lutter contre cela de maniĂšre dĂ©cisive. » AufBau a Ă©galement accrochĂ© des banderoles devant plusieurs hĂŽpitaux Ă  BĂąle comme Ă  Zurich et Winterthur en solidaritĂ© avec le personnel de la santĂ©. « Avant la crise, le discours du cĂŽtĂ© politique Ă©tait clair : les soins de santĂ© sont trop chers. Il faut Ă©conomiser, Ă©conomiser, Ă©conomiser [
]. Et dĂšs que le Corona est arrivĂ©, la premiĂšre mesure prise d’en haut a Ă©tĂ© d’abroger le droit du travail. En parallĂšle, le travail d’infirmier, souvent dĂ©valorisĂ© et mal payĂ©, [
 ] a reçu l’apprĂ©ciation que ce travail mĂ©rite. Mais les mots, les applaudissements et le chocolat ne suffisent pas. Si nous voulons vraiment offrir des soins de qualitĂ©, si nous voulons mettre la vie des gens au centre de nos prĂ©occupations, le systĂšme de santĂ© doit ĂȘtre radicalement modifiĂ©. [
 ] Nous devons nous battre ensemble : pour un service de santĂ© publique de qualitĂ© et gratuit, dans lequel il n’y a pas de place pour une mĂ©decine Ă  deux vitesses ni pour les intĂ©rĂȘts du capital.» Cette manif du 1er mai a provoquĂ© une rĂ©action courroucĂ©e dans le journal bourgeois Basler Zeitung qui a dĂ©clarĂ© qu’on ne pouvait pas ĂȘtre contre le capitalisme car c’est lui qui produit les masques (!) (Source: Barrikade, Twitter @mai_basel, Page FB RevolutionĂ€rer Aufbau Basel, Basler Zeitung, non traduit)

16h30: Plusieurs centaines de mĂštres de queue, trois heures d’attente, 1’300 colis alimentaires d’une valeur de 20 francs. A GenĂšve, plus de 2’500 personnes se sont dĂ©placĂ©es samedi dernier Ă  la Caserne des Vernets nous rapporte Le Courrier dans un article intitulĂ© « Le nouveau visage de la pauvretĂ© ». La Caravane de solidaritĂ© est Ă  nouveau Ă  l’initiative de cette distribution [cf Suivi 20 avril]. Le directeur du Centre social protestant dĂ©clare « On ne peut pas parler de cette situation sans Ă©voquer Papyrus (l’opĂ©ration genevoise de rĂ©gularisation des personnes sans-papiers, ndlr). On en a rĂ©gularisĂ© plus de 2000, leur nombre total est estimĂ© Ă  environ 10 000. On a donc 8000 personnes qui thĂ©oriquement n’ont droit Ă  aucune aide et qui ont subi de plein fouet le ralentissement Ă©conomique. » L’édito du Courrier critique l’inaction du gouvernement cantonal : « Ces personnes n’ont guĂšre Ă©mu les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales: elles ne sont pas concernĂ©es par les milliards prĂ©vus pour la relance Ă©conomique, au prĂ©texte que l’aide au secteur domestique est trop compliquĂ©e Ă  mettre sur pied. Et au bout du lac, alors que le dĂ©partement du dĂ©veloppement Ă©conomique a lĂąchĂ© 100 ‘000 francs pour assister les restaurateurs dĂ©sireux de faire livrer leurs repas Ă  domicile, ce sont des initiatives privĂ©es qui pallient l’absence de soutien nutritionnel Ă©tatique aux plus fragiles. En ce moment, le silence du DĂ©partement de la cohĂ©sion sociale de Thierry ApothĂ©loz est assourdissant. [
] Une main-d’Ɠuvre dont personne ne veut voir le visage, et dont les autoritĂ©s n’ont que faire du ventre qui crie. ». Dans le Temps une femme de mĂ©nage d’origine philippine tĂ©moigne «Nous parlons mieux l’anglais que le français. Pour cette raison, nous sommes les femmes de mĂ©nage, les nounous ou les domestiques des expatriĂ©s. Une de mes amies a perdu son emploi et du mĂȘme coup son domicile.» (Source : Le Courrier, Le Temps)

16h15: Banderole aux fenĂȘtres Ă  GenĂšve. « Le virus mortel c’est le capitalisme ». (source: Silure)

16h: reprise du Suivi aprĂšs une petite pause. Retour sur le 1er mai genevois avec la fresque commune des Jeunes rĂ©volutionnaires, de l’Action antifasciste et du Secours Rouge sur la façade de l’Usine. « Seul le peuple sauve le peuple ». Extraits des communiquĂ©s: « Le patronat suisse et mondial annonce dĂ©jĂ  des baisses de salaires, des extensions du temps de travail ou encore des rĂ©ductions des assurances sociales. [
] Pour ce premier mai 2020 nous voulons crier haut et fort notre refus de ce systĂšme qui privatise les bĂ©nĂ©fices et socialise les pertes mais aussi montrer notre esprit combatif et notre solidaritĂ© internationale. » (source: Page FB Action antifasciste GenĂšve, Page FB Secours Rouge GenĂšve et Page FB JRG – Jeunes RĂ©volutionnaires GenĂšve, Page FB Feu au lac)

Vendredi 1er mai

13h: Collage ce matin Ă  GenĂšve dans la cour du Silure. « Multinationales, banques et patronat, covidons les coffres ! #NousNePaieronsPasVotreCrise ». À GenĂšve, un 1er mai 2020 pluvieux et sans cortĂšge. La pĂ©riode actuelle est critique; depuis le 16 mars et le dĂ©but du semi-confinement, le Silure a modestement tentĂ© d’apporter sa pierre aux discussions avec la publication de tĂ©moignages, de textes et d’un suivi en continu sur son site. Il va falloir garder son sang-froid mais aussi donner de la voix dans les mois Ă  venir ! Le capitalisme ne peut rĂ©gler les pandĂ©mies qu’Ă  sa façon, les rapports de force restent nĂ©cessaires pour imposer d’autres choix en matiĂšre sociale et Ă©conomique. À bientĂŽt dans les rues, bon 1er mai Ă  tout le monde ! (source: Silure)