Au moment où il y a eu les premières contaminations de masse en Suisse, chaque personne qui pouvait être astreinte à la protection civile a reçu un courrier à la maison. Daté du 18 mars, il comportait des mots écrits en rouge pour bien souligner qu’il s’agissait d’une mobilisation exceptionnelle : « Information en cas de mobilisation » ; avec le logo de la République et du Canton de Genève, il émanait de l’Office cantonal de la protection de la population.

Témoignage récolté par téléphone mi-avril 2020.

« Et tous les soirs, les gens tapent aux fenêtres, font du bruit… »

Il était aussi indiqué que ce n’était pas un choix et il était précisé que : « ce document peut également servir d’attestation pour votre employeur ». Ce qui signifie donc : tu es à notre disposition. Les personnes employées par l’État n’ont pas d’excuses pour refuser, contrairement à celles qui travaillent dans des entreprises privées, définies comme prioritaires et toujours actives, et aux soignants concernés par le Covid qui sont exclus de cette réquisition car ils participent déjà à l’effort collectif.

La protection civile fonctionne comme l’armée, c’est-à-dire que tu as des cours de répétitions**, en fonction des besoins et selon les communes. La tâche des affectés pour la patrie, en temps normal, c’est par exemple d’aller voir si les sirènes d’alarme fonctionnent, si dans les PC l’eau est disponible, si l’hygiène est respectée, etc. Juste avant le Covid, certains affectés dont les cours de répétition avaient déjà été programmés ont été réaffectés au dispositif mis en place pour agir contre le Covid. Il faut dire que la protection civile du canton de Genève et celle du Tessin ont réagi plus vite que la Confédération. À partir du premier cas, le canton de Genève a commencé à envisager le scénario du pire et c’est pour cela que nous avons tous été prévenus qu’on pouvait être convoqués à tout moment. La protection civile à Genève compte 5000 personnes. Et si je ne me trompe pas, on est déjà 2000 à avoir fait et à faire des jours de service. C’est énorme ! D’habitude quand tu fais tes quatre jours par année, tu croises les mêmes têtes. Là, c’est différent. Je pourrais presque faire une espèce de sociologie, on a tout un panel de la société civile : il y a des avocats, des médecins dont la spécialité n’est pas mobilisée pour le Covid, des boulangers, des ouvriers, etc. A part des gens dont le travail est considéré comme fondamental, on est tous là !

La mobilisation se fait soit par sms, soit par email, pour ne pas être tributaire du ralentissement du courrier, parce qu’il y a une partie du personnel de la poste qui ne travaille pas en ce moment. Donc tu es affecté en fonction de l’emplacement géographique de ton domicile, car la protection civile est répartie plus ou moins en communes et selon les effectifs, on est volontaire ou pas… Comme la partie du canton où je suis rattaché ne disposait pas d’assez de personnes, j’ai reçu une convocation quelques jours après cette première lettre. J’ai été affecté dans les unités qui appuient le personnel médical dans le cadre du dépistage Covid-19. Là pour le coup, tu sens quand même que ce n’est pas quelque chose d’inutile. Alors le fait que tu sois convoqué n’est pas un problème. Moi je comprends pourquoi j’ai été appelé. Il faut appuyer le personnel soignant, ça fait partie du truc ; on sait qu’il y a potentiellement des sous-effectifs, donc on peut comprendre. C’est presque normal. Durant cette période, la protection civile fait toute une série de choses : elle appuie les activités de dépistage, elle aide aux soins intensifs, elle aide les ambulanciers et les services de livraisons au domicile des personnes âgées… Mais lorsque tu apprends par les autres personnes astreintes à la protection civile quelles sont leurs tâches, alors tu te rends compte qu’en parallèle, toute une série de personnes ont été et sont appelées pour faire des tâches qu’on ne peut pas considérer comme étant au service de la communauté.

Être mobilisé pour la patrie et… « faire le larbin de tel ou tel supermarché »

Toute une partie des astreints est au service de certaines entreprises privées qui sont contentes d’avoir trouvé de la main-d’œuvre gratuite. J’ai trois exemples. Lequel est le plus ridicule ou violent socialement ? Le premier concerne une clinique privée fermée pour tout ce qui n’est pas primordial, comme un accouchement prévu ou des examens importants déjà agendés. Le directeur de cette clinique privée a demandé à la protection civile d’avoir deux personnes à disposition pour faire le tri à l’entrée du parking. Une fonction qui pourrait très bien être remplie par n’importe quelle personne qui travaille là-bas, un agent de sécurité ou quelqu’un du personnel. Alors que les affectés de la protection civile, c’est du personnel gratuit ! La clinique n’a pas à les payer. Donc elle peut mettre toute une partie de son personnel au chômage technique, parce qu’ils ne sont pas occupés en ce moment, mais en même temps elle profite d’une main d’œuvre gratuite et de personnes qui n’ont pas eu le choix d’être là.

« En fait, on remplace le personnel qui aurait pu continuer à travailler si on leur avait confié cette tâche de vérification et ainsi être payé à 100 % par leur entreprise. »

Le deuxième exemple concerne les supermarchés alimentaires. Toute une série de magasins, que ce soit les grands ou les petits, ont demandé le soutien de la protection civile, uniquement, pour vérifier que les gens respectent les distances sociales et pour contrôler les attroupements dans les rayons des magasins. La plus caricaturale des réquisitions que j’ai vue concerne un grand supermarché de gros, où il y a un gars de la protection civile qui récupère les chariots à la sortie du magasin quand les clients sortent, qui les désinfecte et qui les donne aux clients qui entrent. Alors qu’à l’intérieur, la moitié des caisses sont fermées, ce qui signifie concrètement que la moitié des employés n’ont pas été appelés à venir travailler. Dans une des plus grandes chaînes de supermarchés suisses, c’est la même chose : les gens de la protection civile posent régulièrement des scotchs par terre pour maintenir les distances interpersonnelles et ensuite, ils sont postés devant le magasin toute la journée pour voir si elles sont respectées. En fait, on remplace le personnel qui aurait pu continuer à travailler si on leur avait confié cette tâche de vérification et ainsi être payé à 100 % par leur entreprise. Devant une grande enseigne du centre-ville, la queue étant très longue parfois, elle fait même tout le tour du pâté de maisons, les astreints de la protection civile doivent faire le tour de la queue pour contrôler que les clients respectent bien les distances sociales. Une autre de leurs tâches, que n’importe quel employé de ce grand magasin aurait aussi pu faire, c’est de veiller à ce que les personnes âgées soient directement accompagnées à l’entrée pour qu’elles n’aient pas à attendre.

Dans le même temps, le personnel des autres rayons de ce magasin a été mis au chômage technique. Donc l’entreprise n’a pas à verser le salaire de ces gens-là. Cette enseigne fait fonctionner son commerce, juste le minimum autorisé, l’alimentation. Elle exploite du personnel qui est fourni gratuitement par l’État. Il y a un article sorti dans la presse qui parlait des militaires et qui allait dans le même sens, expliquant que des militaires avaient été affectés à l’hôpital et qu’ils remplaçaient du personnel mis au chômage technique ou en vacances forcées. D’ailleurs, on ne sait pas encore combien de personnes ont été obligées à prendre des vacances durant cette période…

Ces entreprises privées, cliniques privées ou supermarchés se plaignent des restrictions, alors qu’en fait, elles font des économies puisqu’avec le chômage technique, c’est la caisse cantonale qui paye le salaire réduit à 80% des personnes qui ne sont plus à disposition des entreprises et de surcroît, ces magasins disposent de main d’œuvre gratuite.

Un troisième exemple assez caricatural : dans une clinique privée, il y a deux gars de la protection civile qui s’assurent que personne ne vienne sur la propriété privée de la clinique et, en échange, ils reçoivent un plat du jour à midi. Entre le coût de ce plat d’environ 14 CHF ou le salaire d’un mois, c’est tout bénéfice. C’est affligeant ! Parce que oui la protection civile remplit des tâches louables, je pourrais encore citer le réaménagement de la caserne des Vernets en centre d’accueil pour les personnes sans-abris. Les gars de la protection civile ont bossé cinq jours de suite pour pouvoir réaffecter les lieux en un espace presque vivable. C’est un travail plus ou moins utile, puisqu’il permet à des gens d’avoir un espace de vie ; quelquefois, les astreints nettoient les habits des personnes sans-abris… Mais, à l’opposé, tu peux te retrouver à faire le larbin de tel ou tel supermarché. Ce n’est pas la protection civile qui décide ça, ce n’est pas la hiérarchie non plus, c’est le canton de Genève. L’État et les communes lui donnent des missions. Il suffit que des supermarchés le demandent. Le moment le plus problématique a été le week-end de Pâques. Comme il y avait la crainte d’un afflux sur les supermarchés, je pense que pas loin de 80 % des supermarchés du canton ont demandé de l’aide à la protection civile. Et du coup, il y avait des astreints dans quasi tous les supermarchés de quartier. J’ai vu un centre commercial de Plainpalais qui lui, a eu recours aux agents de sécurité déjà engagés en temps normal pour faire le tri à l’entrée, afin de vérifier qu’il n’y ait pas trop de monde qui entrait dans le centre. Sinon, partout ailleurs, tu voyais des gens de la protection civile faire ce boulot. Devant un supermarché de la Jonction, les gars de la protection civile sont venus parce qu’il y avait trop de monde qui faisait la queue et ils ont organisé un labyrinthe. Ça fait peur mais c’est ça !

« Est-ce que les gens de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? »

Durant le week-end de Pâques, la protection civile devait également vérifier dans les espaces publics que les distances sociales étaient respectées, pas de rassemblement de plus de cinq personnes. Mais, elle n’avait aucun pouvoir. Elle pouvait dire quoi, à part : « Vous ne devriez pas être cinq. » Le but de cette présence est clairement dissuasif, en suivant cette logique que si les gens voient quelqu’un en uniforme, ils vont respecter la règle. Quand tu es à la protection civile, tu dois porter un uniforme. Et c’est le cas aussi des sapeurs-pompiers qui devaient se balader, non pas en civil, mais en uniforme. La protection civile est vêtue de vert olive. Vert, c’est la couleur de l’armée dans l’ordre du symbolique. Quand tu vois des gens qui sont habillés tous pareils, dans des codes de couleurs hyper précis – le bleu, le vert olive – ça ne te fait pas vraiment penser à un truc de dissuasion, mais plutôt à un truc autoritaire. Ces gars de la protection civile sont aussi conscients qu’ils sont là pour des mauvaises raisons : surveiller… Ils sont là, à se balader dans les parcs et ils ne vont pas aller engueuler les gens, ils se disent que ce n’est pas leur rôle.

« Est-ce que les astreints de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? La question se pose de plus en plus. Parce que pour ceux qui surveillent les parcs, c’est ça ! »

Quand on est astreint à la protection civile, on reçoit une formation de base. Avec cette formation de base, on est apte à aider en cas de catastrophe. Le Covid-19, c’est une catastrophe. Et donc, en ce moment, il y a une équipe qui est dans les locaux des ambulanciers et qui les aide à désinfecter les ambulances tous les soirs. D’habitude, il n’y a pas autant d’ambulances qui circulent dans les rues de Genève. Il y a tellement de demandes en ce moment qu’il faut accélérer le rythme, il faut que ce soit désinfecté le plus vite possible. Dans ce cas, notre rôle se justifie. C’était aussi le cas quand, pour soulager le personnel d’une clinique privée et réquisitionnée ; la protection civile a monté une tente hôpital d’appoint pour recevoir les personnes susceptibles d’avoir le coronavirus. Les mêmes tentes ont été montées devant d’autres cliniques privées, devant l’hôpital et des centres médicaux. On est formés à ce genre de choses. En cas de catastrophe, on est censés pouvoir suppléer des sapeurs-pompiers, des médecins, des cantonniers, tous les gens qui sont en première ligne. Alors que surveiller les gens dans les supermarchés ou aller faire la morale aux promeneurs dans les parcs ou au bord du lac, ce n’est clairement pas ce pourquoi les astreints ont été formés jusqu’à aujourd’hui. Si ça devient la norme…. On ne sait pas de quoi demain sera fait. On ne sait pas si, à partir de l’année prochaine, on ne nous dira pas que maintenant, ça entre dans nos compétences. Est-ce que les astreints de la protection civile sont là pour faire les supplétifs de la police ? La question se pose de plus en plus. Parce que pour ceux qui surveillent les parcs, c’est ça ! En fait, ils ont intégré l’ordre répressif – ou comme Weber le disait, la capacité coercitive de l’État – sans l’avoir voulu.

Des affectations aux limites floues…

Devant le foyer Frank-Thomas, j’ai vu un astreint de la protection civile et je me suis demandé ce qu’il y faisait. Déjà en temps normal l’agent de sécurité devant, c’est choquant, mais tristement pour un foyer, on s’y est habitué. Qu’est-ce que le gars de la protection civile vient apporter là-bas ? On s’est demandé si on allait être postés devant les foyers de migrants… C’était une interrogation, car on a vu des astreints vers des foyers. Autre exemple : Des scouts font les livraisons pour les personnes âgées. Il y a des gens de la protection civile qui les aident matériellement. Pour que les livraisons ne se fassent plus à vélo, ne durent pas 45 minutes… dans les zones plus reculées, à la campagne.

Il y a encore un domaine où la protection civile intervient, mais je ne sais pas à quel point il est représentatif. La protection civile a des camionnettes prévues pour ce genre d’urgence. En ce moment, certaines d’entre elles servent à livrer les repas à domicile aux personnes vulnérables. Mais on a aussi vu des camionnettes de la protection civile transporter des militaires à la douane pour qu’ils prennent leur poste et qu’ils s’assurent que personne ne franchisse la frontière. Il semblerait que l’armée n’a pas assez de véhicules, ce qui est quand même assez troublant vu le fric qu’on lui file chaque année. Les gens de la protection civile ne sont pas, eux, postés aux frontières. Peut-être pas encore ? On ne sait pas encore l’évolution du Covid, donc tout peut changer tous les jours en termes d’affectation…

Au moment où l’on a reçu la première lettre datée du 18 mars, on nous a dit qu’on serait mobilisables jusqu’à la fin avril, selon le calendrier prévu. Puis le 5 avril, la mobilisation a été prolongée au 31 mai. Et ensuite le 17 avril, on a compris qu’on serait peut-être mobilisables jusqu’au 30 juin.

Les conditions d’affectation : horaires, salaire, assurance…

En cette période de crise, les astreints à la protection civile, on nous prévient de semaine en semaine. On est réquisitionnés trois à quatre jours par semaine. Soit du lundi au jeudi, soit du vendredi au dimanche. Au début de cette crise sanitaire, il fallait être à 7h30 aux abris PC*** où se trouvent les centres de commandement. Le paradoxe étant que, tout à coup, ces abris PC ont été réaffectés à ce pour quoi ils ont été conçus. Car l’anomalie, c’est qu’en Suisse il y a des migrants logés dedans. Heureusement nous, nous n’avons pas à dormir dedans ! On est convoqués soit à 7h30, soit à 14h30 à l’abri. On est censés être disponibles de 7h30 à 23h30, mais répartis en deux groupes, celui du matin, puis celui de l’après-midi. Dans une journée, on travaille entre sept et huit heures. On a une pause à midi pour manger la nourriture qu’ils nous donnent.

Les chefs de la protection civile, contrairement à nous, sont mobilisés six à sept jours par semaine pour un jour de pause. Ils peuvent enchaîner huit jours de suite. Et ils ont les horaires les plus pourris. Ils doivent arriver avant nous et partir après nous. En ce moment, ils sont responsables de faire les plannings. Ils reçoivent d’abord une affectation et ils doivent faire des calculs et décider combien de personnes sont nécessaires et à quels horaires. Ils gèrent les ressources humaines et font de la planification en quelque sorte. Ils doivent s’occuper de l’accueil de chaque astreint, leur expliquer les tâches, être là pour s’assurer que la relève est bien arrivée. En général, il y a deux chefs pour une journée donc l’un fait 6h30-15h et l’autre 15h30-24h pour s’assurer que tout s’est bien passé durant la journée.

Le salaire, c’est pervers. Quand tu es à la protection civile comme à l’armée, ton salaire est compensé par l’assurance perte de gain APG. Elle couvre 80 % de ton salaire. Ton employeur est responsable. Est-ce qu’il doit continuer à te verser les 20% manquants ? C’est au libre choix de l’employeur. Pour les indépendants, c’est tout bénéfice, car ça passe directement sur leur compte et si tu fais l’équivalent d’un temps plein, c’est 5’800 CHF par mois. Pour les employés, il y a toute une série d’employeurs qui ne payent pas les 20% et toi tu tournes à 80% durant cette période. Un autre truc pervers : chaque jour qu’on passe à la protection civile, en fait on est couverts par l’assurance militaire. Le département de la défense paie l’assureur SUVA pour toutes les personnes astreintes à la protection civile et les militaires. Mais on ne peut pas suspendre notre assurance maladie personnelle durant cette période. Tu as donc deux assurances. Les jours où je suis à la protection civile, je paie mon assurance personnelle mais en même temps la Confédération suisse me paie une autre assurance. C’est absurde ! Pour les caisses d’assurance maladie par contre, assurer toutes les personnes qui sont astreintes à la protection civile ou à l’armée, c’est double bénéfice. Si tu tombes malade pendant le cadre de ton service, ça va se répercuter sur l’assurance militaire, mais tu auras payé deux primes indirectement. Le système est beau ! Il y a un article de la loi qui dit qu’on a le droit de ne plus payer notre assurance à partir d’un certain nombre de jours de service. Sauf que personne ne sait combien ! Personne ne nous l’a jamais dit. Je pense que c’est suffisamment élevé pour que ce ne soit pas possible, même en ce moment. La beauté du système suisse, elle s’incarne maintenant.

« Mais les gars en poste devant les supermarchés n’ont pas de masques eux ! »

Tous ceux qui, comme moi, sont affectés en renfort dans les endroits de soins et de dépistage, aux soins à domicile, aux ambulances, à l’aide de personnes sans-abris, on a tout un matos disponible et on le met à disposition des autres. Les gels désinfectants, les masques, … l’État et une grande entreprise chimique suisse nous fournissent ça. Parce qu’on a considéré que c’était important qu’on en ait. Et c’est vrai. On a tout ce qu’il faut pour éviter d’être contaminés. On nous a dit que les masques, on ne pouvait les utiliser que pendant quatre heures sur une journée de huit heures ; on a le droit d’en porter deux, d’avoir des fioles de gel hydroalcoolique qu’on remplit avec les stocks. Et on nous lave nos vêtements. Ils nous font changer d’uniforme tous les jours. Ils nous le nettoient et le désinfectent. Il y a des gens de la protection civile qui s’occupent de ça la nuit. Mais les gars en poste devant les supermarchés n’ont pas de masques eux !

Pour les astreints dans le domaine des soins, les distances sociales ont été respectées. Mais pour les autres en général, non. Et ça s’applique à tous les lieux, pas qu’aux abris PC, mais aussi aux pompiers, etc. Dans ces lieux-là, il n’ y a pas d’espace prévu pour la distanciation sociale ! Le seul avantage, c’est qu’on prend ta température le matin pour s’assurer que tu n’es pas contaminé. Mais dans les réunions briefing du matin à l’abri PC, le local n’est pas assez grand pour opérer la distanciation sociale. Il y a eu un article à ce propos dans la presse genevoise.

« L’armée et la protection civile prétendent être prêtes à parer à toute éventualité, en fait non. Tu as l’impression qu’ils se préparent les trois quarts de l’année à vivre un bombardement de l’armée allemande, qui n’est jamais encore arrivé jusqu’à aujourd’hui. Mais une pandémie, visiblement, ils ne savent pas la gérer. »

Le cas le plus problématique, c’était la protection civile de la Ville de Genève parce qu’en termes d’effectifs absolus, la Ville a beaucoup plus d’astreints que les communes périphériques. Dans ces dernières, respecter les distances interpersonnelles, ça pouvait être compliqué mais faisable ; tandis qu’en Ville, c’était impossible, ils étaient entre 70 et 80 à arriver le matin dans un abri PC ! Non seulement la distanciation sociale n’était pas respectée, mais on prenait le risque de contaminer 80 personnes par jour. Du coup, le Canton a suspendu la protection civile de la Ville de Genève pour son incapacité à assurer la distanciation sociale entre astreints. Actuellement, la protection civile des communes opère seule. Du coup, elle doit à présent se charger aussi de toutes les tâches qu’effectuait avant la protection civile de la Ville de Genève qui avait l’effectif d’astreint le plus important. On ne sait pas s’ils ont pris des nouvelles mesures, comme convoquer les gens par groupes de dix ou autres. La question se pose…

Tu pourrais très bien mieux répartir les gens. Une équipe arriverait à l’abri PC à 7h30 et repartirait à 7h40 à son affectation, puis arriverait la suivante, etc. On pourrait très bien organiser cela autrement. Il y a une part d’incompétence totale. L’armée et la protection civile prétendent être prêtes à parer à toute éventualité, en fait non. Tu as l’impression qu’ils se préparent les trois quarts de l’année à vivre un bombardement de l’armée allemande, qui n’est jamais encore arrivé jusqu’à aujourd’hui. Mais une pandémie, visiblement, ils ne savent pas la gérer, que cela concerne la population ou les gens contraints de devoir s’occuper de la pandémie. Un exemple me fait rire, c’est celui de sapeurs-pompiers qu’on a formés à faire le dépistage. Ils ont été autorisés à le faire. Ça veut dire qu’un sapeur-pompier volontaire habitué à certaines tâches de base, que ce soit prendre tes constantes (pouls, température, tension,…) ou t’évacuer d’un feu, se retrouve du jour au lendemain avec une consigne du style : « Vas-y, mets un coton-tige dans la gorge ou le nez de quelqu’un pour récupérer son frottis et faire un test Covid. » Dans une commune ils ont essayé de le proposer à des gars, m’a raconté un ami. Et on leur a demandé : « Est-ce que ça vous dérangerait de faire ça ? ». Il paraît qu’il y a eu une espèce de grève générale en réaction !

« La protection civile quelque part reproduit les schémas de la société. »

Si on me demande si je me suis senti mis en danger, je dirais que oui. C’est-à-dire que, dans une période où tout le monde est censé rester chez soi un maximum, ne sortir que pour faire l’essentiel… C’est ça le mot : l’essentiel. Les courses et aller à la pharmacie. Oui, on est clairement plus exposés que les autres. D’ailleurs, il y a un gars de la protection civile qui a chopé le Covid. C’est officiel. Pour le coup, lui c’est un chef. Et il a plus de 60 ans. Ça veut dire qu’on a mobilisé une personne de cet âge-là, à risque. C’est quand même assez grave. Les chefs n’ont pas d’âge limite pour être mobilisés, contrairement à nous. Nous, on est censés être au service de la patrie entre 18 et 40 ans. Pour être chef, c’est du volontariat. Mais, pendant très longtemps, ça ne correspondait à rien d’être chef, puisqu’il n’y avait rien qui se passait. Quand tu es astreint à la protection civile en gros tu ne fais pas l’armée, mais tu es quand même soumis à la taxe militaire. Et chaque jour que tu fais à la protection civile te permet de diminuer de 4 % ta taxe militaire. C’est quatre jours par année. Mais si tu es chef, la décote sur la taxe est de 8 %. D’après moi, il y a une raison économique à devenir chef. La plupart des chefs ne sont pas des diplômés universitaires qui gagnent plein de fric. Ce sont des gars qui ont des formations techniques, qui ont fait des apprentissages, qui ont un CFC. Payer la taxe militaire quand tu as un salaire de diplômé universitaire, ce n’est pas génial mais tu arriveras toujours à t’en sortir. Alors que si tu as fait un apprentissage, c’est pas dit. Les apprentis aussi sont taxés plus que les étudiants. Donc il y a une discrimination sociale immense ! La taxe militaire, c’est clair qu’il y a un truc de classe là-dedans. C’est un peu comme l’impôt fédéral direct : tout le monde est imposé au même taux, alors que personne ne gagne le même salaire. Donc, en terme de classe, il y a un truc très bizarre qui se passe. La protection civile, quelque part, reproduit les schémas de la société. Ces personnes, qui ont cherché à réduire au maximum leur taxe militaire, en devenant chefs se retrouvent au front, exposées comme les caissières des supermarchés, les aide-soignantes, les infirmières, les nettoyeuses des hôpitaux, etc.