Ce court texte a été écrit dans le cadre du groupe de lecture du Silure début novembre, alors qu’on ne parlait pas encore de la 5e vague de Covid-19. L’idée était de formuler en une page un texte prescriptif à partir de la pandémie. Nous avons choisi de le publier car il adopte un point de vue original sur cette question, il lie en effet un idéal de santé publique à une critique de l’idée dominante du “progrès” dans la société capitaliste. Zones Libres d’Apartheid israélien entre autres pour deux raisons.

L’ensemble des mesures prises aujourd’hui pour lutter contre la pandémie sont tournées vers le maintien en fonction du système productif capitaliste. L’alternative à ce qui est une politique économique plutôt qu’une politique de santé publique ne peut pas consister en un refus de ces mesures au motif que leur objectif n’est pas le bon. Il faut au contraire souligner que seul un changement d’objectif est de nature à garantir une protection durable contre ce virus et ceux qui, selon toutes vraisemblances, vont lui succéder de même que contre le péril que représente le changement climatique, le tout formant, en somme, une même menace. Changer d’objectif, c’est précisément décider de ralentir le système productif capitaliste.

La focalisation sur le vaccin, quoi qu’incontournable au point où la pandémie a pu se développer, a entraîné une marginalisation des techniques de prévention plus simples comme l’aération, le port du masque ou la réduction temporaire des interactions sociales. Comme toujours, ce sont les solutions les plus techniques et les moins appropriables qui sont portées comme des solutions uniques, dévalorisant les approches à solutions multiples, moins techniques, moins intrusives, moins autoritaires. De l’histoire de la vaccination, on n’a retenu que l’utopie techno-scientifique d’une immunité de troupeau quasi instantanée. Or, si l’on veut bien ouvrir le regard au-delà de l’histoire médicale de la médecine, l’histoire de la vaccination, c’est l’histoire d’une construction sociale dans laquelle les épidémies tiennent, dans certaines parties du monde, de moins en moins de place, grâce aux vaccins, grâce à l’amélioration générale des conditions d’hygiène, grâce à une meilleure alimentation, grâce à la régulation des conditions de logement et de travail, grâce à la diminution du temps de travail. C’est cette construction sociale qu’il faut poursuivre et dont il faut désirer l’extension à l’ensemble de la planète. Rien n’oblige, contrairement à ce qu’affirment certaines critiques prétendument de gauche, à ce qu’elle culmine dans le triomphe du béton armé, de l’automobile individuelle et de l’arrogance médicale. Le progrès social n’est lié à la production industrielle que parce que les capitalistes l’ont voulu ainsi et qu’une fraction de la gauche était toute prête à l’accepter.

C’est donc, en parallèle à la stratégie de vaccination, des mesures simples de relevé de la qualité de l’air et de renouvellement de celui-ci qui devraient être promues de façon décidée par les pouvoirs publics pour les lieux où de fortes concentrations de personnes sont inévitables. Plus largement, des efforts devraient porter sur l’explication des conditions de transmission de ce virus pour que les collectivités puissent baser leurs stratégies de réduction des risques sur une connaissance rationnelle des propriétés du virus.

La diminution drastique et généralisée du temps de travail devrait être regardée aujourd’hui comme une mesure de santé publique, non seulement face aux pandémies en cours et à venir, mais aussi face à l’ensemble des autres atteintes à la santé que le travail provoque. De toute évidence, l’intensité du travail et la part qu’il tient dans la vie quotidienne provoque les situations dans lesquelles les virus se transmettent : pics de fréquentation des transports publics, des supermarchés, des lieux de loisir. A cela s’ajoute que les écoles et les crèches, du fait de l’intensité du travail, sont de plus en plus réduites à des fonctions de gardiennage pur et simple (la volonté forcenée de les maintenir ouvertes pendant les pires moments de la pandémie l’a bien montré), là où elles devraient être des lieux de socialisation et d’apprentissage collectif. Une semaine de travail réduite à deux jours devrait être le point central d’un programme de gauche pour sortir de la crise sanitaire, pour éviter les suivantes.

Le silure, début novembre 2021
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Photo d’illustration : grève au CHUV de Lausanne le 23 juin 2021.