J’ai proposé plusieurs fois aux autres de faire une vidéo avec moi pour dénoncer ce que nous vivions. Je leur ai dit : « Ce système ici, c’est pas normal ou c’est moi ?! On a demandé l’asile politique et on continue d’avoir peur. Mais on n’est plus au Maroc ou en Algérie ! »
La décision du SEM me concernant était donc déjà sortie, mais moi je ne le savais pas. Le 5 décembre, les agents de sécurité m’ont appelé. Ils m’ont dit :« Vous avez rendez-vous avec le SEM. ». Un vol Zurich – Nice était prévu pour moi. J’ai demandé : « Vous êtes sérieux ? » Ils ont dit : « Le vol est prévu pour le 10 décembre. » J’ai demandé : « Mais elle est où la décision ? » Ils m’ont dit : « Vous avez eu la décision, dans vos propres mains. » J’ai répondu : « Non. Vous en avez la preuve ? » Ils ont dit : « On s’en fout. » Ensuite, je leur ai dit tranquillement : « Moi j’ai des preuves que je n’ai pas reçu la décision. ». Et j’ai insisté pour qu’ils me donnent ma décision. Ils ne voulaient pas. Ils disaient que l’imprimante ne marchait pas. J’ai dit : « Il y a une imprimante à Caritas. C’est ma décision. Vous n’avez pas le droit de pas me la donner. » Ils m’ont dit : « La décision, c’est votre avocat qui doit vous la donner. » J’ai répondu : « Mais moi, l’avocat je ne le connais même pas. » Plusieurs fois, j’étais aller au bureau de Caritas pour demander un rendez-vous, je leur avais même envoyé des emails et ils ne m’avaient jamais répondu. Finalement, les agents m’ont dit : « Allez faire un tour et revenez dans 1h. » Je me suis dit : « C’est bon là je vais faire une connerie… » Une heure après, un agent de sécurité est venu me chercher et m’a amené ma décision. Il m’a dit que je devais signer un accusé de réception. Je l’ai signé.
« Je lui ai encore rappelé : « Vous avez demandé par email un rendez-vous à un de vos avocat mais vous ne vouliez pas me donner son numéro. Vous m’avez dit que l’État ne paie pas beaucoup pour les avocats. ». Je leur ai montré que j’avais la preuve, par capture d’écran, que nous avions échangé par messages le 5 novembre, le jour où la décision me concernant était tombée. Elle m’a dit : « C’est une erreur. » »
Ensuite, j’ai parlé avec un monsieur qui s’appelle D. et qui aide beaucoup de gens au centre, un bénévole je crois. Je lui ai demandé s’il trouvait ça juste. Il m’a dit que non et m’a emmené à Caritas. J’ai filmé. Au début, l’employée de Caritas m’a dit : « Vous étiez en grève de la faim. » J’ai répondu: « J’ai des preuves que, malgré ma grève de la faim, le jour de la décision, je vous ai contacté.». Je lui ai encore rappelé : « Vous avez demandé par email un rendez-vous à un de vos avocat mais vous ne vouliez pas me donner son numéro. Vous m’avez dit que l’État ne paie pas beaucoup pour les avocats. ». Je leur ai montré que j’avais la preuve, par capture d’écran, que nous avions échangé par messages le 5 novembre, le jour où la décision me concernant était tombée. Elle m’a dit : « C’est une erreur. » J’ai dit : « Je m’en fous que ce soit une erreur ! Ce n’est pas de ma faute.» Je me suis aussi rendu dans les bureaux du Bâtonnier de l’Ordre des avocats vaudois à Lausanne pour dénoncer la manière dont j’avais été traité par Caritas. Mais la secrétaire du Bâtonnier n’a rien voulu faire pour moi.
« Ils ont dit : « On va t’emmener au poste. Vous les Marocains, vous n’avez pas le droit de demander l’asile ici. » Je leur ai demandé : « Vous êtes la justice ? Vous êtes les juges ? » »
Il fallait que je fasse recours contre la décision. J’ai pris le train pour Saint-Gall, où se trouve le Tribunal Administratif Fédéral (TAF). Je me suis fait contrôler. Le contrôleur m’a fait descendre à Berne en menaçant d’appeler la police. Ensuite, j’ai pris le train pour Zurich. Là, je suis resté avec mes deux sacs, un contenant mon dossier, l’autre mes affaires. J’ai dormi dans la rue. Une nuit que je dormais à la gare sur une chaise, la police est venu et m’a interpellé en allemand. J’ai dit : « Je ne parle pas allemand. » Eux ne parlaient pas bien le français : « Votre pièce d’identité ! ». J’ai montré la carte. Ils ont dit : « On va t’emmener au poste. Vous les Marocains, vous n’avez pas le droit de demander l’asile ici. » Je leur ai demandé : « Vous êtes la justice ? Vous êtes les juges ? » Ils ne voulaient pas que je leur parle comme ça. Ils m’ont mis dans une fourgonnette avec un grillage, où tu es accroupi comme un chien. Au commissariat, ils m’ont demandé de me déshabiller entièrement. Il faisait froid. Déjà à la gare, j’avais de frissons. Ils m’ont laissé comme ça 5-10 min. Plus tard, ils m’ont dit : « On a regardé si tu avais un casier, pour nous il n’y a pas de problèmes. » Ils n’ont pas trouvé de vols ou un quelconque délit à me reprocher. Ils ne se sont même pas excusés.
Ensuite, j’ai pris le train pour Saint-Gall. Là-bas, je suis resté à la gare jusqu’à ce qu’elle ferme. Dehors, le temps était glacial. Il y avait une banque ouverte mais je ne voulais pas être vu par les caméras. Je savais qu’un vol était prévu pour moi et que si la police m’arrêtait là, elle pouvait me mettre en rétention à Zurich. J’ai passé la nuit dans un parking souterrain. Un agent de sécurité m’a trouvé et m’a dit : « Tu peux dormir là, mais tu ne vas pas résister au froid». Puis, il m’a donné des cigarettes. J’ai mis tous les habits que j’avais, mais au milieu de la nuit, je n’arrivais plus à résister. Quand la gare a rouvert, je suis allé m’y réchauffer.
A 8h, je suis parti au TAF. J’ai raconté ce qui m’était arrivé. Ils m’ont dit : « Ça ne marche pas comme ça chez nous. Tu as dépassé les 5 jours pour faire recours. » J’ai demandé si je pouvais parler à un responsable parce que, n’ayant pas été mis au courant de la décision me concernant, ce n’était pas de ma faute si je n’avais pas pu respecter le délai. Ils m’ont dit : « Non, tu perds ton temps ici. » Ils m’ont demandé de remplir des papiers que j’ai signé. J’ai voulu raconter que j’avais une histoire, avec des preuves mais… Avec qui je parle?! Avec des gens qui ne n’ont rien à foutre. Tu meurs, tu vis, ça n’a pas d’importance pour eux.
« Aujourd’hui si la Suisse m’expulse en France, la France me renverra sous la dictature marocaine. Son gouvernement protège la monarchie. Moi je suis républicain. Pourquoi j’obéirais à un roi prédateur et dictateur ? »
Je suis retourné à Genève où je suis resté quelques jours. Ils ont envoyé un courrier me concernant à Vallorbe. En y allant, je n’avais pas confiance. Je me disais, si les flics me touchent, je les mords. Ce n’était qu’une convocation du SEM. C’est ça que je ne comprends pas. Est-ce que le TAF et le SEM c’est pareil ? Le directeur de Vallorbe m’a dit que j’étais un voleur, que j’avais reçu cinq amendes dans le pays. Il m’a fait du chantage : « Je peux appeler la police et ils te mettront en prison. » J’ai demandé: « Vous êtes sérieux là ? » – « Oui. » Je me suis dit qu’il ne fallait pas qu’il appelle la police. J’ai dit : « Je ne suis pas un voleur, j’ai des amendes de train. » Il m’était déjà arrivé la même chose avec des agents de sécurité et des responsables de centres. Dès que je dis que je suis Marocain, ils pensent que je suis un voleur. Ils disent : « Algériens, Tunisiens, Marocains, que des voleurs ! ».
Auparavant, après la France, j’ai essayé de trouver refuge au Pays-Bas, mais là-bas comme ici, ils ne t’écoutent pas, ils ne font qu’appliquer Dublin. Aujourd’hui si la Suisse m’expulse en France, la France me renverra sous la dictature marocaine. Son gouvernement protège la monarchie. Moi je suis républicain. Pourquoi j’obéirais à un roi prédateur et dictateur ?
Je suis contre tout ça. Ce qui se passe ici en Suisse me fait peur. Quand je parle avec des gens, que je raconte mon histoire, je rencontre des personnes venant d’Amérique du Sud, ou même des Suisses, qui me rapportent des trucs qu’elles ont vécus ici qu’on ne peut pas pardonner, qui choquent le cœur. Ils me disent : « T’as encore rien vu ! ». Je leur réponds : « Alors il faut dénoncer ! ». Aujourd’hui, un mineur qui dort avec nous à l’église depuis deux jours m’a dit qu’on a exigé de lui qu’il ramène son acte de naissance, s’il voulait dormir dans un centre ou un hôtel. Imaginez, ce gamin : il a pas de famille, il va faire comment ? C’est un mineur ! Il a 16-17 ans, il doit aller à école !
* Caritas : Caritas suisse est une association membre du réseau international de Caritas regroupant 165 organisations. Depuis la dernière révision du droit d’Asile en Suisse en 2019, Caritas a été mandaté par le Secrétariat d’Etat aux Migrations pour fournir une représentation juridique gratuite aux requérant.e.s dès leur premier jour en Suisse. Une assistance juridique au rabais directement mandatée par un organisme d’état dont l’obsession est l’accélération des renvois…
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