Les négociations pour le renouvellement de la CCT de Swissport n’ayant pas abouti, celle-ci est arrivée à échéance le 31 septembre 2020. En date du 4 janvier 2021, les employé.e.s ont reçu un courrier avec de nouveaux contrats et de nouvelles conditions de travail à signer d’ici le 28 janvier 2021, faute de quoi ceci “entraînera conséquemment une fin des rapports de travail”.

Cinq mobilisations ont été organisées du 12 au 22 janvier dernier afin de ramener la Direction à la table des négociations. Celles-ci ont mené à une rencontre entre la Direction, les syndicats et le Conseiller d’Etat Mauro Poggia qui aura lieu ce lundi 25 janvier à 16h00. Un rassemblement a lieu lundi 25 janvier à 15h00 au Bourg-de-Four.

Voici le témoignage d’une employée de Swissport.

La prochaine fois que vous prenez l’avion, pensez donc aux fourmis ouvrières se cassant la santé mentale et les reins, pour un si maigre bout de pain.”

Chères concitoyennes, Chères vacancières, Chères politiciennes, Chères journalistes*, et j’en passe, bref, Chère société,

Depuis fin 2018, je suis « agente d’escale auxiliaire » chez Swissport dans un service dédié à l’une des compagnies clientes qui vous permet de vous envoler pour Tenerife selon les périodes pour CHF29,90. En quoi consiste mon emploi ? Sans entrer dans les détails, je suis préposée à l’enregistrement des passagers et de leurs bagages pour la compagnie d’aviation low cost orange. En plus de cela, je scanne vos billets et vérifie que vous ayez le droit de vous envoler vers telle ou telle destination en porte d’embarquement. Finalement, je m’assure de votre sécurité lors de l’arrivée des avions. L’ajout de la mention « auxiliaire » signifie que je suis payée à l’heure et non pas sur une base fixe mensuelle. Les avantages ? Je peux plus librement déterminer, avec l’accord de l’employeur, mes horaires de travail. Les inconvénients ? Je dois être très disponible sans pour autant avoir un minimum d’heures garanties par mois, je peux avoir des « tours » (ou « shifts » dans la terminologie globalisée de l’aviation et de plus en plus de milieux professionnels mondialisés) de 3 à plus de 8 heures sans régularité, entre 4h et minuit environ. J’ai choisi de me consacrer aux horaires « tardifs » afin d’éviter de prendre le bus à 3h du matin en compagnie des fêtards, après 15 minutes de marche. Heureusement j’ai déménagé depuis et je vis beaucoup plus proche de l’aéroport, contrairement à certain.e.s collègues qui passent plusieurs heures pour faire le porte-à-porte. J’ai droit à 30 minutes de pause non rémunérée pour les shifts de 6h à plus de 8h. Souvent, j’effectue des shifts de 5h30 sans aucune pause.

Je dois être très disponible sans pour autant avoir un minimum d’heures garanties par mois, je peux avoir des « tours » (…) de 3 à plus de 8 heures sans régularité, entre 4h et minuit environ…”

Après une formation non-rémunérée équivalente à une semaine de travail, j’ai été propulsée dans ma nouvelle « fonction », avec l’uniforme adéquat. Ce fut la croix et la bannière pour récupérer à temps toutes les pièces d’uniforme avec divers aller-retour à l’autre bout de l’aéroport (évidemment ce temps n’est pas payé, ce serait trop facile sinon !), le badge permettant de travailler sur la plateforme aéroportuaire, pour lequel un extrait de casier judiciaire est exigé (à nos frais), le code-barre permettant de badger et d’autres détails administratifs des plus chronophages. Je dois consulter mes horaires sur mon portable ou mon ordinateur privé. Avec Covid, ceux-ci sont constamment sujets à modification. On m’a même une fois appelée avant le début de mon shift pour me donner les tâches à faire. J’étais sur mon vélo pour me rendre au travail… Mais on ne bronche pas, on fait tout. Tout bien. On arrive à l’heure, toujours (sinon menace de licenciement). Je peux devoir badger entre 14h00 et 14h03 pour le début de mon shift et devoir commencer un embarquement à 14h05 à l’autre bout de l’aéroport (il faut, bien entendu, entre temps que je passe le contrôle de sûreté et me rende à la porte adéquate). Je préfère donc anticiper et arrive toujours 10 minutes en avance (voire plus).

Je dois apporter mes propres stylos. Je dois aussi bien souvent utiliser mon propre téléphone portable, que ce soit pour appeler « la dispo » (les personnes en charge de me m’attribuer mes « tâches ») ou bien tout simplement pour vérifier les conditions d’immigration pour telle destination, la plupart des ordinateurs étant dépourvus de connexion internet. Nous travaillons avec du matériel daté, usé, que ce soient les ordinateurs issus d’un autre âge qui tombent régulièrement en panne ou les espèces de ficelles jaunes que je dois tendre pour la sécurité des passagers lors des débarquements. Régulièrement celles-ci ne sont pas disponibles et/ou dans un état tellement piteux que nous perdrions trop de temps à les mettre puis les enlever quelques minutes plus tard pour le (re)décollage. On fait au mieux, avec ce qu’on a. Nous n’avons depuis peu plus de service clients. Pourtant j’avais cru être engagée pour être au service de la clientèle… Par gentillesse, par altruisme, par zèle, j’ai donc déjà fait (et bien avant Covid !) des modifications de réservations sur mon portable (je ne suis pas formée à le faire dans le système) et j’ai plus récemment même téléchargé des tests PCR de passagers sur mon portable à nouveau ! Je n’aurais peut-être pas dû. Comme je n’aurais pas dû parfois prendre les choses en mains et essayer de savoir s’il ne restait pas des passagers pour telle ou telle destination dans la file avant fermeture aux guichets, ou leur courir après en porte. Non, peut-être n’aurais-je pas dû. Ce n’était pas dans « mon cahier des charges ». Mais je vous assure que si nous ne faisions pas tout ce que nous ne devrions pas, la boîte ne tournerait simplement pas. Les vols seraient systématiquement en retard et les passagers (encore plus) mécontents.

Mon emploi est fatigant : tâches répétitives (je peux rester souvent plus de 3h au même guichet à enchaîner les mêmes gestes, les mêmes phrases), je suis en constante confrontation avec une clientèle stressée, peu respectueuse qui préférerait sans doute avoir affaire à des machines plutôt qu’à des êtres humains. Un passager me l’a réellement dit une fois « tiens, c’est marrant, à Berlin ce sont des machines qui font votre travail ». Je lui ai courtoisement répondu selon la procédure en vigueur : merci au revoir et bon voyage Monsieur, SOURIRE. Il y a encore et toujours les passagers qui ne veulent jamais reconnaître qu’ils sont en tort, les passagers qui veulent absolument parler à un manager pour réentendre la même chose que je ne cesse de lui répéter depuis 15 minutes.

Nous sommes en sous-effectif chronique, avec ou sans Covid.”

Nous sommes en sous-effectif chronique, avec ou sans Covid. Pour reprendre une intervention humoristique sur le sujet des vols easyJet de Yann Marguet, les « 2 heures à attendre » à l’arrivée ce n’est pas parce qu’on vous a oubliés dans l’appareil, c’est parce qu’on n’est pas assez, et donc l’équipe des trois-quatre préposé.e.s est déjà affairée sur d’autres vols, d’autres appareils, d’autres vous, d’autres passagers qui attendent, ailleurs. Le travail peut sembler simple aux yeux du public, mais il est en réalité complexe avec des procédures sans fin, la sécurité, la sûreté (connaissez-vous la différence ?). J’ai maintenant en tête les règles d’immigration pour de nombreux pays, désormais régulièrement mises à jour avec le Covid. Quel passeport, quel test Covid, quel type de masque pour entrer en Hongrie par exemple ? Les directives changent constamment. A nous de nous tenir toujours au courant, sinon gare à la faute, plus ou moins grave, qui engendrera dans le meilleur des cas « un point orange » (bonjour l’école primaire, on n’est pas loin de la gommette Mickey dans la marge de la dictée) ou un « blâme » plus solennel, si par ma faute, disons, un avion aurait été mis en retard.

Les conditions de travail sont encore plus pénibles pour mes collègues du tri bagage et de la piste qui se cassent le dos, les bras, les jambes, à porter des bagages, les empiler à quatre pattes dans des soutes, par moins 10 en hiver et +40 en été (sur le tarmac, entre les réacteurs et l’asphalte il fait vite chaud, très chaud en été). Sur le tarmac, nous sommes exposés à beaucoup de bruit et les équipements de protection individuelle (dans mon cas de mini Boules Quies) m’ont été donnés par un collègue inconnu au détour d’un avion. Bref, des conditions bien difficiles. Heureusement, les équipes sont soudées et l’ambiance de travail agréable.

Pourquoi la Direction, invoquant la crise sans précédent liée au Covid, ne pourrait-elle pas puiser dans les bénéfices des années antérieures et/ou se permettre une ou deux années avec des bilans négatifs ?”

Ceci est un témoignage parmi tant d’autres. Celui de ma situation personnelle, d’employée auxiliaire au service passager. Pour mon emploi chez Swissport, je suis payée à l’heure au salaire minimum genevois, pour 15 heures par semaine (selon mon contrat). Mon salaire a légèrement augmenté depuis mes débuts pour s’adapter au coût de la vie notamment (merci la feu-CCT !). J’ai commencé avec un contrat à CHF 21,90 / brut de l’heure (+8,33% de vacances). Je gagnais jusqu’avant le Covid et le chômage partiel entre 700.- et 1600.- nets en moyenne par mois. Je ne cotise, par ailleurs, pas au 2e pilier, mon salaire annuel ne dépassant pas le minimum légal annuel. J’ai la chance d’être jeune et en bonne santé, de ne pas avoir d’enfant (ni de chien d’ailleurs) à charge, de cumuler différents emplois et de vivre dans un HBM. Je bénéficie également d’aides étatiques non-négligeables (allocations logement et subsides d’assurance maladie). Je vis modestement mais cela me convient bien et je n’ai pas de quoi me plaindre.

Pour mes collègues « fixes » qui pour certain.e.s travaillent dans la boîte depuis 10, 15, 20, 25 ans, il est dorénavant exigé de faire le même travail, mais pour moins (voire beaucoup moins) d’argent. Avec les nouvelles conditions proposées par la Direction, les salaires bruts de mes collègues sont amputés de 400 à 800 francs, voire 1200.- (attendons de voir le net !). Sachant que les salaires actuels ne sont déjà pas mirobolants et ne doivent de loin pas atteindre les salaires médians locaux. Le salaire brut est diminué, les cotisations sociales (au 2e pilier notamment) augmentent, la participation à l’assurance maladie est retirée, un 100% passe de 40 à 41h25 par semaine, les vacances diminuent. On ne parle pas de GELER LES ACQUIS on parle de DONNER UN GROS COUP DE PIED dans tout ce qui a été acquis de haute lutte. La Direction affirme dans les médias que tous ces dégâts sont liés au Covid mais elle souhaite depuis avant le Covid réduire les coûts, réduire les coûts, réduire les coûts (refrain monotone à fredonner sur n’importe quelle mélodie que vous auriez en tête).

En plus des diminutions salariales, de nouvelles propositions scandaleuses sont faites. Je pourrai dorénavant aller travailler pour seulement 2 heures (déjà que trois…). En effet, la Direction souhaite imposer le « flex/end begin » ; elle s’octroie ainsi le droit de raccourcir mes shifts le jour même « en fonction des opérations ». Et mieux encore le « split shift » c’est-à-dire : je pourrai travailler de 9h à 12h, mettons, avoir une « pause interminable » (et évidemment non payée) puis reprendre de 16h à 18h par exemple.

Pourquoi la Direction, invoquant la crise sans précédent liée au Covid, ne pourrait-elle pas puiser dans les bénéfices des années antérieures et/ou se permettre une ou deux années avec des bilans négatifs ? Personne ne se fait de souci, ça va redécoller et le grand groupe international s’en remettra plein les poches à nouveau d’ici quelques années. Avec ses investisseurs aux doux noms rappelant les palmiers des paradis fiscaux – Strategic Value Partners, LLC, Apollo Global Management, Inc, TowerBrook Capital Partners, Ares Management, Cross Ocean Partners and King Street Capital Management, LP – Swissport ne pourrait pas trouver un accord, un peu plus d’argent, un prêt momentané, un investissement pour une fois dans l’humain plutôt que dans les rendements destinés uniquement à enrichir une poignée de nantis ?

Mesdames les vacancières, Mesdames les politiciennes, Mesdames les journalistes, Mesdames, Chère société,

La prochaine fois que vous prenez l’avion, pensez donc aux fourmis ouvrières se cassant la santé mentale et les reins, pour un si maigre bout de pain. Pour mes collègues, je ne demande pas grand-chose, juste la dignité et la reconnaissance de leur travail. Je vous le demande aussi, quel exemple pour les autres employeurs si la Direction de Swissport peut agir ainsi ? Vous, lecteurs.lectrices, salarié.e.s du secteur privé, ne seriez-vous pas les prochain.e.s sur la liste ? Ne laissons pas faire ! Indignons-nous !

* A lire aussi bien au féminin qu’au masculin. L’ordre n’a pas d’importance.

 

PS. Sur la situation des travailleuses d’escale à l’aéroport de Genève, vous pouvez également consulter les témoignages d’Anne et de Caroline recueillis en avril 2020. [note du Silure]